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Comment faciliter l’apprentissage d’outils technologiques auprès d’une clientèle âgée vivant avec des troubles neurocognitifs?

Dre Hélène Imbeault, psychologue

Neuropsychologue spécialisée en gériatrie, elle a développé une expertise en interventions cognitives dans sa pratique à l’Institut universitaire de gériatrie de l’Estrie ainsi qu’à la Clinique de Santé Neuropsychologique.


Dre Brigitte Gilbert, psychologue

Neuropsychologue spécialisée en gériatrie, elle est cofondatrice de NeuropsyExpert et offre des services d’évaluation et d’intervention ainsi que de la consultation auprès des proches aidants. Elle est également coauteure du Programme d’intervention MEMO (méthode d’entraînement pour une mémoire optimale).


Le téléphone intelligent et la tablette électronique sont des outils technologiques pouvant potentiellement mieux gérer certains problèmes rencontrés par les personnes présentant un déficit en mémoire épisodique. La prise de médicaments, les rappels de rendez-vous ou d’activités à faire ne sont que quelques exemples d’oublis pouvant être minimisés grâce aux nouvelles technologies. Pensons notamment à l’application Calendrier qui a l’avantage d’offrir une alarme sonore agissant comme aide-mémoire. Or, apprendre à utiliser ces outils technologiques et leurs applications constitue généralement un défi de taille pour des personnes présentant un trouble neurocognitif majeur. Comment en faciliter le savoir-faire et l’utilisation au quotidien auprès de cette clientèle?

Principes d’apprentissage reconnus efficaces en présence d’un déficit en mémoire épisodique

Les aînés vivant avec un trouble neurocognitif (TNC) majeur de type Alzheimer présentent un déficit en mémoire épisodique qui interfère avec leurs activités quotidiennes. Malgré l’ampleur de leurs troubles, ces aînés présentent encore des capacités de mémorisation, notamment grâce à la contribution d’un système mnésique épargné : la mémoire implicite. Rappelons que cette mémoire permet une amélioration de la performance indépendamment du souvenir de l’apprentissage. En effet, elle ne requiert pas un rappel explicite et conscient de l’information. En réhabilitation cognitive, trois principes d’apprentissage reconnus comme étant efficaces sollicitent cette mémoire : 1) l’apprentissage sans erreur; 2) la récupération espacée; et 3) la méthode d’estompage progressif des indices. Après une brève description de ces trois principes d’apprentissage, nous allons discuter de leur intérêt dans l’apprentissage des nouvelles technologies.

1. L’apprentissage sans erreur

Le principe de l’apprentissage sans erreur (Baddeley et Wilson, 1994) consiste à limiter la production de réponses erronées lorsque de nouvelles informations doivent être mémorisées. En raison des troubles mnésiques, les aînés avec un TNC majeur de type Alzheimer risquent fortement de reproduire une erreur commise. En effet, la capacité de pouvoir distinguer l’erreur et de se souvenir de la bonne réponse est une fonction de la mémoire épisodique, mémoire déficitaire chez cette population. La personne sera donc étroitement accompagnée afin d’anticiper et d’empêcher la production d’erreurs dans le but d’apprendre, par exemple, les étapes pour noter un rendez-vous au calendrier de sa tablette électronique.

2. La récupération espacée

Ce deuxième principe d’apprentissage implique de rappeler une information en augmentant progressivement le délai entre les rappels. Par exemple, la bonne réponse est d’abord fournie immédiatement suivant une question posée, soit : « Quel est le numéro de votre téléphone intelligent? » Ensuite, cette même question est de nouveau présentée après 10 secondes, 30 secondes, 60 secondes, et ainsi de suite. Si la personne ne peut répondre, ou encore commet une erreur, la bonne réponse est alors donnée de nouveau. Par la suite, un retour au dernier délai réussi est effectué. Pour une revue, voir Erkes, Raffard et Meulemans, 2009.

