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André Renaud : la psychologie est un art 

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine


Psychologue et psychanalyste réputé, André Renaud continue d’être une source d’inspiration pour tous les psychologues ayant foi en une pratique rigoureuse et empreinte de compassion. Portrait d’un passionné.

Pendant plus de 50 ans, André Renaud a tenté de « comprendre pourquoi l’être humain a tant de mal à vivre ». Clinicien modèle, il a cessé de prendre de nouveaux patients en 2013. À 78 ans, il songe à écrire ses mémoires, « quelque chose de très humain, pour laisser une trace de mon passage en psychologie », prévoit-il. Superviseur engagé, cet ancien professeur de l’Université Laval continue à guider de ses conseils des psychologues d’expérience quelques jours par semaine. Ce dont il est le plus fier? Sa contribution à la formation des psychologues. « Je sais que j’en ai aidé certains. »

Il appartient à la tradition humaniste de la psychologie, centrée sur le développement de la personne. Tout en saluant les progrès énormes accomplis sur le plan de la pharmacologie, M. Renaud se déclare méfiant à l’égard des coffres à outils sur mesure qui prétendent offrir des solutions expéditives au mal de vivre. « L’État aura beau investir des millions en santé mentale, tranche-t-il, multiplier les postes de docteurs en traitement de la migraine, de la dépression chronique, de l’angoisse panique, tant et aussi longtemps qu’on demandera au psy de faire un miracle en 15 ou 20 séances, le soulagement restera superficiel. »

À l’œuvre sur le terrain, M. Renaud s’est intéressé tour à tour à la psychothérapie de l’enfant par le jeu, aux processus cognitifs de clientèles variées, aux problèmes de couple, aux troubles psychotiques et aux troubles sévères de la personnalité. « Tous les jours, durant 50 ans, je me suis levé aux aurores pour approfondir mes connaissances pendant deux heures. Des textes difficiles bien souvent. Voilà comment je me suis tenu à jour sur les dernières théories en psychologie durant ma carrière. »

À l’Université Laval, en plus de son enseignement, il a assumé de nombreuses tâches de gestionnaire ou d’administrateur, notamment comme responsable de stages, directeur du service de consultations et directeur de l’École de psychologie à deux reprises. Il a aussi organisé d’innombrables séminaires ainsi que des colloques et congrès internationaux.

Sous une bonne étoile

Né en 1943 à Loretteville, dans un milieu ouvrier, André Renaud n’était pas destiné à fréquenter les milieux universitaires. « Après ma septième année, mon père s’attendait à me voir gagner le marché du travail. Il m’avait même trouvé une job. C’était comme ça à l’époque. Tout le monde travaillait. Mais j’étais entêté, alors j’ai fini par négocier mon passage jusqu’à la faculté de pédagogie de l’Université Laval. »

Impliqué dans un accident de la route au cours duquel un enfant est blessé, il sombre dans une dépression et consulte un psychologue. « Cet homme m’a fait comprendre le rôle de la culpabilité dans ma dépression. Il m’a redonné confiance. Et quand, plus tard, à l’université, des professeurs en psychologie se sont présentés en classe pour recruter des étudiants, je suis retourné le voir pour savoir si, en entrant en psychologie, j’étais sur la bonne voie. “Pas de souci, m’a-t-il dit simplement, votre étoile est bonne. Allez-y!” »

En 1971, M. Renaud entame une formation à la psychanalyse (aussi appelée cure type) à l’Institut psychanalytique de Montréal. Il recevra ensuite son accréditation de psychanalyste de la part de la Société canadienne de psychanalyse et de l’Association psychanalytique internationale. Sept ans plus tard, la Corporation des psychologues du Québec (aujourd’hui l’Ordre) l’accueille dans ses rangs.

La rigueur de la pensée analytique de M. Renaud et son ouverture aux diverses approches dans le domaine de la psychothérapie lui ont conféré un statut de superviseur renommé. Plus d’une centaine de cliniciens à travers le Québec ont profité de son expertise au cours des 20 dernières années.

Conférencier recherché, M. Renaud a toujours été soucieux de défendre sa profession. Vulgarisateur chevronné, il a fait de nombreuses apparitions dans les médias, dont plus d’une centaine à la télévision de Radio-Canada dans le cadre des émissions Bonjour Santé et L’Art de vivre. Il a également participé à des midis-causeries au Théâtre du Trident à Québec. Ses connaissances ont fait de lui un ambassadeur de l’ouverture et de la tolérance tant auprès des gens ordinaires que des plus érudits.

Patience et persévérance

Reconnu pour sa patience et sa compassion à l’égard des clientèles les plus rébarbatives, celui que tous nomment affectueusement M. Renaud s’est particulièrement illustré dans le traitement de gens atteints du trouble de la personnalité limite.

