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Les programmes multidisciplinaires à visée psychothérapeutique : des nuances à apporter

Pierre Desjardins, psychologue, consultant et ex-directeur de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec.


La loi 21 définit la psychothérapie de sorte qu’on puisse la distinguer d’autres activités ou interventions. Cette distinction n’est toutefois pas toujours simple à faire, puisqu’il y a des interventions qui n’en sont pas, qui s’y apparentent et qui, de surcroît, sont intégrées à la psychothérapie en cours de processus ou sont prévues dans la démarche que soutiennent certains modèles théoriques. Ces interventions sont définies dans le Règlement sur le permis de psychothérapeute. Il s’agit de la rencontre d’accompagnement, de l’intervention de soutien, de l’intervention conjugale et familiale, de l’éducation psychologique, de la réadaptation, du suivi clinique, du coaching et de l’intervention de crise. Cela dit, la psychothérapie doit être accessible au moment opportun sans égard au fait qu’un client ait ou non des ressources financières, qu’il se présente en première, en deuxième, en troisième ligne ou ailleurs. Elle doit être offerte quand c’est requis, par un professionnel habilité, pour éviter que la situation ne se détériore et que les problèmes ne se chronicisent.

Les programmes multidisciplinaires à visée psychothérapeutique

L’Ordre a publié un avis en avril 2013 sur un programme thérapeutique multidisciplinaire1. Cet avis sert, dans certains milieux, de référence pour déterminer quels services peuvent offrir différents professionnels engagés dans un même programme psychothérapeutique, considérant qu’ils ne détiennent pas tous les mêmes compétences ou habilitations. Tous, cependant, ne comprennent pas l’avis de l’Ordre de la même façon. Il importe donc de faire le point sur ces programmes dont l’offre de services implique une intervention qui vise, entre autres, le traitement d’un client, son soutien, son accompagnement, son éducation et sa réadaptation.

La complémentarité de la psychothérapie et des autres interventions

Bien que l’Ordre insiste sur l’importance d’accéder à la psychothérapie, il ne porte pas de jugement sur la valeur relative des interventions qu’offrent différents professionnels en santé mentale et en relations humaines. La psychothérapie, comme toute autre intervention, a ses caractéristiques propres et ses indications. Elle n’est pas une panacée, mais elle est efficace et l’exercer demande des compétences particulières. Elle peut être offerte seule, en première intention ou encore en conjonction ou en complémentarité, dans le cadre d’un programme d’intervention mobilisant différents professionnels, dans un contexte multidisciplinaire, ou, le cas échéant, en remplacement d’une ou d’autres interventions, et ce, considérant notamment sa nature et sa finalité particulières.

Dans le cadre de programmes multidisciplinaires à visée psychothérapeutique qui s’adressent à des clientèles ciblées et qui visent à traiter des problématiques ou des troubles bien définis, comme le programme ayant fait l’objet de l’avis de l’Ordre, l’enjeu est de s’assurer qu’on a bien circonscrit et délimité l’offre de services afin que tous les professionnels qu’on compte y mobiliser aient la possibilité d’intervenir selon leur champ d’exercice, leurs compétences propres et leurs habilitations.

La psychothérapie : un ensemble indissociable d’interventions et de techniques

On aurait tort de croire, sur la base de l’avis de l’Ordre, que toutes les interventions offertes dans le cadre de programmes à visée psychothérapeutique sont nécessairement de la psychothérapie. Cependant, on peut comprendre que ceux qui sont habilités à l’exercice de la psychothérapie puissent le penser, car l’ensemble de ces interventions peut faire partie d’un processus psychothérapeutique. En effet, les manuels de référence en psychothérapie, et plus particulièrement ceux qui portent sur la thérapie cognitivo-comportementale, présentent une démarche de traitement psychothérapeutique qui, de façon indissociable, intègre des interventions de l’ordre notamment du soutien, de l’accompagnement, de l’éducation psychologique et de la réadaptation, tout en préconisant le recours à des techniques particulières. Parfois même, les interventions doivent être faites en respectant une séquence prédéterminée et, dans tous les cas, elles doivent être réalisées au moment opportun, en fonction des besoins des clients, ce à quoi sont dûment formés les psychologues et détenteurs de permis de psychothérapeute. Bien sûr, ces interventions non réservées peuvent aussi être offertes hors du cadre de la psychothérapie. Par contre, si, pour permettre l’implication d’autres professionnels, il s’agissait de dissocier en somme des interventions qui, comme le prescrivent les modèles théoriques par exemple, sont intégrées dans la psychothérapie, il y a un risque qu’on dénature le processus psychothérapeutique en l’amputant de ses composantes essentielles et qu’ainsi on porte atteinte à son efficacité.

