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Retour Dr Joe Flanders, psychologue : le retour vers le futur des psychédéliques

Dr Joe Flanders, psychologue : le retour vers le futur des psychédéliques

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine


Le psychologue Joe Flanders photographié par Louis-Étienne Doré

Après plusieurs décennies d’interdiction, les substances psychédéliques comme le LSD, la psilocybine et la MDMA, substance synthétique communément appelée ecstasy, font un retour plus que remarqué en santé mentale. Entretien avec le Dr Joe Flanders, psychologue spécialisé dans la thérapie assistée de psychédéliques.

Au printemps dernier, dans différents médias, on racontait comment le sénateur canadien Larry Campbell, 74 ans, était parvenu à soigner sa dépression chronique au moyen de minidoses de psilocybine, l’ingrédient actif des champignons magiques. Ancien policier de la GRC et ex-maire de Vancouver, le sénateur a expliqué que sa femme, chaque matin pendant deux semaines, a saupoudré à son insu un peu de poudre de psilocybine dans son café. Depuis, il ne s’était « jamais aussi bien senti ».

Sur les ailes d’un ange

À Montréal, le Dr Joe Flanders, psychologue spécialisé dans la thérapie assistée de psychédéliques, s’est empressé d’épingler la nouvelle sur sa page Facebook. Outre certaines exceptions, rappelons que la psilocybine demeure une substance illégale au Canada. Pour le directeur du réseau de cliniques privées Mindspace, l’histoire de cet ancien policier contribue à mettre en lumière « l’écart béant qui subsiste entre une loi rétrograde, soit celle qui interdit l’usage médical des drogues comme la psilocybine, et la réalité vécue par des milliers de citoyens dans le besoin ».

Après avoir été rachetée en 2021 par la compagnie Numinus de Vancouver, Mindspace a obtenu une première autorisation de la part de Santé Canada pour utiliser de la psilocybine dans le cadre d’un programme de thérapie assistée le printemps dernier. D’autres essais cliniques avec d’autres substances psychédéliques (entre autres la MDMA) ont également reçu l’approbation d’Ottawa. « Ce n’est que le début, estime le Dr Flanders. Pour l’instant, nous effectuons principalement des essais cliniques, mais nous avons de très grandes ambitions pour l’avenir. »

Un vent d’espoir

Pour certains intervenants en santé mentale qui se sont heurtés à des écueils infranchissables dans le traitement de dépressions résistantes ou d’autres afflictions au cours des dernières années, la « renaissance des psychédéliques » suscite un vent d’espoir. « On parle d’une révolution dans le traitement des troubles mentaux », affirme sans détour le Dr Flanders, qui est aussi professeur au Département de psychologie de l’Université McGill.

Quand le patient est sous l’emprise d’une rumination constante, quand les pensées tournent sans cesse en boucle, les psychédéliques peuvent aider le patient à briser ces schémas. La neuroplasticité du cerveau s’en trouve modifiée et le patient peut alors se libérer de ces pensées intrusives, et commencer à voir les choses autrement.

« Les psychédéliques sont très différents des autres médicaments, ajoute le Dr Flanders. Plutôt que de simplement masquer les symptômes, ils amènent le patient à affronter sa situation au cours d’une à trois expériences courtes, mais intenses. »

Déterminé à alléger la souffrance des autres

Spécialiste de la réduction du stress par la pleine conscience, le Dr Joe Flanders a obtenu son doctorat en psychologie clinique de l’Université McGill en 2008, et il a achevé des études postdoctorales à l’université du Wisconsin à Madison, aux États-Unis, par la suite.

Aujourd’hui dans la jeune quarantaine, le Dr Flanders, bilingue, a grandi à Montréal au sein d’une famille aisée et cultivée. « Je viens d’un milieu privilégié. Mon père était chirurgien. Comme ma famille est juive, il y a un trauma qui est lié à l’histoire et qui fait partie de ma communauté. Tout ça a eu une influence sur ma pensée et sur mon parcours. »

Au cours de son adolescence, le jeune Joe Flanders ressent durement les reproches, les conflits et les non-dits autour de lui. « Je n’ai pas aimé le climat chez nous. Je n’appréciais pas du tout comment mon père parlait à ma mère, et à nous, ses enfants. »

De là naît sa « curiosité » pour différentes façons d’envisager la vie et de faire les choses. De là, également, lui vient sa détermination à alléger la souffrance des autres. Et peut-être son prosélytisme à l’égard des agents hallucinogènes en contexte de soins.

