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Traitement des troubles de la personnalité : quelles caractéristiques du client ont le plus d’impact sur l’abandon thérapeutique?

Dr Dominick Gamache | Psychologue
Le Dr Gamache est psychologue à l’Université du Québec à Trois-Rivières, au Centre de psychologie Québec et au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.

 

 

Dre Claudia Savard | Psychologue
La Dre Savard est psychologue à l’Université Laval, au Centre de psychologie Québec et au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.

 

 

Dre Sophie Lemelin | Psychologue
La Dre Lemelin est psychologue à la Clinique Focus.

 

 

 

DEvens Villeneuve | Psychiatre
Le Dr Villeneuve est psychiatre et œuvre au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale et au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.


Dans la littérature empirique la plus récente sur le traitement des troubles de la personnalité (TP), le clinicien a probablement autant de raisons de faire preuve d’optimisme que de pessimisme. D’une part, depuis 25 ans, nous avons assisté au développement de différentes approches thérapeutiques spécialisées qui ont démontré leur efficacité dans les conditions expérimentales rigoureuses des essais cliniques avec groupe-contrôle et répartition aléatoire des participants. Une toute récente méta-analyse (Cristea et coll., 2017) étaye une fois de plus l’efficacité de la psychothérapie, en particulier celle de l’approche dialectique-comportementale (Linehan, 1993) et des approches psychodynamiques (thérapie focalisée sur le transfert [Yeomans, Clarkin et Kernberg, 2015] et thérapie basée sur la mentalisation [Bateman et Fonagy, 2004]), pour réduire les principaux symptômes associés au trouble de la personnalité limite (TPL). D’autres données, toutefois, nous poussent à tempérer notre enthousiasme. La quasi-totalité des recherches disponibles ont porté sur le TPL, et l’efficacité probante des traitements auprès de cette clientèle ne saurait être généralisée aux autres TP.

Les données quant au maintien des gains à la suite de la psychothérapie se révèlent pour le moment instables et contradictoires (Cristea et coll., 2017; Kliem, Kröger et Kosfelder, 2010). Nous constatons par ailleurs qu’une proportion importante de clients abandonne prématurément le traitement et n’obtient pas ainsi les gains escomptés. Une méta-analyse récente suggère qu’au moins le quart des clients présentant un TPL abandonne prématurément le traitement, et ce, même pour les approches dont l’efficacité est bien établie (Barnicot, Katsakou, Marougka et Priebe, 2011); une autre recension systématique de la littérature suggère un taux d’abandon médian de 37 % (McMurran, Huband et Overton, 2010). L’abandon thérapeutique a des conséquences importantes, non seulement chez les clients, mais également auprès des professionnels (risque de démotivation et de mouvement de personnel) et du système de santé, entraînant une perte d’efficience dans la provision des soins et privant d’autres clients de ressources thérapeutiques limitées (Barrett, Chua, Crits-Christoph, Gibbons et Thompson, 2008; McMurran, Huband et Overton, 2010; Truant, 1998). 

Considérant l’impact négatif de l’abandon prématuré du traitement chez les clients présentant un TP, il apparaît crucial de bien établir le profil de la clientèle présentant ce risque. Nous proposons d’explorer sous trois angles les facteurs associés à un risque élevé d’abandon prématuré du traitement chez cette clientèle. D’abord, nous examinerons la contribution théorique d’auteurs importants du domaine qui se sont penchés sur la question des facteurs pronostiques défavorables. Ensuite, nous résumerons les résultats de recherche sur la question, à partir de deux recensions critiques des écrits. Enfin, nous présenterons brièvement le développement récent de la Grille de facteurs pronostiques pour la psychothérapie (GFPP; Gamache, Savard, Lemelin et Villeneuve, 2017), un outil développé dans le but de prédire l’abandon prématuré du traitement chez une clientèle présentant un TP.

Contributions théoriques majeures : Stone et Kernberg

Michael Stone (2006, 2010) s’est intéressé à la question de la traitabilité et du pronostic de traitement chez une clientèle présentant un TP. Puisant à même sa riche expérience clinique et ses travaux portant sur les TP graves, Stone (2006) a proposé, dans son ouvrage Personality-disordered patients: Treatable and untreatable, des lignes directrices pour guider le clinicien dans son évaluation de la traitabilité chez cette clientèle. Les facteurs à prendre en compte, selon Stone, sont : a) la capacité à réfléchir à propos de soi et des autres, et à propos de ses émotions (couvrant des notions telles l’introspection, la mentalisation et l’empathie); b) l’intelligence; c) des traits de caractère comme l’amabilité et la rigidité; d) différentes facettes de la spiritualité (p. ex. l’humilité, la sérénité, la compassion); e) l’honnêteté; f) la motivation; g) la persévérance; h) les circonstances de vie favorables ou défavorables; i) la qualité des relations d’objet; j) les facteurs culturels; et k) la présence de syndromes cliniques comorbides. Stone propose une grille d’observation de ces caractéristiques, sous une forme qualitative qui se prête malheureusement très difficilement à une validation empirique, ce qui limite son utilité à des fins de recherche. Stone (2010) a plus tard précisé une série de facteurs qui limitent la possibilité de gains thérapeutiques chez la clientèle souffrant d’un TP (voir le tableau 1 ci-bas).

