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Les besoins du père lors de la période périnatale : état des lieux

Dr Carl Lacharité, psychologue 
Professeur titulaire au Département de psychologie de l’UQTR, ses travaux portent principalement sur les pratiques professionnelles auprès des mères et des pères en situation de vulnérabilité.

 

Aurélie Baker-Lacharité 
Psychoéducatrice et candidate au doctorat en psychologie  (concentration études familiales) à l’UQTR, elle s’intéresse à la pratique réflexive en action communautaire auprès des familles.


 

Francis Coutu 
Candidat au doctorat en psychologie à l’UQTR, il s’intéresse aux cadres sociopolitiques favorisant l’inclusion des pères dans les offres de services et à l’adaptation des pratiques professionnelles aux réalités paternelles. 

 


Historiquement, le monde de la périnatalité a été le territoire exclusif, voire la chasse gardée, des femmes et des mères. Ainsi, la structure et l’organisation de l’offre de services périnataux en sont venues à s’articuler presque exclusivement autour de la dyade mère-bébé (St-Arneault, 2019). Cependant, un peu partout en Occident, on remarque une mouvance dans la valorisation sociale de l’engagement des pères au sein de la famille. L’engagement du père, auparavant centré sur le rôle de pourvoyeur, s’étend maintenant à plusieurs autres facettes telles que son rôle actif dans l’interaction directe avec l’enfant pour participer aux soins, à l’éducation et à la provision d’affection et de limites auprès de ce dernier ainsi que son rôle de coéquipier avec les autres personnes qui s’occupent de l’enfant (RVP, 2020). Cette mouvance est particulièrement marquée chez les pères québécois comparés aux pères du reste du Canada (Léger Opinion, 2021). Par contre, l’expérience des pères lors de la période périnatale reste peu explorée et, par conséquent, peu connue.

Lorsque des recherches s’intéressent à l’expérience paternelle, il arrive fréquemment que celle-ci soit documentée sous l’angle du rôle d’accompagnateur à la mère lors de la période périnatale, et pas nécessairement sur l’expérience directe du père (St-Arneault, 2019; Venning et al., 2021). Un autre angle d’approche provient du nombre significatif d’études qui se sont attardées à la présence d’une dépression post-partum chez le père. En effet, environ 10 % des pères vivront une dépression post-partum et la présence d’une dépression post-partum chez la mère constitue l’un des facteurs de risque, ce qui suggère que l’engagement précoce du père peut comporter un coût psychologique semblable à celui ressenti par la mère (Edward et al., 2015). Bien que pertinentes, ces orientations dominantes dans la littérature scientifique ne permettent pas d’approfondir la compréhension de l’expérience du père dans sa globalité et dans sa spécificité. 

Cet article a pour objectif de dégager un ensemble de besoins qui caractérisent l’expérience vécue par les pères au moment de la grossesse, de l’accouchement et de la période postnatale. La notion de besoin s’appuie ici sur les travaux de Hamilton (2003) en philosophie politique. Dans cette perspective, les besoins représentent des « necessary componants of actual and possible full human functioning » (p. 61). Ainsi, les besoins sont intimement reliés au développement des personnes et aux formes d’interdépendances entre elles à l’intérieur de la société et de l’époque dans laquelle ces personnes sont insérées. Par conséquent, les besoins ne sont pas des entités fixes et universelles; ils se transforment, apparaissent, voire disparaissent, en fonction du contexte historique et culturel. Dès lors, les besoins des pères lors de la période périnatale dont il est question ici découlent de l’évolution du rôle de père dans les sociétés occidentales contemporaines.