Après avoir vendu Mindspace à Numinus Wellness, le Dr Flanders a conservé son poste à la direction de la société. Il est ainsi devenu le grand responsable de la formation des thérapeutes à qui on confie le « trip treatment », comme on l’appelle sur la côte du Pacifique. « L’industrie des psychédéliques est en pleine expansion. Ces substances seront très recherchées dans les prochaines années, alors je le prends comme un défi. »

La série qui fait un tabac sur Netflix

Comme plusieurs personnes intéressées par l’industrie psychédélique, le Dr Flanders a dévoré l’ouvrage (publié chez Penguin Books) que le journaliste américain Michael Pollan a consacré aux psychédéliques et à ses usages thérapeutiques en 2018. Aux États-Unis, l’ouvrage de Pollan s’est rapidement classé parmi les meilleurs vendeurs.

D’ailleurs, une série documentaire de quatre épisodes a été réalisée d’après le contenu du livre et a pris l’affiche en juillet dernier sur Netflix. How to change your mind (« Voyage aux confins de l’esprit » en français) examine le potentiel de ces substances dans le cadre de nouvelles recherches axées sur le soulagement des troubles mentaux comme l’anxiété, la dépression, l’alcoolisme, le trouble obsessionnel-compulsif, le syndrome post-traumatique. On y traite de l’usage thérapeutique de quatre psychédéliques : le LSD, la psilocybine, la MDMA et la mescaline.

« Pour une petite amélioration, il est préférable de passer outre… »

L’épisode de la série que le Dr Flanders a préféré est celui dans lequel apparaît un jeune père de famille, Mark Walker, qui se soumet à une séance de champignons magiques pour résoudre un trouble obsessionnel-compulsif. L’expérience est saisissante à voir. Sur le divan-lit, entouré de deux thérapeutes qui veillent sur lui, Mark Walker gémit. Un bandeau sur les yeux, il revit plusieurs épisodes douloureux de son existence.

Sa thérapie, jugera-t-il plus tard, est « extrême ». Il adresse du coup cette mise en garde aux patients potentiels : « Si vous voulez simplement une petite amélioration de votre condition, ce n’est pas pour vous. » Pourtant, à la fin de l’expérience, l’homme s’estime guéri.

N’y a-t-il pas une contradiction, justement, à vouloir guérir une clientèle parfois fragile et vulnérable avec cette pharmacopée rescapée des années 1960?

« Très bonne question. Il y a toujours un risque, reconnaît le Dr Flanders. Mais avec un filet de sécurité et en prenant l’ensemble des précautions nécessaires, ces risques sont réduits le plus possible. »

L’histoire des psychédéliques

Après la découverte du LSD par le chimiste suisse Albert Hoffman en 1938, plusieurs chercheurs se sont intéressés à ses propriétés médicinales. Aux États-Unis et au Canada durant les années 1950, de nombreux protocoles de recherche ont été établis en ce sens, suivis de publications dans des revues. Pour guérir l’alcoolisme, pour soulager la dépression, les recherches avançaient bon train.

Puis, au milieu des années 1960, les drogues jusque-là confinées dans les laboratoires ont gagné les cercles inspirés de la contre-culture. Les baby-boomers, héros de la période Peace and Love, se sont mis à les consommer sans discrimination, notamment sous forme de buvards, lors de concerts, de happenings et de manifestations contre la guerre au Vietnam.

Au début des années 1970, l’oukase est tombé. L’usage récréatif et la propagande antidrogue des gouvernements allaient signer l’arrêt de mort de la recherche médicale sur toutes ces substances jusqu’à aujourd’hui. Depuis peu, dans les laboratoires, l’activité ne fait que recommencer. « Nous avons perdu 40 ans de recherche, déplore le Dr Flanders. Il y a un tel besoin pour de nouvelles approches, alors la pression est forte pour que les gouvernements changent la loi. En même temps, les attentes sont énormes. Il faut être prudent et prêt à subir des attaques. »

Un encadrement nécessaire

Pour éviter tout faux pas susceptible de faire dérailler l’expérience, les tenants de l’approche psychédélique proposent un encadrement serré pour chaque traitement.

Pour une expérience psychédélique sécuritaire, on calcule au moins deux séances de préparation et un débreffage de plusieurs heures, en plus du « trip » en tant que tel, et ce, pour chaque patient. Ceci sans compter les services nécessaires d’un médecin et d’une infirmière. Pour une personne (munie d’une prescription de son médecin), les frais s’élèvent à 5 000 dollars par traitement, ceux-ci n’étant pas couverts par l’assurance maladie.

Mais le Dr Flanders persiste et signe : il suffit de s’armer de patience. « Je suis persuadé que les résultats scientifiques seront à ce point impressionnants qu’on n’aura d’autre choix que d’inclure ces programmes de thérapie assistée dans les frais couverts par le système de santé public. »