La psychothérapie : diverses modalités

Il ne faut pas non plus interpréter l’avis de l’Ordre en concluant que la modalité (intervention individuelle ou en groupe) peut servir de critère pour déterminer la nature des interventions. En effet, ce n’est pas parce qu’une personne est suivie individuellement dans le cadre d’un programme à visée psychothérapeutique qu’on doit conclure qu’il s’agit nécessairement de psychothérapie et, inversement, ce n’est pas parce que les interventions se font en groupe qu’il ne s’agit pas de psychothérapie.

La multidisciplinarité : considérations cliniques, organisationnelles et déontologiques ou légales

Le choix des professionnels à impliquer dans l’offre de services n’est pas simple. Il est important à cet égard que soit affirmée l’identité professionnelle de chacun et que soit valorisé leur apport spécifique. Il faut bien se connaître et se reconnaître pour s’entendre et se coordonner afin d’offrir un panier de services différents et complémentaires.

Le choix des professionnels à mobiliser implique la prise en compte de diverses considérations, dont celles d’ordre clinique, organisationnel et déontologique ou légal.

Sur le plan clinique, il faut entre autres s’arrimer sur :

  • les besoins et les ressources des clients qu’on aura préalablement évalués avec rigueur;
  • les indications à leur offrir de la psychothérapie ou une intervention autre qui s’accrocherait à un champ d’exercice professionnel particulier;
  • les données probantes;
  • l’évaluation en continu de l’efficacité des services offerts.

Sur le plan déontologique ou légal, un professionnel ne peut s’engager dans des activités pour lesquelles il ne détient pas les compétences. Il ne peut non plus exercer des activités qui ne lui seraient pas légalement réservées. Il est ici pertinent de rappeler que l’évaluation des troubles mentaux est une autre activité réservée. Cette évaluation doit être incluse dans l’évaluation initiale rigoureuse, préalable à la psychothérapie, si on compte engager un client dans des interventions psychothérapeutiques conçues pour traiter un trouble en particulier, y compris les traitements dont font état des données probantes.

Sur le plan organisationnel, le réseau public doit disposer de ses ressources de façon optimale pour répondre à ses responsabilités populationnelles. Il doit tenir compte des professionnels sur lesquels il s’appuie pour délimiter le panier de services. Ce faisant, il ne peut ignorer que ceux-ci ne sont pas interchangeables.

La question de la multidisciplinarité ouvre sur la possibilité que la psychothérapie de groupe implique deux co-intervenants, dont l’un pourrait ne pas être habilité à la psychothérapie, ce dont fait état la conclusion de l’avis de l’Ordre. Cependant, la présence d’un tel co-intervenant n’est pas obligatoire. Il faut bien comprendre que la pertinence d’une telle implication repose sur ce que le co-intervenant peut apporter de spécifique, en fonction notamment de son champ d’exercice ou de son expertise, et ce, à la lumière du contenu à aborder. Il faut aussi bien avoir en tête que les professionnels mandatés pour offrir la psychothérapie intègrent nécessairement en séances ou en cours de processus et à des degrés variables des interventions qui sont de l’ordre du soutien, de l’accompagnement, de l’éducation, de la réadaptation, pour ne nommer que celles-ci, et ce, selon ce que préconise le modèle théorique en référence et selon les besoins, les capacités et les ressources de leurs clients.

Par ailleurs, dans les cas où la psychothérapie de groupe s’adresserait à une clientèle particulièrement difficile et que, pour mieux y répondre, on jugerait essentiel que les deux co-intervenants soient habilités à l’exercice de la psychothérapie, il serait plutôt mal avisé de vouloir remplacer l’un d’eux par un professionnel qui n’y est pas habilité. Il faut en effet s’assurer que la co-intervention ne porte pas atteinte à l’efficacité ou à l’efficience de la psychothérapie, mais serve plutôt à enrichir cette dernière.

Conclusion

Dans le contexte actuel où on est à modifier l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux et où les ressources se font rares, il importe plus que jamais de mettre en place de solides procédures d’évaluation, incluant l’évaluation initiale rigoureuse devant précéder l’offre de psychothérapie2, afin de déterminer qui est à même de tirer profit des services qu’on compte offrir. Dans tous les cas, il faut non seulement évaluer les personnes en vue de les orienter adéquatement et de mandater les bons professionnels, mais il faut aussi évaluer en continu l’efficacité des services offerts, quels qu’ils soient, pour s’assurer que leur pertinence se maintienne.