Dre Janie Houle, psychologue : « Qu’on le veuille ou non, le monde a changé »
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
Photo : Louis-Étienne Doré
Portée à la présidence du Groupe de travail sur la santé mentale des populations du Réseau Québécois COVID-Pandémie (RQCP) en octobre dernier, la psychologue communautaire et chercheuse Janie Houle s’est donné pour mission de fédérer les forces vives afin de susciter un partage intersectoriel pendant la crise et, à long terme, de bâtir l’expertise en vue des pandémies à venir.
Professeure au Département de psychologie de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche sur la réduction des inégalités sociales de santé, la Dre Janie Houle se décrit comme un « agent de changement social ». Ses héros sont Françoise David, Martin Luther King et Barack Obama. « Camil Bouchard continue également de m’inspirer », dit-elle à propos de l’homme politique, professeur retraité et chercheur en psychologie communautaire de grande renommée.
Son but à elle, c’est l’édification d’une société plus juste. « Je n’y arriverai peut-être pas de mon vivant, dit la maman de deux jeunes enfants, mais j’aurai contribué à planter les graines pour y arriver. » À la présidence du Groupe de travail sur la santé mentale des populations du RQCP, elle a pour mandat d’établir une stratégie de recherche visant à améliorer la santé mentale des populations aux prises avec la COVID, en fonction des plus récentes recherches et des données probantes. Il s’agit également pour elle d’une occasion de faire avancer les idées de justice qui sont au coeur de sa pratique.
Pas assez de diversité, trop d’inégalités
« L’indignation est mon moteur », dit celle qui déclare également carburer aux « émotions positives ». Son terrain? La solidarité. Sa préoccupation principale? La justice sociale et notamment la diversité culturelle. « À cet égard, on est en retard au Québec, glisse-t-elle. Je le constate en particulier dans mon domaine. Des personnes racisées, en psychologie, il y en a très peu. Il suffit de regarder autour de soi, la grande majorité des psys sont blancs au Québec. »
Dans le Groupe de travail sur la santé mentale des populations, la collaboration interdisciplinaire est à l’honneur. Au menu, la santé bien sûr, mais également la société et la culture. Qu’elle se penche sur la santé mentale, sur les conditions de vie en HLM (habitation à loyer modique) ou sur la situation des clientèles en position vulnérable, la Dre Houle réalise toutes ses recherches en collaboration avec les personnes concernées. « Quand j’invite une personne en situation de pauvreté à siéger à mon comité de gouvernance de la Chaire, prévient-elle, je ne lui demande pas de faire de la figuration au milieu de types en veston-cravate. Les gens que j’invite comme experts reçoivent une compensation financière, et leurs avis sont reçus à l’égal de ceux des scientifiques. »
Repenser nos modes de vie
La crise sanitaire a bouleversé nos habitudes, nos relations sociales et la façon dont nous travaillons. Dans un tel contexte, croit la Dre Houle, il n’est peut-être pas inutile de repenser nos modes de vie « pour faire en sorte que les environnements dans lesquels nous vivons soient favorables à la santé et à la justice sociale ». Logements sociaux, politiques publiques, espaces verts, participation citoyenne, développement du pouvoir d’agir des individus. Avec ses collègues, la psychologue communautaire compte miser sur tous ces facteurs pour favoriser une meilleure santé mentale au sein de la population. « C’est un fait que la pandémie a exacerbé les inégalités en santé mentale, et à cet égard je pense que ça prend un investissement majeur du côté de la prévention des troubles mentaux. Les personnes qui vivent des problèmes de santé mentale ont aussi un rôle actif à jouer dans leur rétablissement. Elles détiennent un savoir qui vient s’ajouter au savoir théorique ou professionnel. Nous comptons beaucoup sur leur collaboration. »
Le règne de l’ostentatoire
La Dre Houle conduit une vieille voiture, participe à des manifestations dans la rue avec ses enfants et prend toujours soin de ne pas faire étalage de ce qui pourrait être le signe de son statut de professeure privilégiée, à l’abri du chômage et de la tourmente économique. « J’essaie d’être cohérente et d’incarner mes valeurs dans ma vie quotidienne. » Elle s’inquiète d’une société où la réussite se décline principalement en termes économiques. « Il faut montrer qu’on a atteint un certain statut, alors on exhibe sa grosse bagnole, on s’endette pour se procurer une grosse maison, et une fois que tu as des traites à payer tu ne veux plus trop partager… C’est un cercle vicieux. Plus ils sont dans une société inégalitaire, plus les gens ressentent une angoisse liée à la recherche et au maintien du statut social. »
Une enfance heureuse
Dans ses conférences, elle demande souvent à ses auditeurs de réfléchir sur les privilèges dont ils disposent. « Quels sont les avantages que vous avez et que les autres n’ont pas? Ils ne sont probablement pas dus cent pour cent à vos efforts. Le reconnaître, c’est déjà un pas. » Les privilèges, ou plutôt l’absence de privilèges, elle connaît. Élevée avec son frère et sa soeur, par une mère monoparentale, elle a commencé à travailler (distribuer des journaux publicitaires) à douze ans. Un an plus tard, tout en poursuivant son secondaire, elle étiquetait des vêtements dans une manufacture située à une heure de son domicile. De seize à dix-neuf ans, la première de classe faisait le quart de nuit chez Harvey’s, de dix-neuf heures à cinq heures du matin. « Je suis chanceuse, j’ai été entourée d’amour, j’avais des dispositions pour l’étude, j’ai obtenu des bourses et j’ai pu bénéficier de cet ascenseur social extraordinaire qu’est l’université. Ma mère aurait tellement aimé compléter des études supérieures. Dans son milieu, c’était impossible, elle a dû se contenter d’une onzième année. »
Prévention du suicide et autogestion
Formée à l’UQAM, elle obtient son doctorat en psychologie en 2005 sous la direction de Brian Mishara. Au CRISE, le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie, dirigé par le Dr Mishara, ses travaux portent essentiellement sur le suicide chez les hommes, « un sujet négligé pendant longtemps ». Elle passe ensuite à la Direction de la santé publique du Québec, mais, déçue par les politiques de l’organisme, elle quitte son poste. Elle entreprend par la suite un postdoctorat à l’Hôpital Notre-Dame sous la direction de la médecin de famille Marie-Dominique Beaulieu et du psychiatre François Lespérance.