3. La méthode d’estompage progressif des indices

Enfin, en ce qui a trait à la méthode d’estompage progressif des indices, le nombre d’indices fournis diminue graduellement jusqu’à ce que la réponse souhaitée soit émise sans aide (Glisky, Schacter et Tulving, 1986). Par exemple, la personne est d’abord étroitement accompagnée afin de réaliser toutes les étapes requises pour faire un appel avec son téléphone intelligent. Par la suite, le soutien offert diminue progressivement, jusqu’à ce que la personne puisse effectuer un appel de façon autonome.

Plusieurs études réalisées auprès de personnes avec un TNC majeur démontrent l’efficacité de ces principes lors de nouveaux apprentissages, qu’il s’agisse de l’utilisation d’un radiocassette (Bier et al., 2008), d’un téléphone portable (Quittre, Adam, Olivier et Salmon, 2009) ou de l’application YouTube (Quillon-Dupré, Monfort et Rialle, 2018).

Études de cas quant à l’apprentissage de nouvelles technologies par des aînés avec TNC 

  1. L’application AP@LZ

Imbeault et ses collaborateurs (2011) ont conçu AP@LZ, une application simplifiée fonctionnant sur un téléphone intelligent, pensée spécifiquement pour les personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Cette application agit comme aide-mémoire et comprend cinq fonctionnalités : 1) rendez-vous; 2) information personnelle; 3) information médicale; 4) contacts; 5) notes.

L’application AP@LZ a été testée auprès de cette clientèle en privilégiant l’apprentissage sans erreur. La méthode de travail est inspirée de la démarche en trois étapes – acquisition, application et adaptation – de Sohlberg et Mateer (1989). Cinq personnes atteintes d’un trouble neurocognitif (TNC) majeur de type Alzheimer ont participé à l’étude (Cordière et al., 2016; Imbeault et al., 2014; Imbeault, Gagnon et al., 2018). Dans le cadre de cette recherche, l’étape de l’acquisition consistait à poser plusieurs questions afin de permettre aux participants de se familiariser avec les fonctionnalités d’AP@LZ. Contrairement à Sohlberg et Mateer, qui demandaient une réponse verbale, une réponse motrice était privilégiée afin d’automatiser la procédure chez les participants. Par exemple, pour répondre à la question « Montrez-moi comment téléphoner à votre conjoint », la personne devait sélectionner la fonction « contacts » puis choisir dans la liste le nom de son conjoint, ce qui déclenchait alors l’appel. Tout au long de l’apprentissage, l’intervenant offrait une assistance particulière à la personne et la dirigeait au besoin pour éviter qu’elle fasse des erreurs et les enregistre. En ce qui a trait à la deuxième étape, celle de l’application, des mises en situation fictives ont été présentées aux personnes afin qu’elles apprennent quand et comment se servir d’AP@LZ. Pour ce faire, les chercheurs ont simulé la modification d’un rendez-vous déjà noté afin que les participants apprennent à faire les changements requis. Enfin, à la dernière étape, celle de l’adaptation, la personne se servait d’AP@LZ dans son quotidien pour des activités réelles. Ainsi, un rendez-vous pouvait être fixé avec l’intervenant et le participant devait se présenter à l’heure et à l’endroit convenu.

Impacts et retombées d’AP@LZ

Malgré les problèmes de mémoire épisodique bien documentés, les cinq participants de l’étude ont été capables d’apprendre à se servir de l’application et surtout à généraliser cet apprentissage dans leur vie de tous les jours. L’impact d’AP@LZ au quotidien a été documenté avec l’aide de différentes mesures, notamment des carnets d’observation remplis par les participants et leurs proches aidants, soit avant et après l’apprentissage. Ces carnets comprenaient des situations qui pouvaient être compensées par AP@LZ (par exemple, « Avez-vous pris vos médicaments aujourd’hui? ») et des situations qui n’étaient pas ciblées par l’application (par exemple, « Avez-vous cherché vos lunettes aujourd’hui? »). De plus, le maintien des acquis 24 mois après l’intervention a été documenté chez NI, un des participants (Imbeault, Gagnon et al., 2018). Bien qu’une baisse du taux de réussite ait été notée par rapport aux situations pouvant être compensées par AP@LZ, NI continuait de se servir de l’application pour gérer ses rendez-vous et pour faire des appels. De manière anecdotique, nous avons appris qu’il a poursuivi son utilisation jusqu’à 48 mois après l’intervention, ce qui est remarquable en considérant l’aspect évolutif de la maladie d’Alzheimer.

