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Transgenrisme et dysrégulation émotionnelle : une perspective psychothérapique

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Le cas clinique

Un patient consulte au terme d’une relation de couple, tourmenté par des fantasmes à l’idée de devenir une femme. Ces derniers ont fait l’objet de conflits houleux au sein du couple. Le patient rapporte avoir tenté de taire des questionnements quant à son identité de genre à l’adolescence, n’ayant trouvé personne à qui se confier. Cette fois, la détresse est plus importante : il songe à mettre fin à ses jours plutôt que de vivre dans le mensonge.

La recherche le dit

En 2009, une étude du groupe de travail sur l’identité et la variance du genre de l’American Psychological Association (APA) indique que moins de 30 % des psychologues considèrent qu’ils sont familiarisés avec les problématiques vécues par les personnes transgenres, confondant leurs enjeux avec ceux associés à une problématique entourant l’orientation sexuelle (Campbell et Arkles, 2017). De cette étude sont nées des lignes directrices destinées à rendre la pratique psychologique auprès des personnes transgenres respectueuse de la culture, appropriée au développement et dite trans-affirmative (c’est-à-dire respectueuse, consciente et soutenante à l’égard de l’identité et des expériences de vie des personnes transgenres). La cinquième ligne directrice de ce guide reconnaît l’impact de la stigmatisation, des préjugés, de la discrimination et de la violence sur la santé et le bien-être des personnes transgenres (APA, 2015).

Les personnes transgenres présentent un taux de tentatives et d’idéations suicidaires nettement supérieur à la population générale : on l’estime à 84 % pour les idéations suicidaires et entre 9 et 48 % quant aux tentatives de suicide (McNeil, Ellis et Eccles, 2017). L’hypothèse du stress minoritaire, théorie développée par Meyer (2003), indique les facteurs proximaux et distaux pouvant amenuiser la santé mentale de certains groupes minoritaires. Ainsi, bien que les facteurs de risque associés au suicide soient les mêmes pour toute population, les groupes minoritaires sont exposés à des stresseurs additionnels susceptibles d’induire un effet négatif sur leur santé mentale.

Pour les personnes transgenres, les facteurs distaux concernent la discrimination, le rejet, la victimisation et la non-affirmation de l’identité de genre (McNeil, Ellis et Eccles, 2017). Parmi les facteurs proximaux, on note l’invalidation de soi, parfois à la suite de l’internalisation d’une rétroaction de l’environnement dénigrant l’identité transgenre et suscitant détresse, confusion ou honte chez le patient. Le modèle biosocial de la dysrégulation émotionnelle présente ainsi la relation transactionnelle entre un environnement invalidant et l’identité ou l’expression transgenres.

Cela peut aller jusqu’à internaliser une transphobie et dissimuler, voire supprimer, l’identité de genre réelle. Dans d’autres situations, le recours à une intervention de changement de sexe pourra éveiller des standards perfectionnistes irréalistes entourant l’efficacité de l’intervention ou la présentation de genre, i.e. avoir l’air d’un(e) « vrai(e) » homme/femme (Sloan, Berke et Shipherd, 2017).

La psychothérapie auprès de la personne transgenre en détresse vise à développer des stratégies d’adaptation efficaces amenuisant les ruptures cliniquement significatives de la capacité à maintenir une perception de soi stable, à interagir efficacement avec l’environnement social et à réguler les émotions et le comportement (Sloan, Berke et Shipherd, 2017). La thérapie comportementale dialectique développée par Marsha Linehan est reconnue comme le traitement d’excellence pour le trouble de la personnalité limite, mais elle vise essentiellement le développement d’une meilleure régulation émotionnelle, ce qui rejoint l’objectif psychothérapique des personnes transgenres.

La dysrégulation émotionnelle conceptualisée en tant qu’échec dialectique concerne :

  1. l’incapacité à réunir en un tout cohérent, structuré et homogène certaines polarités;
  2. la tendance à encourager la pensée dichotomique;
  3. l’inacceptation de la continuité du changement.

L’équilibre entre une approche axée sur le changement (aptitudes de régulation émotionnelle et efficacité interpersonnelle) et sur l’acceptation (pleine conscience et tolérance de la détresse) est prôné.

Sloan, Berke et Shipherd (2017) dénoncent l’invalidation environnementale découlant d’un système ancré dans une notion binaire du genre. Ils prônent l’acceptation et les stratégies de changement, tant sur les plans interne qu’externe (changements systémiques) pour créer un espace de validation et d’affirmation pour les personnes à l’identité trans.

La psychothérapie a permis au patient présenté dans notre cas clinique de profiter d’un espace neutre et validant pour explorer librement son identité de genre. Après quelques mois de suivi, le patient s’est engagé dans un groupe de parole pour personnes transgenres et a pu faire place aux riches réflexions qui l’habitaient au sujet de son identité.