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Six facteurs de risque d’un dérapage déontologique

Robert Vachon, psychologue et syndic sortant de l'Ordre des psychologues du Québec.


Aucun professionnel n’est à l’abri d’un dérapage déontologique. La vigilance quant aux facteurs de risque de glissement peut toutefois permettre aux psychologues qui sont sur une pente descendante d’inverser la tendance et, ainsi, de retrouver une qualité de pratique professionnelle optimale. Souvent, le dérapage déontologique constitue l’aboutissement d’une série de problèmes de sévérité progressive que le psychologue expérimente. Quels sont ces signes pouvant entraîner une faute déontologique? Il faut les connaître pour prévenir des incidents dont les dommages personnels et professionnels peuvent s’avérer considérables.

1. Négliger sa santé mentale

Les circonstances de la vie amènent à chacun son lot de périodes difficiles, de pertes et de stress majeurs qui peuvent avoir des répercussions sur la santé mentale. Malgré leur profession et l’acuité avec laquelle ils savent repérer la détresse chez les autres, les psychologues ont parfois de la difficulté à reconnaître la leur. L’irritabilité, les troubles de concentration et du sommeil, les ruminations, le sentiment récurrent d’être débordé, la consommation soutenue et régulière d’alcool, de médicaments ou de drogues, les commentaires ou inquiétudes des proches, voilà autant d’indices que le psychologue doit prendre au sérieux et au sujet desquels il doit agir afin de prévenir une dégradation de sa santé mentale. Les manifestations croissantes d’un trouble de santé mentale peuvent mener à de graves difficultés de comportement et de jugement et causer, sans même que le psychologue ne le réalise, un tort considérable à ses clients. À cet égard, le Code de déontologie des psychologues est clair :

37. Le psychologue s’abstient d’exercer sa profession ou de poser des actes professionnels dans la mesure où son état de santé y fait obstacle ou dans des conditions ou des états susceptibles de compromettre la qualité de ses services professionnels.

Voici quelques situations rencontrées au bureau du syndic.

  • Un psychologue consomme régulièrement de l’alcool et fait même des consultations sous l’influence de l’alcool.
  • Un psychologue développe graduellement un état dépressif et finit par poser un geste dérogatoire, n’ayant manifestement plus le jugement ni l’énergie requis pour s’autoréguler ou demander l’aide d’un collègue.
  • Un psychologue atteint d’un trouble affectif bipolaire continue à voir ses clients en période de manie et prononce des paroles menaçantes et blessantes à leur endroit.
  • Une psychologue traverse plusieurs épreuves personnelles et familiales consécutives, voit son état se dégrader et pose un geste qu’elle n’aurait pas posé en temps normal.

Bien gérer son stress, soigner sa santé mentale, aller chercher de l’aide et surtout agir dès les premiers signes sont de bonnes habitudes à prendre pour éviter de développer une condition de santé mentale susceptible de mener à une inconduite regrettable. Si vous constatez chez vous l’apparition d’un trouble mental, demandez de l’aide, consultez un professionnel, prenez du recul, bref, gérez votre stress et votre santé mentale de la meilleure façon qui soit. Si vous observez ces signaux chez un collègue, faites-lui part de vos observations et de vos inquiétudes, et encouragez-le à prendre les moyens appropriés pour contrer son état. Rappelons ici que l’Ordre des psychologues rend disponible pour ses membres une aide psychologique d’urgence accessible au 1 877 257-0088.

2. Avoir des frontières personnelles-professionnelles poreuses

La gestion des frontières en psychologie est une question complexe dans laquelle le jugement professionnel et le contexte jouent un rôle majeur. Toutefois, plusieurs facteurs de risque peuvent augmenter les erreurs de jugement du psychologue et favoriser des sorties de cadre potentiellement néfastes pour le client. Parmi ceux-ci, le fait que le psychologue n’arrive pas à combler ses besoins personnels dans sa vie privée le rend vulnérable à tenter d’y répondre dans sa vie professionnelle, tout comme le fait que les sphères privée et professionnelle de la vie du psychologue soient intriquées et peu délimitées.

