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Troubles d’apprentissage et anxiété : quand la lecture devient le mammouth

Dre Noémie Hébert-Lalonde | Psychologue, neuropsychologue

Superviseure clinique à l’Université de Montréal, elle est également neuropsychologue et formatrice au Centre de formation CENOP.

 


Définition et critères diagnostic

Les troubles d’apprentissage se définissent comme étant la persistance de retards du développement des apprentissages en lecture, en écriture ou en mathématiques, et ce, malgré la rééducation reçue par l’apprenant. Pour qu’on considère qu’il y a troubles d’apprentissage, les résultats dans une de ces matières scolaires spécifiques doivent être significativement sous le niveau attendu, tel qu’on peut le mesurer par des tests standardisés, et le problème doit interférer avec les autres performances scolaires ou avec les activités de la vie quotidienne qui y sont reliées. Bien que la définition semble claire, des difficultés conceptuelles persistent quant à la manière de mesurer l’écart significatif entre le niveau scolaire réel et le niveau attendu, ou encore dans le degré de déviation réelle entre les performances scolaires et les fonctions cognitives (d’un ou de deux écarts types). Il a longtemps été admis que pour que soit émis un diagnostic de trouble d’apprentissage, le niveau d’apprentissage devait être significativement inférieur au QI. Toutefois, plusieurs études, dont une méta-analyse de Stuebing, Barth, Molfese, Weiss et Fletcher (2009), montrent que le QI n’est pas significativement relié à l’apprentissage de la lecture, par exemple. Le QI dans la norme ne devrait donc pas être un critère pour le diagnostic des troubles d’apprentissage. Depuis quelques années, il est davantage admis que le trouble d’apprentissage se reconnaît par une faible réponse à l’intervention (RAI) – voire par l’absence de RAI – spécifique à l’apprentissage ciblé (Pham et Riviere, 2015). Cette approche préconise la prévention en faisant le dépistage rapide de tous les enfants, en monitorant fréquemment les apprentissages des enfants à risque et en offrant de l’intervention soutenue à ceux qui en ont besoin. Les différents professionnels du milieu scolaire ont donc un rôle prédominant dans cette approche.

Selon Pham et Riviere (2015), de bonnes pratiques devraient inclure plusieurs sources d’informations, dont l’intervention de plusieurs types de professionnels, pour émettre le diagnostic de trouble d’apprentissage. L’emploi de tests psychométriques standardisés pourrait même être controversé si l’on tient compte de l’approche de la RAI. La principale recommandation, selon cette approche, est d’établir avant tout le profil des forces et des faiblesses de l’élève pour bien comprendre ses besoins tout en considérant son âge, son environnement et son histoire développementale. La simple considération de la réussite scolaire telle qu’elle apparaît dans le bulletin pourrait donc être suffisante. Par contre, on ne semble pas considérer que la sous-performance scolaire et la faible réponse à l’intervention puissent s’expliquer par plusieurs facteurs connexes. Les troubles d’apprentissage touchent de 2 % à 10 % de la population selon la nature du trouble, dont 80 % présentent un trouble d’apprentissage spécifique de la lecture (ci-après nommé dyslexie) (Beitchman et Young, 1997). Or, environ 30 % des élèves ayant un trouble d’apprentissage vivent aussi avec des difficultés comportementales ou émotionnelles, dont l’anxiété et la dépression, sans oublier le TDA/H, qui ne sera pas abordé ici (Sahoo, Biswas et Padhy, 2015). Étant donné la très forte représentativité de la dyslexie parmi les autres troubles d’apprentissage, celle-ci sera le principal trouble d’apprentissage discuté.

Troubles d’apprentissage et comorbidités

L’anxiété est très fortement perçue par les parents et les intervenants comme une cause probable des troubles d’apprentissage. Quelques explications possibles ont été suggérées, dont 1) une réaction secondaire suggérant que l’anxiété se développe à la suite de difficultés d’apprentissage et 2) un trouble primaire d’anxiété où les difficultés d’apprentissage sont causées par un trop haut degré de stress (Spreen, 1989).

