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Les impacts du manque d’accès aux services psychologiques

Christine Grou, psychologue | Présidente de l'Ordre des psychologues du Québec 


 

En janvier dernier, le journaliste Patrick Lagacé publiait dans La Presse une chronique intitulée « “Demandez de l’aide”, disent-ils », à la suite de laquelle l’Ordre des psychologues a publié un communiqué saluant ses propos et réitérant que le manque de psychologues dans le réseau public est un problème sous-estimé au Québec. 

« Pour l’aide psychologique, écrit M. Lagacé, le plus simple est de payer, d’“aller au privé”, selon la formule consacrée en tout. Ça coûte entre 80 $ et 125 $ la séance de 50 minutes. La plupart des plans d’assurance collective ne paient que quelques séances, bien moins que ce qui est requis pour vraiment identifier ses bibittes en thérapie… On nous dit de demander de l’aide. Mais même quand on CRIE pour avoir de l’aide, il y a de grandes chances – y a des exceptions – qu’on ne vous en donne pas. »

La situation décrite par le réputé journaliste est bien réelle, conforme à ce que vivent les personnes en détresse qui demandent de l’aide psychologique. Les réactions à cet article démontrent à quel point la population du Québec s’y est reconnue : plus de 4300 partages de l’article sur Facebook et des centaines de commentaires et de témoignages ont fusé sur les réseaux sociaux.

Un très grand nombre de psychologues, autant dans le réseau que dans les cliniques privées, ressentent les impacts importants de cet état de choses tous les jours. En effet, chaque jour, des personnes qui ont été placées sur des listes d’attente du réseau public communiquent avec l’Ordre pour savoir où s’adresser pour accéder à des services. Souvent, la seule porte d’entrée à des services psychologiques est le privé, pour ceux qui en ont les moyens ou qui sont assurés. 

Or, lorsqu’une personne se décide à consulter, c’est parce que la détresse est très importante ou que sa problématique de santé mentale la rend souffrante, voire dysfonctionnelle. En étant placées sur des listes d’attente, faute de moyens, les personnes qui ont besoin de ces services sont à risque de voir s’aggraver leur problématique, de la voir se complexifier et se chroniciser, entraînant des impacts familiaux, relationnels et professionnels importants. Il coûte plus cher à l’État de ne pas prioriser le problème et d’en subir les conséquences plutôt que d’offrir un accès adéquat à des services psychologiques. 

 

Il existe par ailleurs une autre réalité qui n’a pas été abordée par le journaliste de La Presse et qui découle de cet engorgement dans le réseau. En effet, plusieurs psychologues qui pratiquent en bureau privé nous rapportent qu’ils se retrouvent avec une clientèle accrue de personnes vivant avec des problématiques multiples et complexes ( troubles concomitants), les troubles dépressifs réfractaires aux traitements ou récidivants avec problématiques secondaires (consommation, troubles de la personnalité) les troubles bipolaires, voire des troubles psychotiques ou encore un trouble de la personnalité avec passage à l’acte, risque suicidaire, etc.. Il peut, dans certains cas, paraître périlleux, compte tenu de la complexité, de l’évaluation des ressources psychiques et des risques potentiels, de traiter des personnes présentant des problématiques aussi lourdes dans le cadre de certaines pratiques privées : particulièrement lorsque le psychologue doit travailler dans un cadre thérapeutique limité par le mandat donné par le client ou par un tiers payeur (p. ex. une seule rencontre par semaine ou aux deux semaines). 

Le cadre actuel de la pratique privée ne facilitant pas toujours la collaboration interprofessionnelle requise dans ces cas complexes, la valse des démarches commence alors pour les psychologues en bureau privé, comme pour leurs clients. 

Selon l’évaluation qu’il fait du niveau de détresse et du niveau de risque pour son client, le psychologue se voit parfois contraint de diriger celui-ci vers les urgences des hôpitaux ou des centres de crise. Or, dans le contexte actuel des urgences, il n’y a pas non plus d’accès direct aux services psychologiques. On évalue la personne, et si la problématique concorde avec l’offre de soins et de services de santé mentale de l’organisation, on l’envoie (ou non) dans un programme où elle sera (ou non) en attente. Au terme de cette attente, il y aura réévaluation des besoins et on pourra (ou non) offrir un service psychologique, s’il en est de disponibles dans ce programme. Dans l’intervalle de l’attente de suivi, le risque que la personne abandonne la démarche et se trouve plus tard dans une crise plus importante augmente. 

Il paraît donc important pour la population que des moyens soient pris afin que les personnes pour lesquelles des services psychologiques sont nécessaires puissent y avoir accès gratuitement lorsque requis, et ce, en temps opportun. Depuis de nombreuses années, l’Ordre des psychologues fait des représentations pour que les services psychologiques soient plus accessibles tant dans le secteur privé que sans le secteur public. 

En 2012, le Commissaire à la santé et au bien-être a recommandé au gouvernement du Québec d’offrir un accès équitable aux services de psychothérapie. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) travaille actuellement à l’amélioration de l’accès à la psychothérapie, dont l’efficacité et le rapport coûts-bénéfices ont largement été démontrés. Le rapport final est attendu en 2017. L’Ordre des psychologues s’attend à ce que les conclusions de ce rapport de l’INESSS permettent au gouvernement de prendre les moyens de faciliter l’accès à la psychothérapie. Il s’agirait là d’un pas dans la bonne direction.

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