Les transgressions du cadre professionnel sont de fréquents motifs d’enquête et de plaintes disciplinaires. Il faut savoir qu’elles n’ont pas toutes la même ampleur ni le même impact. On distingue généralement deux niveaux : la sortie de cadre et la transgression de cadre1. Cette dernière se distingue par son caractère intrusif et son impact négatif sur le client. Même si toutes les sorties de cadre ne mènent pas à des transgressions de cadres graves comme l’inconduite sexuelle, il est généralement reconnu que ces dernières sont presque toujours précédées des sorties de cadre plus bénignes, mais de gravité croissante.

Voici quelques exemples de sorties de cadre rencontrées au bureau du syndic :

  • raconter des aspects de sa vie personnelle à ses clients;
  • donner ou accepter un cadeau2;
  • toucher, embrasser ou donner l’accolade à un client;
  • questionner son client sur des détails non pertinents au suivi, simplement par curiosité;
  • utiliser ou solliciter les connaissances et compétences de son client pour des fins personnelles;
  • accepter d’aller au restaurant avec son client;
  • utiliser les informations recueillies en session pour créer une rencontre « fortuite » en dehors du cadre thérapeutique;
  • recevoir une cliente sur l’heure du lunch et partager son sandwich avec elle durant une session de psychothérapie.

Pour se rendre moins vulnérable aux sorties et aux transgressions de cadre, encore une fois le psychologue doit agir sur lui-même. Ses efforts doivent lui permettre d’établir et de maintenir de saines frontières entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle ainsi que d’assurer un équilibre bénéfique entre celles-ci.

3. Sous-estimer les problèmes d’organisation personnelle

Les psychologues ont parfois de la difficulté à planifier et organiser leur travail. Ceci peut créer des situations indésirables telles que : rendez-vous manqués, dossiers intervertis ou incomplets, appels non retournés, retards fréquents, rapports non remis, etc. Certains psychologues pourraient être portés à sous-estimer ce type de problème, mais la clientèle y est sensible et y voit souvent la manifestation d’un manque de respect et de professionnalisme. En outre, ces problèmes peuvent aussi conduire à des erreurs et à des problèmes de diligence importants. Pour certains psychologues, ce type de problème est chronique; pour d’autres, il s’agit de signes qui accompagnent une période de stress important. Dans les deux cas, vous devez prendre des moyens concrets pour les contrer et ainsi améliorer les services que vous rendez tout en réduisant vos risques de dérapage.

4. Avoir une confiance excessive en ses capacités

Compte tenu de la grande complexité et de la diversité des humains, il est impossible qu’une seule méthode d’intervention psychologique puisse répondre à toutes les problématiques rencontrées par un psychologue. Pourtant, plusieurs interventions faites par le bureau du syndic portent sur la situation de psychologues qui avaient de grandes certitudes quant à leurs compétences et à la valeur de leur manière de travailler. Ces psychologues avaient généralement en commun d’accorder la primauté à leur méthode et d’y engager leur client sans tenir compte des besoins, des caractéristiques et des préférences de ceux-ci.

Rappelons ici que le psychologue est au service de son client et qu’à ce titre il se doit de bien comprendre et saisir à qui il a affaire avant même d’amorcer un traitement ou une intervention. Ceci est essentiel afin de pouvoir proposer à son client une démarche qui convient. Le psychologue doit de plus être bien conscient des limites de son approche, de ses méthodes et de ses connaissances. Ceci lui permet de mieux discerner les personnes qui peuvent bénéficier de ses services de celles qui devraient être orientées ailleurs. Notre code de déontologie nous le rappelle :

40. Le psychologue consulte un autre psychologue, un membre d’un autre ordre professionnel ou une autre personne compétente ou dirige son client vers l’une de ces personnes, lorsque l’intérêt du client l’exige.

Par ailleurs, nous ne soulignerons jamais suffisamment l’importance du consentement libre et éclairé, qui exige entre autres du psychologue de bien expliquer à son client « le but, la nature, la pertinence et les principales modalités de la prestation des services professionnels, ses avantages et inconvénients ainsi que son alternative3 ».

Voici quelques exemples de situations traitées au bureau du syndic.

  • Une psychologue amorce d’emblée un suivi psychothérapeutique basé sur une méthode précise auprès d’une cliente qui n’en avait manifestement ni l’intérêt ni la capacité, sans lui expliquer au préalable la nature du traitement, ses effets potentiels ainsi que les autres possibilités qui lui étaient accessibles.
  • Un psychologue procède systématiquement auprès de tous ses clients au programme d’entraînement aux compétences qu’il a développé, peu importe la problématique de ceux-ci.