Types de besoins chez les pères lors de la période périnatale

Cet article s’appuie sur deux sources portant sur l’expérience paternelle lors de la période périnatale. La première est une recension de la portée des écrits (scoping review) qui est en cours. L’analyse thématique, dont l’un des éléments représente les besoins des pères, est réalisée avec 43 articles publiés entre 2015 et 2022. Nous rapportons ici les principaux travaux qui touchent plus directement la dimension des besoins. Une seconde source repose sur des travaux de recherche réalisés auprès de pères québécois par le troisième auteur et ses collègues (Baker et al., 2007; Baker et al., 2009; de Montigny et Lacharité, 2004; 2005). Ces travaux empiriques suggèrent que les besoins des pères s’articulent autour de quatre axes.

Être reconnu

Il arrive fréquemment que le père se sente exclu et peu pris en considération par les intervenants qu’il rencontre lors des suivis périnataux, mais également par les différentes personnes qui gravitent autour de lui (milieu de travail, famille élargie). L’attention sociale et la centration des services sur la dyade mère-enfant contribuent à confiner le père dans un rôle d’accompagnateur dont la fonction est de soutenir la mère (St-Arneault, 2021; Venning et al., 2021; Boiteau et al., 2019). Cette représentation sociale du père contribue à une mise à distance, voire une mise à l’écart, de sa propre expérience. Ainsi, être reconnu dans l’entièreté de son expérience constitue une composante importante dans l’adaptation du père.

Bien que l’engagement paternel soit de plus en plus socialement valorisé, il reste néanmoins des contraintes contextuelles qui limitent ou compliquent le développement de cet engagement (Venning et al., 2021). Par exemple, la nature des défis particuliers de conciliation famille-travail-études rencontrés par les pères fait en sorte qu’il peut être difficile d’accorder une réelle priorité à leur « projet paternel » (perception négative du partage du congé parental dans le milieu de travail ou d’études; difficultés à prendre des congés personnels pour assister aux suivis prénataux se déroulant habituellement dans la journée; etc.).

Être soutenu

La transition vers la paternité peut être marquée par une charge émotionnelle intense. Le père peut éprouver une grande joie, mais également de l’anxiété face au déroulement de la grossesse, la naissance et la vie familiale postnatale (St-Arneault, 2019; Venning et al., 2021; Shorey et al., 2017). La grossesse est une période particulièrement propice pour revisiter son mode de vie, ses valeurs, mais également son expérience avec ses propres parents. Ce phénomène est particulièrement présent pour les pères ayant vécu des événements de vie difficiles durant leur enfance (Dayton et al., 2016). En plus, certains pères peuvent ressentir une pression face aux nouvelles responsabilités familiales ainsi que des inquiétudes face à leur rôle de pourvoyeur (Boiteau et al., 2019; Shorey et al., 2017; Dayton et al., 2016). Pour certains pères, des difficultés personnelles plus lourdes laissent place à une dépression post-partum (Edward et al., 2015). Face à l’intensité émotionnelle de cette période, la qualité et la diversité des sources de soutien formelles telles que les intervenants et informelles comme la conjointe, la famille élargie et les amis constituent des facteurs de protection pour le père (de Montigny et Lacharité, 2005).

Être informé

L’expérience du père de la période périnatale se caractérise également par le besoin d’être informé. Plongé à l’intérieur d’un monde qui comporte peu de repères, le père s’engage habituellement dans une quête d’informations. Le besoin d’être informé est souvent comblé lorsque le père reçoit des informations crédibles, concrètes, pratiques et facilement applicables telles que les méthodes précises pour soutenir sa conjointe lors de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement, les soins au nouveau-né, etc. (St-Arneault, 2019; Venning et al., 2021; Shorey et al., 2017). Le besoin d’information du père est également alimenté par une méconnaissance des services disponibles lors de la période périnatale. En effet, de nombreux pères se plaignent de ne pas être au courant de ces services et ont le sentiment d’en être exclus (Venning et al., 2021; Shorey et al., 2017).