2. L’application Calendrier

L’apprentissage de l’application Calendrier d’une tablette électronique de type Android a aussi été documenté chez BH, une personne atteinte d’un TNC majeur de type Alzheimer (Imbeault, Langlois, Bocti, Gagnon et Bier, 2018). L’intervention décrite précédemment, soit la méthode d’apprentissage basée sur celle de Sohlberg et Mateer (1989) couplée au principe sans erreur, a été adaptée. Ainsi, le degré de difficulté des apprentissages a été augmenté progressivement et on y a inclus des notions de base pour l’utilisation de la tablette, par exemple, comment déverrouiller l’écran de veille, utiliser le clavier virtuel, apprendre à noter un rendez-vous dans le calendrier électronique. Les deux premières étapes, celles de l’acquisition et de l’application, ont nécessité 17 séances. Par la suite, BH a pu se servir de sa tablette dans son quotidien. Pour l’étape d’adaptation, 23 rendez-vous réels, échelonnés sur une période de 12 mois, ont été fixés. Par exemple, un rendez-vous téléphonique en neuropsychologie a été planifié. La personne devait appeler au moment prévu. Des erreurs ont été notées pour 4 rendez-vous, mais la participante a réussi à honorer ses engagements pour les 19 autres rendez-vous. L’utilisation de la tablette ne s’est pas limitée à l’application Calendrier. BH a commencé à explorer spontanément d’autres applications (par exemple Photo Note, Contacts, Courriel). À la suite de l’intervention, cette dame décrivait sa tablette comme une « prothèse cognitive ».

De la recherche à la clinique

Depuis la publication des études de cas, l’apprentissage d’outils technologiques (tablette, téléphone intelligent, ordinateur portable) a été réalisé auprès d’une trentaine de personnes vivant avec un TNC léger ou majeur. En clinique, les objectifs de l’intervention sont d’abord ciblés avec le client et son proche aidant en fonction des besoins ressentis au quotidien (par exemple, être capable de faire et de recevoir des appels en tout temps, optimiser la gestion de l’horaire). Par la suite, les avantages, les limites ainsi que les modalités de la réhabilitation cognitive sont discutés, notamment la fréquence, le nombre et la durée des rencontres. Pour s’impliquer dans une telle démarche, la personne vivant avec un TNC doit être motivée et consciente, au moins en partie, de ses troubles cognitifs. L’absence de connaissances relativement aux nouvelles technologies n’est pas un critère d’exclusion pour une telle intervention.

La contribution du proche aidant est sollicitée pour maintenir les acquis entre les séances et faciliter le transfert au quotidien. Ce dernier participe donc activement aux rencontres afin d’être en mesure de bien comprendre la procédure mise en place pour favoriser l’apprentissage. Une mise en situation est même réalisée sous la supervision de l’intervenant afin de s’assurer que le proche aidant pourra offrir un encadrement adéquat à domicile.

La méthode d’apprentissage maintenant utilisée en clinique condense les deux premières étapes de Solhberg et Mateer (1989) (l’acquisition et l’application) en une seule. L’intervention privilégie toujours l’apprentissage sans erreur et incorpore davantage l’estompage progressif des indices. Pour des problèmes spécifiques concernant une application ou une fonctionnalité de l’outil technologique, la méthode de récupération espacée est utilisée.

Conclusion

Les personnes vivant avec un TNC majeur de type Alzheimer présentent des capacités mnésiques qui peuvent être sollicitées pour l’utilisation de nouvelles technologies. Pour ce faire, la méthode d’intervention doit être très structurée et s’appuyer sur les principes de base mettant à contribution la mémoire implicite, à savoir l’apprentissage sans erreur, la récupération espacée et l’estompage progressif des indices. Il importe que le clinicien s’assure de bien cibler les besoins des personnes, d’évaluer leur motivation et de solliciter les proches aidants pour qu’ils accompagnent les patients dans une telle démarche. Certes, les nouvelles technologies offrent une avenue prometteuse dans la prise en charge des problèmes mnésiques, mais nous croyons que les personnes doivent être soutenues pour en faire l’apprentissage et éviter que ces outils, aussi sophistiqués soient-ils, ne soient délaissés par les aînés, s’ils étaient jugés trop complexes ou anxiogènes.