              

Kernberg (2007) a quant à lui porté son attention sur une catégorie de clients présentant un TP narcissique qui présentent un pronostic de traitement extrêmement réservé, voire nul dans les cas les plus sévères. Il a lui aussi proposé un ensemble de facteurs de risque en présence desquels les gains potentiels de la psychothérapie risquent d’être fortement limités (voir le tableau 1). Kernberg insiste particulièrement sur l’évaluation approfondie des enjeux antisociaux et de la recherche de gains secondaires associés à la pathologie; le clinicien gagne selon lui à se montrer attentif à ce qu’il nomme le « parasitisme social », défini comme une forme pernicieuse de passivité et d’exploitation de la part du client envers les ressources familiales ou gouvernementales.

Contributions de la recherche

Deux recensions systématiques de la littérature nous offrent un aperçu des facteurs liés au client qui semblent avoir l’impact le plus déterminant sur l’abandon du traitement (Barnicot, Katsakou, Marougka et Priebe, 2011; McMurran, Huband et Overton, 2010). Malheureusement, peu de variables semblent associées de façon constante et robuste à l’abandon prématuré à travers les études de traitement. Parmi les variables sociodémographiques, seul l’âge se révèle associé de façon plus constante à l’abandon (les jeunes présentant un risque plus élevé). Une comorbidité complexe, une forte impulsivité en début de traitement de même qu’une pauvre alliance thérapeutique constitueraient également des facteurs de risque selon diverses études. Les conclusions révélées par ces deux recensions proposent assez peu de pistes fiables pour prédire l’abandon prématuré, avec plusieurs résultats contradictoires (p. ex. les antécédents suicidaires étant tantôt associés à un plus grand risque d’abandon, tantôt à une plus forte rétention) et parfois contre-intuitifs (p. ex. l’étude de Gunderson et coll. [1989], qui a révélé que la présence de mécanismes de défense dits primitifs était associée à une meilleure rétention en traitement). 

             

Contributions de la Grille de facteurs pronostiques pour la psychothérapie (GFPP)

Devant l’ampleur et l’impact du phénomène de l’abandon prématuré du traitement chez la clientèle présentant un TP, en conjugaison avec l’absence d’un instrument d’évaluation valide de ce risque, l’équipe du Centre de traitement Le Faubourg Saint-Jean de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec a procédé au développement et à la validation de la GFPP (Gamache et coll., 2017). L’instrument consiste en une grille comportant 15 items (voir le tableau 2 ci-haut), cotés par le clinicien selon une échelle en trois points.

Le choix des items s’est principalement appuyé sur les écrits théoriques et empiriques mentionnés ci-haut. Notre objectif était de développer un instrument court et flexible d’utilisation, utile aux cliniciens afin de cibler les obstacles potentiels au traitement et ainsi de guider le plan de traitement et la mise en place du cadre thérapeutique. Le clinicien peut coter la grille en moins de cinq minutes, à la suite de l’évaluation du client, dans la mesure où il connaît bien l’instrument. Un manuel a été développé afin de guider le travail de cotation (Gamache, 2009, manuscrit non publié). Notre équipe a mené des études visant à évaluer les principales qualités psychométriques de l’instrument à partir de l’examen des dossiers archivés de 320 clients évalués de 2007 à 2011 en vue d’une admission potentielle au centre de traitement (Gamache, Savard, Lemelin et Villeneuve, 2016; Gamache et coll., 2017). Voici les principaux résultats qui se dégagent de ces travaux :

  • La GFPP peut être cotée avec un excellent degré d’entente inter-juges (coefficient de corrélation intra-classe de .87 pour le score total).
  • Cinq facteurs, identifiés au moyen d’une analyse factorielle exploratoire et expliquant une variance de 41,9 %, sous-tendent la grille : a) narcissisme pathologique; b) antisocialité-psychopathie; c) gains secondaires; d) faible motivation; et e) traits du Cluster A.
  • Les analyses de validité prédictive ont montré que la GFPP présentait un pouvoir prédictif supérieur à toutes les autres catégories de variables testées (sociodémographiques, diagnostiques, perturbation initiale du fonctionnement) pour déterminer le statut du suivi (poursuite ou abandon) après six mois de traitement. En fait, hormis les facteurs de la GFPP, seuls l’absence de rôle de vie actif et le risque hétéro-agressif en début de traitement se sont révélés des prédicteurs significatifs de l’abandon du traitement.
  • L’utilisation d’un point de coupure de 10 et plus permet de prédire avec justesse le statut du suivi à six mois avec un taux de précision de 71 %. Plus précisément, ce point de coupure présente une très haute spécificité (94 %), ce qui signifie qu’il produit très peu de faux positifs (c.-à-d. des clients dont le score à la GFPP indique un haut risque d’abandon, mais qui poursuivent malgré tout leur traitement). La sensibilité de la GFPP, par contre, s’est révélée moins élevée (36 %), suggérant qu’une proportion relativement importante des abandons pourrait être reliée à des facteurs non mesurés par la GFPP (p. ex. des ruptures d’alliance, des interactions entre les caractéristiques du client et celles du thérapeute/du traitement).