« Quand j’ai commencé à voir ces patients, il y a 40 ans, mes collègues me croyaient masochiste. Les difficultés étaient telles que personne ne souhaitait travailler avec eux. À Québec, nous étions quatre à nous y risquer et toutes nos tentatives faisaient chou blanc. Les formations que nous suivions ne parvenaient pas à nous sortir de l’impasse. »

Un jour, M. Renaud se rend à Montréal pour assister à une conférence du Dr Otto F. Kernberg, psychiatre américain d’origine autrichienne et sommité mondiale dans le traitement des cas limites et des pathologies du narcissisme. « Ses cas étaient très semblables aux miens. Mais, alors que je n’arrivais à rien, le Dr Kernberg obtenait des résultats. »

Séduit par les théories du Dr Kernberg, André Renaud entame aussitôt une collaboration avec le Personnality Disorders Institute de l’université Cornell aux États-Unis. On est en 1996. Pendant six ans, M. Renaud se rend régulièrement à l’hôpital de White Plains, dans l’État de New York, pour suivre une formation à la psychothérapie centrée sur le transfert. À partir de ce moment, les choses commencent à s’améliorer dans son cabinet.

C’était l’époque des isolements avec contention et des décharges électriques. Il existait encore très peu de médicaments pour soulager les patients. Il fallait innover. « Le plus difficile à comprendre chez les cas limites, c’est la façon dont certains d’entre eux parviennent à scinder leur personnalité. En face de certaines de ces personnes, le psy se sent attaqué, parfois méprisé. La souffrance de l’autre gruge même le professionnel le plus endurci. Or il n’y a aucune maladie qui occupe la totalité d’une personnalité. Si on arrive à appréhender ce phénomène, un pas est franchi. »

Lire, apprendre, comprendre

Confiné comme nous tous, André Renaud a passé les derniers mois à lire dans son bureau et à capter les concerts en ligne de ses orchestres préférés (dont les Violons du Roy). Amateur passionné d’opéra, le psychanalyste croit qu’un psychologue qui ne s’intéresse pas aux arts présente un handicap. « Ses patients, surtout ceux qui ont une vision éclairée du monde, pourront en souffrir. »

Lecteur compulsif, M. Renaud a récemment dévoré l’ouvrage de la psychologue américaine Mary Trump portant sur son oncle Donald. Intitulé Trop et jamais assez : comment ma famille a créé l’homme le plus dangereux du monde, l’ouvrage de Mary Trump montre comment « il y a toute une histoire familiale derrière l’être toxique qui a dirigé les États-Unis jusqu’en février dernier ».

Selon André Renaud, la culture nous rendrait plus tolérants. Plus susceptibles de se mettre à la place de l’autre. Voilà pourquoi, dans la lutte pour le respect des différences, « une séance de sensibilisation à la diversité culturelle ne pourra jamais remplacer des heures de contemplation devant un tableau ou le profond apaisement ressenti en écoutant régulièrement du jazz ou du Bach ».

M. Renaud insiste : « Comme psy, on vous proposera 15 heures de formation pour vous familiariser avec la culture black ou la réalité autochtone, mais si ça reste théorique, vous allez demeurer très maladroit face à un membre des Premières Nations ou de n’importe quelle minorité culturelle aux prises avec des problèmes réels. »

De Françoise Dolto aux neurosciences

André Renaud a passé 35 ans à l’Université Laval où il a formé des centaines de futurs professionnels dans divers domaines de la psychologie. « J’adorais enseigner, dit-il. Puis un jour, j’ai compris que j’étais dépassé. » 

C’était en 1997. Il arrivait d’une année sabbatique particulièrement enrichissante, avec des stages à New York, à Paris, à Lyon. À la rentrée, face aux étudiants de maîtrise, il constate que ces derniers ne comprennent pas un mot de ce qu’il dit. Même chose lorsqu’il livre son premier séminaire au doctorat. « J’aurais parlé chinois, que ça aurait été pareil. »

Quatre ans s’étaient écoulés (une éternité en psychologie), au cours desquels le professeur Renaud avait occupé divers postes administratifs, et l’ambiance avait complètement changé. À la faculté, plutôt que de s’intéresser à Freud, au contre-transfert ou à Françoise Dolto, on n’en avait plus que pour les données probantes et les neurosciences.

André Renaud le déplore : « La psychothérapie, c’est d’abord un art. Si l’on perd cette idée de vue, on risque de perdre son âme. »

Du désir de transmettre son savoir

Il a déposé sa craie, ses notes, ses acétates. Mais il a conservé le désir de transmettre son savoir. Jusqu’en 2018, il a supervisé « avec grand plaisir » des psychothérapeutes d’expérience dans le cadre du traitement de problèmes difficiles. Il a donné des séminaires de trois à cinq heures portant sur la sexualité infantile, le narcissisme normal et pathologique, la dépression, les troubles de la personnalité.

Psychanalyste de la première heure et formateur dévoué, André Renaud a donné des formations aux quatre coins du Québec, non seulement à des psys, mais aussi à des travailleurs sociaux, à des médecins, à des juges de la Cour du Québec. « Tant mieux si j’ai aidé certains à surmonter les difficultés humaines auxquelles leur fonction les confrontait. À tous ceux que j’ai croisés, je souhaite d’être aussi heureux en pratiquant leur métier que j’ai pu l’être avec le mien depuis un demi-siècle. »