BIBLIOGRAPHIE

Baddeley, A. D. et Wilson, B. A. (1994). When implicit learning fails: Amnesia and the problem of error elimination. Neuropsychologia, 32, 53-68. doi:10.1016/0028-3932(94)90068-X

Bier, N., Provencher, V., Gagnon, L., Van der Linden, M., Adams, S. et Desrosiers, J. (2008). New learning in dementia: Transfer and spontaneous use of learning in everyday life functioning. Two case studies. Neuropsychological Rehabilitation, 18, 204-235. doi: 10.1080/09602010701406581

Cordière, A., Gilbert, B., Imbeault, H., Gagnon, L., Cribier-Delande, P., Pigot, H., …Bier, N. (2016). Utilisation d’un agenda électronique dans la maladie d’Alzheimer : étude de cas dans un contexte clinique. Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie, 16(96), 333-343. doi : 10.1016/j.npg.2016.09.006

Erkes, J., Raffard, S. et Meulemans, T. (2009). Utilisation de la technique de récupération espacée dans la prise en charge des patients atteints de maladie d’Alzheimer. Revue critique et applications cliniques. Psychologie et neuropsychiatrie du vieillissement, 7(4), 275-286.

Glisky, E. L., Schacter, D. L. et Tulving, E. (1986). Learning and retention of computer-related vocabulary in memory-impaired patients: Method of vanishing cues. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 8(3), 292-312.

Imbeault, H., Bier, N., Pigot, H., Gagnon, L., Marcotte, N., Fülöp, T. et Giroux, S. (2014). Electronic organiser and Alzheimer’s disease: Fact or fiction? Neuropsychological Rehabilitation: An International Journal, 24(1), 71-100. doi: 10.1080/09602011.2013.858641

Imbeault, H., Gagnon, L., Pigot, H., Giroux, S., Marcotte, N., Cribier-Delande, P., …Bier N. (2018). Impact of AP@LZ in the daily life of persons with Alzheimer disease: Long-term use and further exploration of its effectiveness. Neuropsychological Rehabilitation, 28(5), 755-778. doi: 10.1080/09602011.2016.1172491

Imbeault, H., Langlois, F., Bocti, C., Gagnon, L. et Bier, N. (2018). Can persons with Alzheimer’s disease improve their day-to-day functioning with a tablet computer? Neuropsychological Rehabilitation, 28(5), 779-796. doi:10.1080/09602011.2015.1133431

Imbeault, H., Pigot, H., Bier, N., Gagnon, L., Giroux, S., Marcotte, N. et Fülöp, T. (2011). Interdisciplinary design of an electronic organizer for persons with Alzheimer’s disease. Dans B. Abdulrazak, S. Giroux, B. Bouchard, H. Pigot et M. Mokhtari (dir.), ICOTS’11 Proceedings of the 9th International Conference on the Smart Homes and Health Telematics: Toward Useful Services for Elderly and People with Disabilities (p. 137-144). Montréal, Canada : Springer.

Quillon-Dupré, L., Monfort, E. et Rialle, V. (2018). Tablette tactile et adultes âgés : apports d’un programme d’initiation adapté aux troubles neurocognitifs. Revue Éducation & Formation – e-311 – Usages du numérique et situation d’autonomie réduite, 43-59.

Quittre, A., Adam, S., Olivier, C. et Salmon, E. (2009). Maladie d’Alzheimer précoce : utilisation conjointe d’un agenda et d’un téléphone portable pour le maintien de l’orientation spatio-temporelle. Dans S. Adam, P. Allain, G. Aubin et F Coyette (dir.), Actualités en rééducation neuropsychologique : études de cas (p. 333-365). Marseille, France : Solal.

Sohlberg, M. M. et Mateer, C. A. (1989). Training use of compensatory memory book: A three stage behavioural approach. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 11, 871-891. doi:10.1080/01688638908400941