La théorie de la réaction secondaire est la plus largement retenue pour expliquer le lien entre les troubles d’apprentissage et les difficultés émotionnelles. Il est normal qu’un individu ressente du stress dans une situation potentiellement menaçante (ex. : une situation d’examen), mais lorsque la réaction se chronicise, cet individu devient anxieux. La simple anticipation du stresseur devient angoissante. Comme le suggère Cohen (1986), l’anxiété peut alors devenir un plus grand obstacle aux apprentissages de l’élève que le trouble d’apprentissage lui-même en augmentant les difficultés vécues ou en causant l’évitement du travail scolaire. De plus, le degré de sévérité des troubles d’apprentissage est grandement corrélé aux conséquences scolaires vécues et au niveau de stress que celles-ci entraînent (Knivsberg et Andreassen, 2008). Ainsi, de nombreuses études, telles que recensées par Mugnaini, Lassi, La Malfa et Albertini (2009), montrent que l’on remarque plusieurs facteurs internalisés et associés à l’anxiété et à la dépression chez les enfants présentant un trouble d’apprentissage, par exemple la faible estime de soi, un faible indice de bonheur, de l’insécurité, un fort sentiment d’incompétence, un lieu de contrôle interne face aux échecs, des plaintes somatiques, un manque de persévérance, des problèmes interpersonnels, etc. Certaines études (Carroll, Maughan, Goodman et Meltzer, 2005 ; Mammarella et al., 2016) soulignent même une plus forte incidence d’anxiété généralisée, d’anxiété sociale et d’anxiété de séparation chez ces élèves.

Anxiété et cognition

L’impact de l’anxiété sur la cognition est par ailleurs bien connu (Castaneda, Tuulio-Henriksson, Marttunen, Suvisaari et Lonnqvist, 2008 ; Ferreri, Lapp et Peretti, 2011). Les principales conséquences possibles sont a) l’atteinte des processus attentionnels et les dysfonctions exécutives ; b) l’atteinte des processus en mémoire (de travail, épisodique, autobiographique) ; c) l’atteinte de la cognition, de la métacognition et de la pensée, et la présence de croyances inadaptées.

En ce qui concerne les processus attentionnels, il importe de reconnaître que l’attribution de l’attention à des stimuli menaçants est un mécanisme adapté. Par contre, la direction disproportionnée de l’attention sur des stimuli menaçants chez la personne anxieuse est inadaptée. Il existe trois principaux biais attentionnels induits par l’anxiété, soit 1) la facilitation de l’attention ; 2) le désengagement de l’attention ; 3) l’inhibition de l’attention. La facilitation de l’attention consiste à détecter plus rapidement les stimuli menaçants que les stimuli non menaçants. Le désengagement de l’attention reflète plutôt une difficulté à désengager son attention des stimuli menaçants, alors que dans l’inhibition de l’attention, l’attention est plutôt orientée loin des stimuli menaçants (Castaneda et al., 2008). Ainsi, pour un élève aux prises avec une dyslexie, on pourrait imaginer que l’inhibition de l’attention entre en jeu simplement parce qu’il est dans un cours de français à faire une compréhension de texte – son attention est alors détournée ; ou, pour un élève qui a droit à une période de temps supplémentaire, on pourrait supposer qu’il se sent jugé par le regard de ses pairs, qui quittent le local plus tôt – il s’agit alors de facilitation de l’attention. Eysenck, Derakshan, Santos et Calvo (2007) notent qu’un haut niveau d’anxiété entraîne des pensées non orientées vers la tâche au sein du système de traitement de l’information. L’information anxiogène non spécifique à la tâche altère ou interrompt le processus attentionnel et occupe une partie des ressources de la mémoire de travail. Ceci altère le bon fonctionnement du traitement de l’information, sans oublier que les processus attentionnels et de mémoire de travail sont déjà en surcharge par rapport à la tâche de lecture, par exemple, qui n’est pas automatisée chez l’élève dyslexique.

Pour ce qui est de l’altération des processus mnésiques, on reconnaît que l’anxiété sociale, souvent retrouvée chez les élèves ayant un trouble d’apprentissage, altère la remémoration des faits autobiographiques. Ainsi, un élève qui fait une production se souviendra davantage des commentaires positifs attribués à ses pairs ainsi que des commentaires perçus négativement qui lui auraient été faits (Cody et Teachman, 2010).