Se sentir utile et pouvoir prendre sa place

L’expérience du devenir parent est distincte pour l’homme et pour la femme. Ne vivant pas directement les changements physiologiques liés à la grossesse, à la naissance ou à l’allaitement, le père vit une expérience qui n’a pas les mêmes assises que celle de la mère. L’une des principales manières de se sentir utile est d’offrir un soutien à sa conjointe (St-Arneault, 2021), ce qui représente vraisemblablement le besoin le mieux reconnu par l’entourage puisqu’il correspond aux attentes sociales à l’égard des pères. Également, l’accès à une diversité d’information sur la grossesse, le développement du bébé, la naissance, les soins à donner au bébé contribue à engager le père dans une conduite où il peut se sentir utile et compétent (Shorey et al., 2017). De plus, les soins directs au bébé (comme le bain, le boire, le massage) contribuent au développement du lien d’attachement et consolident sa place auprès de ce dernier et de la mère (St-Arneault, 2019; Rominov et al., 2016).

La réponse aux besoins du père

Divers facteurs peuvent faciliter la réponse aux besoins du père. La relation avec les intervenants œuvrant auprès des familles façonne indéniablement l’expérience de la paternité. En effet, les intervenants qui s’intéressent au vécu du père et prennent en considération sa présence contribuent à créer un espace où les besoins de ce dernier peuvent s’exprimer. Cette sensibilité professionnelle permet l’adaptation des services et des pratiques aux réalités paternelles (flexibilité dans les plages horaires proposées, activités spécifiques, etc.) (Boiteau et al., 2019; Shorey et al., 2017). De surcroît, des moments de la période prénatale sont particulièrement marquants pour les pères. C’est notamment le cas pour les échographies qui permettent de concrétiser l’existence de l’enfant pour le père (Boiteau et al., 2019). Il s’agit d’occasions pour les intervenants d’entrer dans l’univers subjectif de celui-ci.

La réponse aux besoins des pères lors de la période périnatale repose également sur une volonté gouvernementale à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, et ce, autant dans la sphère familiale que sur le plan socioéconomique. Ainsi, des politiques et programmes publics qui renforcent l’engagement précoce et soutenu du père dès la période prénatale de même qu’une relation coparentale de qualité avec la mère constituent des leviers structuraux incontournables (Wells, 2016). Par exemple, en 2006, le Québec a mis en place un congé réservé aux pères (de cinq semaines) à la naissance de leur enfant, en plus de leur donner la possibilité de partager le congé parental subséquent avec la mère. Harvey (2019) souligne que depuis l’implantation du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), les pères québécois sont les « champions nord-américains » de l’engagement paternel. En effet, en 2018, c’est 7 pères éligibles sur 10 qui ont touché des prestations du RQAP (RQAP, 2020).

Besoins et tâches développementales du père lors de la période périnatale

Sur le plan psychologique, évoquer la présence d’un ensemble de besoins signifie que la personne est engagée dans l’accomplissement de tâches développementales qui exigent d’elle temps, efforts et ressources (internes et externes). Ainsi, les pères ne sont pas inactifs face aux besoins qui les caractérisent lors de la période périnatale; ils s’engagent dans un travail mental, relationnel et social (Lacharité, 2009). Ce travail, qui est mis en mouvement par les besoins présentés précédemment, peut être décrit comme étant un portage (au sens du holding de Winnicott) qui se manifeste sous trois formes (Baker et Lacharité, 2011). Une première forme est le portage de la mère où, pour cette dernière, le père joue un rôle de figure d’attachement qui l’amène à élaborer de nouvelles représentations mentales à propos de celle-ci de même que de nouveaux comportements de caring. Une seconde forme est le portage de l’enfant. Le père porte évidemment l’enfant dans son esprit et dans ses relations sociales (plutôt que dans son corps). L’évocation mentale et sociale de l’enfant constitue donc un élément central dans l’expérience paternelle lors de la période périnatale et un précurseur important de l’engagement relationnel futur face à ce dernier. Une dernière forme est le portage de lui-même. Il s’agit de ce que le père fait avec lui-même au moment où il fait des choses pour la mère et l’enfant. Cela évoque la transformation identitaire dans son rapport non seulement aux femmes et aux enfants, mais aussi aux autres hommes lors de la période périnatale.