Auprès de la Dre Beaulieu, elle rencontre des patients aux prises avec des maladies chroniques qui collaborent à la prise en charge de leur santé physique au quotidien. « Je me suis dit : qu’en est-il de la santé mentale? »
En 2016, la Dre Houle entreprend de mener ses propres recherches sur la question. Anxiété, peur panique, dépression, troubles bipolaires. Après avoir interrogé une cinquantaine de personnes sur les stratégies qu’elles utilisent pour améliorer leur santé mentale, elle développe, de concert avec son équipe du laboratoire Vitalité de l’UQAM, un outil d’autogestion, Aller mieux à ma façon, permettant d’améliorer soi-même son bien-être psychologique, outil qui s’adresse aussi aux intervenants.
En octobre dernier, en pleine pandémie, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec recommande à la population générale la version web de l’outil. Pour le MSSS, il s’agit d’une première initiative visant à offrir à la population une modalité numérique d’autogestion. L’outil est disponible sur le web à l’adresse allermieuxamafacon.ca, et cumule à ce jour plus de quinze mille inscriptions.
Mais comment ça fonctionne? À l’aide d’un questionnaire abordant des thématiques tels la santé physique, le fonctionnement au quotidien ou les relations avec les autres, l’utilisateur dresse un portrait des stratégies qu’il utilise déjà, et de celles qu’il pourrait adopter, pour améliorer sa santé mentale globale, réduire ses symptômes, s’il y a lieu, et éventuellement prévenir les rechutes. La Dre Houle insiste : « L’autogestion ne remplace pas la psychothérapie. » Il s’agit d’une approche complémentaire. La créatrice de l’outil estime d’ailleurs que consulter un psychologue ou prendre une médication font partie des stratégies d’autogestion susceptibles d’apaiser l’anxiété.
Épisode traumatique
En avril dernier, durant la première vague de la crise sanitaire, alors que le virus commençait à peine à desserrer ses griffes, Janie Houle a perdu sa mère. Lise Paquette habitait au deuxième étage de leur immeuble, à moins d’un jet de pierre de sa fille, de son gendre et de ses petits-enfants, et tous les membres de la famille vivaient dans une bulle parfaite de bonheur intergénérationnel. Au moment de son décès, Lise avait 68 ans. Un cancer foudroyant. À cause de la situation sanitaire, la Dre Houle hésitait à se rendre aux urgences avec elle. Une fois qu’elle s’y est résolue, les choses se sont envenimées. Comme tant d’autres, la Dre Houle a dû se faire à l’idée que sa mère était morte sans que ses trois enfants soient présents auprès d’elle.
La psychologue mentionne cette tragédie avec l’espoir que celle-ci nous aide à comprendre les mécanismes de la résilience individuelle. Elle décrit le choc qu’elle a subi, on sent la tristesse derrière son sourire, mais aussi sa volonté de faire du positif avec du négatif. Les recherches ont en effet démontré que les émotions positives permettent d’élargir nos perspectives et de trouver de nouvelles solutions à nos problèmes. Elles favorisent notre capacité à nous adapter devant l’adversité, surtout durant les moments de crise.
Apprendre du virus
Pour de nombreux chercheurs, la COVID peut nous amener ailleurs, voire nous apprendre à mieux respecter le vivant, à mieux protéger l’environnement, à mieux nous protéger aussi. Avec son groupe de travail, la Dre Houle se prépare déjà à la prochaine pandémie, en espérant pouvoir « faire mieux » que la fois précédente.
Pour y arriver, elle propose entre autres d’étudier « les cas lumineux », c’est-à-dire les groupes, les communautés, les individus qui ont bien réagi ou qui se sont adaptés pour survivre. Confinement, protection sanitaire, télétravail. Pour la Dre Houle, il n’y aura pas de retour en arrière. « Qu’on le veuille ou non, le monde a changé. »