Enfin, les biais cognitifs sont également très présents dans l’anxiété. Certains élèves avec un trouble d’apprentissage montrent même une forme de résignation acquise. Par exemple, ils approchent leurs devoirs avec peu d’attente de succès, abandonnent plus facilement, attribuent leur insuccès à leur manque d’habileté et leur succès à des facteurs hors de leur contrôle. Ils ont donc de très faibles attentes de réussite, qui mènent souvent à leur échec (Butkowsky et Willows, 1980).

Répercussions des comorbidités

Les adolescents vivant avec un trouble d’apprentissage ont jusqu’à six fois plus de chance de quitter précocement le milieu scolaire que les autres élèves (Daniel et al., 2006). L’effet de la comorbidité entre le trouble d’apprentissage et les troubles internalisés sur les pensées ou l’acte suicidaire est deux fois plus élevé que chez les enfants présentant uniquement une dépression et trois fois plus élevé que chez les enfants présentant uniquement un trouble anxieux (Goldston et al., 2007). Les enseignants, de même que les autres professionnels scolaires, devraient être mieux outillés pour déceler l’émergence des symptômes psychopathologiques. D’ailleurs, en ce qui a trait à l’anxiété, les élèves à risque rapportent de l’insatisfaction liée à leur relation avec leurs pairs, leurs enseignants et, à un moindre niveau, avec leurs parents. Une mauvaise relation avec l’école en général est corrélée avec un faible sentiment de compétence scolaire et une plus grande émergence de problème des conduites (Murray, 2006). Ainsi, les besoins émotionnels des enfants vivant avec un trouble d’apprentissage sont indéniables, mais souvent sous-estimés et fréquemment oubliés par les enseignants (Rock, Fessler et Church, 1997). Ces derniers sont plutôt formés pour reconnaître les troubles d’apprentissage et intervenir en conséquence.

En somme, comme s’installent progressivement chez l’élève ayant un trouble d’apprentissage un faible sentiment de compétence par rapport à l’école, une démotivation envers les devoirs, des comportements de résignation acquise et des difficultés d’intégration sociale, il risque non seulement de vivre une détresse dans le cadre de ses apprentissages, mais aussi de s’engouffrer dans un cycle où l’échec, la démoralisation et la perte d’intérêt envers les tâches scolaires vont de pair. Aux aspects affectifs s’ajoutent aussi de fort probables difficultés langagières, mnésiques, attentionnelles ou d’autorégulation (Morgan et Fuchs, 2007).

Facteurs de protection : le psychologue scolaire comme partenaire

Parmi les facteurs de protection chez les élèves présentant un trouble d’apprentissage, l’autodétermination, l’identification des forces et l’établissement de saines relations sociales ont été répertoriés (Haft, Myers et Hoeft, 2016). Aussi, un effort particulier des partenaires sociaux, dont fait partie le psychologue scolaire, peut avoir un effet positif sur le bien-être des élèves avec un trouble d’apprentissage. Il est donc très important que les différents intervenants montrent des signes de reconnaissance, de compréhension, de respect et de soutien envers les élèves aux prises avec un trouble d’apprentissage. Les interactions devraient permettre de bâtir une relation positive, cibler l’acceptation réciproque et favoriser l’implication positive dans des activités de groupe (Nowicki, 2003). Comme le suggèrent Nelson et Harwood (2011), le rôle du psychologue scolaire est important dans la reconnaissance, l’évaluation et le traitement des élèves présentant des difficultés d’apprentissage en comorbidité avec de l’anxiété. Tous les intervenants scolaires devraient reconnaître que le trouble d’apprentissage d’un élève n’est pas seulement associé aux apprentissages, mais possiblement aussi à une détresse émotionnelle. Une approche interdisciplinaire et intégrée des différents professionnels de la santé et du système scolaire pourrait mener à une meilleure compréhension de ces jeunes et viserait des interventions ciblant à la fois les difficultés scolaires et la santé mentale (Hendren, Haft, Black, White et Hoeft, 2018). Le rôle du psychologue scolaire s’inscrit tout à fait dans cette vision ; il devient donc un professionnel indispensable à la réussite de ces jeunes.

 

Bibliographie

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Hendren, R. L., Haft, S. L., Black, J. M., White, N. C. et Hoeft, F. (2018). Recognizing psychiatric comorbidity with reading disorders. Front Psychiatry, 9, 101. doi:10.3389/fpsyt.2018.00101

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