5. Être isolé

Le psychologue qui n’a pas la chance de rencontrer d’autres professionnels, de discuter de ses préoccupations et d’être exposé à des idées nouvelles risque de s’enliser dans une pratique restrictive et décalée. Ceci est un terreau fertile pour prendre de mauvaises habitudes et éventuellement commettre un impair déontologique. Chaque psychologue doit se donner un plan d’action pour se permettre d’échanger avec d’autres professionnels, de participer à des rencontres, à des discussions et à des supervisions. Surtout, il doit garder une attitude d’ouverture intellectuelle afin de se laisser influencer par ses collègues en vue d’enrichir sa pratique. Les conseils suivants sont couramment donnés aux psychologues pour compenser les effets indésirables de la pratique en solo :

  • obtenir de la supervision régulièrement d’un praticien expérimenté;
  • pratiquer dans un environnement professionnel, préférablement entouré d’autres professionnels et selon un cadre professionnel;
  • participer à des activités de formation continue ou à des groupes de codéveloppement;
  • développer et utiliser son réseau de contacts professionnels pour discuter, vérifier et confronter ses idées.

6. Avoir des préoccupations financières qui peuvent influencer le jugement

Plusieurs situations examinées au bureau du syndic ont mis en évidence des situations où les psychologues ont profité d’une opportunité financière sans tenir compte des limites que leur imposait leur déontologie. La précarité financière amène certains à accepter des mandats qu’ils ne devraient pas recevoir. Chez d’autres, c’est l’appât du gain rapide qui mène aux mêmes comportements. Le psychologue ne doit jamais perdre de vue que ses préoccupations personnelles – financières ou autres – doivent toujours passer après le besoin du client, tel que le dicte le code de déontologie des psychologues :

23. Le psychologue subordonne son intérêt personnel ou, le cas échéant, celui de son employeur ou de ses collègues de travail à l’intérêt de ses clients.

Voici quelques exemples de situations rencontrées au bureau du syndic :

  • accepter de suivre simultanément plusieurs personnes reliées entre elles;
  • contracter un emprunt auprès d’un client;
  • prévoir des ristournes ou des commissions dans un contrat entre psychologues;
  • gonfler ses factures et prolonger indûment ses services auprès de clients fortunés.

Les pièges pécuniaires étant nombreux pour le psychologue, surtout s’il pratique en privé, chacun est encouragé à organiser sa situation financière personnelle de façon sécurisante et réaliste afin de ne pas se rendre vulnérable à des écarts de conduite qui peuvent s’avérer dommageables pour leur clientèle et pour eux-mêmes.

En guise de conclusion

Chaque psychologue doit faire preuve de vigilance et bien connaître ses zones de vulnérabilité. Connaître ses faiblesses peut permettre d’éviter un piège déontologique. En s’autorégulant de façon préventive et responsable, le psychologue contribue par ailleurs à promouvoir et à maintenir la crédibilité de sa profession. En bout de piste, s’autoréguler est une marque de bienveillance et de respect à l’endroit de la population desservie par les psychologues. Chaque psychologue doit assumer sa part de responsabilité en agissant sur son principal outil : lui-même.

Bibliographie et références

Bibliographie

  • Castonguay, S. (2001). Problèmes d’attitude et de comportements chez le psychologue, Psychologie Québec, 18(3), 6.
  • Castonguay, S. (mai 2010). Santé et exercice de la profession, Psychologie Québec, 27(3), 13.
  • Grenyer, B. F. S., et Lewis, K. L. (2012). Prevalence, Prediction, and Prevention of Psychologist Misconduct. Australian Psychologist, 47, 68-76.
  • Gouvernement du Québec. Code de déontologie des psychologues, L.R.Q. chapitre C-26, r.212.
  • Knapp, S. J., et VandeCreek, L. D. (2009). Practical Ethics For Psychologists : a positive approach, Washington : American Psychological Association.

Références

  1. Traduction libre de boundary crossing et de boundary violation, qu’on peut aussi traduire par « passage de frontière » et « transgression de frontière ».
  2. Accepter un cadeau est balisé par le Code de déontologie des psychologues.
  3. Code de déontologie des psychologues, art. 11