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Le deuil compliqué et persistant

Bruno Fortin, psychologue à l’Unité de médecine familiale Charles-Lemoyne


La chronique « La recherche le dit » traite d’un cas clinique. Puis, des données probantes sont rapportées en lien avec la problématique soulevée par le cas clinique. Finalement, l’apport des données probantes pour nourrir la compréhension clinique est discuté.


Le cas clinique

La patiente de 45 ans est en deuil de son partenaire de 30 ans, décédé subitement dans un accident d’automobile pendant qu’elle était à un stage de formation à l’extérieur. Depuis l’accident, il y a plus d’un an, elle s’isole et rumine constamment au sujet de son partenaire. Dans les premiers mois, elle le voyait et entendait parfois sa voix. Elle rapporte des pensées intrusives à son sujet et elle se sent coupable : il n’aurait peut-être pas eu cet accident si elle avait été là. Elle est convaincue qu’à l’approche de la cinquantaine plus rien d’intéressant ne va se produire pour elle.

La recherche le dit

Avoir des hallucinations où l’on voit la personne décédée, ressentir sa présence et entendre sa voix sont des symptômes considérés comme faisant partie d’un deuil normal (President and Fellows of Harvard College, 2011). Alors que 50 % des veufs développent des symptômes propres à la dépression majeure après la mort d’un conjoint, 15 % des endeuillés sont encore déprimés après un an et 7 % après deux ans.

Toutefois, lorsque les symptômes persistent et sont intenses au point d’interférer avec les relations interpersonnelles, le travail, les études ou d’autres zones de la vie, le problème peut être identifié comme un deuil compliqué, prolongé et chronique. On y trouve souvent une combinaison des symptômes dépressifs et des symptômes du stress post-traumatique. Près de 5 % des personnes âgées vivent un deuil compliqué. Le DSM-5 classifie le désordre de deuil complexe et persistant comme un état sur lequel il faut encourager des études plus approfondies (Boelen, 2006).

Alors qu’il n’est pas nécessaire pour tous les endeuillés de rechercher de l’aide professionnelle, ceux qui vivent un deuil compliqué qui ne s’est pas amélioré après un an doivent aller chercher de l’aide (President and Fellows of Harvard College, 2011). Cela peut impliquer par exemple de compléter les deuils inachevés de leur histoire personnelle et de découvrir leurs liens avec le deuil actuel. Le thérapeute pourra aussi donner de l’information sur le processus du deuil, ainsi que sur la double tâche qui attend l’endeuillé, soit de s’ajuster à la perte en vivant son deuil et d’améliorer son fonctionnement actuel pour retrouver une vie satisfaisante (Matthews et Marwit, 2004). On leur demandera de raconter à nouveau l’histoire de la mort de l’être cher, de partager des souvenirs au sujet du disparu et d’entretenir des conversations imaginaires avec lui. Pour aider à retrouver de la joie dans sa vie, l’endeuillé est encouragé à penser à ce qu’il voudrait pour lui-même, si le deuil n’était pas aussi accaparant. La psychothérapie aide particulièrement les personnes qui sont en deuil à la suite d’une mort violente (President and Fellows of Harvard College, 2011).

Boelen et coll. (2011) ont étudié l’impact de la psychothérapie cognitivo-comportementale sur 43 patients vivant un deuil compliqué. Le traitement comprenait six sessions de 45 minutes de restructuration cognitive et six sessions de thérapie d’exposition aux situations qu’ils évitaient. Cette étude préliminaire rapporte une plus grande amélioration des symptômes dans les cas où il y a une plus grande diminution des cognitions nuisibles et moins d’évitement. L’intervention vise l’acceptation de la réalité irréversible de la perte, la restructuration cognitive de croyances négatives et des interprétations catastrophiques au sujet du deuil, ainsi que l’affrontement progressif des déclencheurs évités à cause de leur association à des réactions dépressives ou anxieuses. Les participants sont invités à éviter les ruminations improductives et à se distraire de façon saine.

Les cognitions ciblées, remises en question et nuancées portaient sur le deuil et sur la signification que les patients lui donnent (Boelen, 2006) : « je suis sans valeur », « l’avenir est vide et sans intérêt », « la vie n’a pas de sens », « si j’exprime mes émotions, je vais devenir folle », « je vais perdre le contrôle ». Certaines croyances peuvent susciter d’autres émotions : « c’est ma faute » peut faire naître la culpabilité. « Je suis en danger et sans défense » peut entraîner la peur.

Matthews et Marwit (2004) soulignent l’importance de l’alternance entre l’affrontement et l’évitement. Cette oscillation nuancée facilite l’intégration en redonnant au patient le contrôle des différents choix qui s’offrent à lui. Ces auteurs rapportent également l’importance de différencier le « lâcher-prise » et « l’oubli du défunt ». Le deuil réussi amène au contraire une nouvelle perception de la relation qui permet de préserver une saine place pour ce souvenir.

La patiente dont nous avons parlé au début de cet article a progressivement repris contact avec sa propre vitalité, sa créativité, sa passion et son plaisir d’être en vie. Reconnaissante de cette rencontre qui fait maintenant partie de son histoire, elle s’est préparée à aborder la suite de sa vie.

Bibliographie

  • Boelen, P. A. (2006). Cognitive-behavioral therapy for complicated grief: Theoretical underpinnings and case descriptions, Journal of Loss and Trauma, 11, 1-30.
  • Boelen, P. A., Keijser, J. D., Van den Hout, M. A. et Bout, J. V. D. (2011). Clinical Psychology and Psychotherapy, 18, 284-291.
  • Matthews, L. T. et Marwit, S. J. (2004). Complicated grief and the trend toward cognitive-behavioral therapy. Death Studies, 28, 849-863.
  • President and Fellows of Harvard College (2011). Coping with complicated grief. Health Harvard Mental Letter, 6.