Références

Baker, M. et Lacharité, C. (2011). Un autre regard sur les événements entourant la naissance : la perspective des pères. Conférence donnée à la 5e Su-père Conférence. Montréal.

Baker, M., Miron, J.-M. et de Montigny, F. (2009). Entre la sage-femme et le père, des espaces coconstruits : étude exploratoire. Enfances, familles, générations, 11, 64-79.

Baker, M., Miron, J. M., de Montigny, F., Lacharité, C. et Boilard, H. (2007). Le rôle des sages-femmes dans le parcours des pères lors de la période périnatale. Revue québécoise de psychologie, 28, 11-31.

Boiteau, C., Apter, G. et Devouche, E. (2019). À l’aube de la paternité… Une revue du vécu des pères pendant la période périnatale. Devenir, 31, 249-264.

Dayton, C. J., Buczkowski, R., Musik, M., Goletz, J., Hicks, J., Walsh, T. B. et Bocknek, E. (2016). Expectant fathers’ beliefs and expectations about fathering as they prepare to parent a new infant. Social Work Research, 40, 225-236.

de Montigny, F. et Lacharité, C. (2004). Fathers’ perceptions of the immediate postpartum period: What we need to know. Journal of Obstetrics and Gynaecological Nursing, 33, 328-339.

de Montigny, F. et Lacharité, C. (2005). Devenir père : un portrait des premiers moments. Enfances, familles et générations, 3, 40-55.

Edward, K.-L., Castle, D., Mills, C. et Casey, J. (2015). An integrative review of paternal depression. American Journal of Men’s Health, 9, 26-34.

Hamilton, L. A. (2003). The Political Philosophy of Needs. Cambridge, R.-U. : Cambridge University Press.

Harvey, V. (2019). Papa 2.0 Les pères québécois et les congés parentaux (thèse de doctorat en sociologie). Québec, Québec : Université Laval.

Lacharité, C. (2009). L’expérience paternelle entourant la naissance sous l’angle du discours social. Enfances, familles, générations, 11, i-x.

Léger Opinion. (2021). Enquête auprès des pères d’enfants de moins de 18 ans. Rapport préparé pour le RVP. https://www.rvpaternite.org/wp-content/uploads/2021/06/sondage-leger_sqp2021.pdf

Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP). (2020). Guide d’adaptation des pratiques aux réalités paternelles. Montréal : Regroupement pour la valorisation de la paternité.

Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). (2020). Profil des prestataires du RQAP 2018. http://www.cgap.gouv.qc.ca/statistiques/portrait.asp

Rominov, H., Pilkington, P. D., Giallo, R., Whelan, T. A. (2016, mai). A systemic review of interventions targeting paternal mental health in the perinatal period. Infant Mental Health Journal, 37(3), 289-301.

Shorey, S., Dennis, C.-L., Bridge, S., Chong, Y. S., Holroyd, E. et He, H.-G. (2017). First-time fathers’ postnatal experiences and support needs: A descriptive qualitative study. Journal of Advanced Nursing, 73, 2987-2996.

St-Arneault, K. (2019). Paternité : portail d’information périnatale. Québec : Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/onglet/information-perinatale-paternite-fiche-complete

Venning, A., Herd, M. C. E., Smith, D. P., Lawn, S. J., Mohammadi, L., Glover, F. …Quartermain, V. (2021). “I felt like less than a shadow in the room”: Systematic review of the experiences and needs of news fathers. Psychology of Men & Masculinities, 22, 135-155.

Wells, M. B. (2016). Literature review shows that fathers are still not receiving the support they want and need from Swedish child health professionals. Acta Paediatrica, 105, 1014-1023.