Conclusion

Le phénomène de l’abandon prématuré du traitement chez les TP demeure un problème majeur malgré le développement et la dissémination de psychothérapies dont l’efficacité est bien établie. La GFPP offre aux cliniciens un outil permettant de cibler avec un haut degré de spécificité les clients les plus à risque d’abandon, bien que sa capacité à identifier tous les clients susceptibles de mettre fin prématurément à leur traitement demeure plus limitée. La GFPP ne devrait toutefois pas être vue comme un outil de « traitabilité », et ses résultats ne devraient pas conduire à refuser le traitement à certains clients à risque. Elle devrait plutôt favoriser la mise en place d’un cadre thérapeutique autour des obstacles potentiels au traitement qu’elle aura permis de reconnaître chez ces clients. En cas de pronostic très réservé, on pourrait envisager des solutions de rechange à la psychothérapie qui ont fait leurs preuves pour gérer certains symptômes spécifiques (p. ex. un suivi pharmacologique auprès d’un psychiatre; Ripoli, Triebwasser et Siever, 2011). 

 

Bibliographie

Barnicot, K., Katsakou, C., Marougka, S. et Priebe, S. (2011). Treatment completion in psychotherapy for borderline personality disorder – a systematic review and meta-analysis. Acta Psychiatrica Scandinavica, 123, 327-338. doi: 10.1111/j.1600-0447.2010.01652.x

Barrett, M. S., Chua, W.-J., Crits-Christoph, P., Gibbons, M. B. et Thompson, D. (2008). Early withdrawal from mental health treatment: Implications for psychotherapy practice. Psychotherapy: Theory, Research, Practice, Training, 45, 247-267. doi: 10.1037/0033-3204.45.2.247

Bateman, A. et Fonagy, P. (2004). Psychotherapy for borderline personality disorder: Mentalization-based treatment. Oxford, UK: Oxford University Press. (Cristea et coll., 2017)

Gamache, D., Savard, C., Lemelin, S. et Villeneuve, É. (2016, juin). Premature psychotherapy termination in an outpatient treatment program for personality disorders: a survival analysis. Communication par affiche présentée dans le cadre du congrès annuel de la Société canadienne de psychologie, Victoria, Colombie-Britannique.

Gamache, D., Savard, C., Lemelin, S. et Villeneuve, É. (2017). Development and validation of the Treatment Attrition-Retention Scale for Personality Disorders. Journal of Personality Disorders, Ahead of Print. doi: 10.1521/pedi_2017_31_279

Gunderson, J. G., Frank, A. F., Ronningstam, E. F., Wachter, S., Lynch, V. J. et Wolf, P. J. (1989). Early discontinuance of borderline patients from psychotherapy. Journal of Nervous and Mental Disease, 177, 38-42. doi: 10.1097/00005053-198901000-00006

Kernberg, O. F. (2007). The almost untreatable narcissistic patient. Journal of the American Psychoanalytic Association, 55, 503-539.

Kliem, S., Kröger, C. et Kosfelder, J. (2010). Dialectical behavior therapy for borderline personality disorder: A meta-analysis using mixed-effects modeling. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 78, 936-951. doi: 10.1037/a0021015

Linehan, M. M. (1993). Dialectical behavior therapy for borderline personality disorder. New York : Guilford Press.

McMurran, M., Huband, N. et Overton, E. (2010). Non-completion of personality disorder treatments: A systematic review of correlates, consequences, and interventions. Clinical Psychology Review, 30, 277-287. doi: 10.1016/j.cpr.2009.12.002

Ripoli, L. H., Triebwasser, J. et Siever, L. J. (2011). Evidence-based pharmacotherapy for personality disorders. International Journal of Neuropsychopharmacology, 14, 1257-1288. doi: 10.1017/S1461145711000071

Stone, M. H. (2006). Personality-disordered patients: Treatable and untreatable. Washington, DC : American Psychiatric Publishing, Inc.

Stone, M. H. (2010). Treatability of personality disorders: Possibilities and limitations. Dans J. F. Clarkin, P. Fonagy et G. O. Gabbard (dir.), Psychodynamic psychotherapy for personality disorders: A clinical handbook (p. 391-418). Washington, DC : American Psychiatric Publishing, Inc. 

Truant, G. S. (1998). Assessment of suitability for psychotherapy. I. Introduction and the assessment process. American Journal of Psychotherapy, 52, 397-411.

Yeomans, F. E., Clarkin, J. F. et Kernberg, O. F. (2015). Transference-Focused Psychotherapy for borderline personality disorder: A clinical guide. Washington, DC : American Psychiatric Publishing.