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Les rituels de deuil périnatal : l’accompagnement psychologique des parents dans la symbolisation d’une mort insensée

Dre Jessica Lara-Carrasco, psychologue
Dans sa pratique privée, elle s’intéresse aux enjeux entourant la périnatalité et se spécialise dans l’accompagnement des parents vivant un deuil périnatal.

 


La perte d’un bébé durant la période périnatale1 est une expérience des plus tragiques dans le parcours d’un parent. Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), de 15 à 20 % des grossesses se concluent en fausses couches (c’est-à-dire le décès d’un embryon ou d’un fœtus non viable pesant moins de 500 grammes, qui survient au cours des 20 premières semaines de grossesse), tandis que les mortinaissances (c’est-à-dire le décès d’un fœtus pesant au moins 500 grammes ou ayant atteint un âge gestationnel d’au moins 20 semaines) constituent un phénomène beaucoup plus rare (probabilité de 4/1000) (INSPQ, 2019)2.

Le deuil périnatal est compliqué pour les parents du fait qu’il ne reste à peu près pas de souvenirs concrets du bébé après sa mort; le rituel de deuil intervient donc comme un moyen de faire reconnaître à la fois son existence et sa perte (Soubieux, 2013). Dans le contexte actuel de pandémie, on peut s’interroger sur le sort des parents endeuillés et sur les pratiques de rituels qu’il leur a été possible de faire au plus fort des mesures de confinement. Nous ferons donc ici une recension de littérature sur le rituel en contexte de deuil périnatal, suivie d’une description des meilleures pratiques pour accompagner les parents dans leurs rituels. La particularité du deuil périnatal en période de pandémie sera abordée pour conclure.

Les rituels de deuil périnatal

Lorsqu’une personne décède, le rituel de deuil offre une occasion pour les proches de se réunir pour dire au revoir au défunt, pour se remémorer les souvenirs de son vivant et pour intégrer la réalité de sa mort (Kobler et al., 2007). Grâce à l’expression symbolique de son vécu face à la perte de l’être cher, le rituel permet à la personne endeuillée de cheminer dans son processus de guérison. Or, parmi les expériences de deuil, celle qui résulte de la perte d’un enfant à naître est reconnue comme étant complexe et potentiellement traumatique, en plus d’être taboue dans notre société occidentale (Leon, 2008; Diamond et Diamond, 2016; Markin et Zilcha-Mano, 2018). De fait, une revue de la littérature indique que parmi les séquelles psychologiques résultant de la perte périnatale, le développement d’un état de stress post-traumatique ou de troubles anxieux est une réaction particulièrement fréquente chez les parents endeuillés (Diamond et Diamond, 2016). Il s’agit également d’un deuil extrêmement complexe, entre autres parce que la présence de l’enfant n’aura jamais été aussi tangible que pour ses parents, en particulier pour sa mère qui l’aura porté et senti bouger dans son corps. Or, mis à part ces sensations et quelques clichés d’échographies, les souvenirs concrets du bébé sont rarissimes, voire absents de la réalité du deuil périnatal. Quant au tabou entourant la perte d’un bébé en devenir, bien que des efforts aient été déployés dans les dernières années pour sensibiliser la population au deuil périnatal3, il arrive encore fréquemment que l’entourage banalise la perte ou garde un silence encombrant face au chagrin des parents, ce qui ne fait qu’amplifier le vide laissé par la mort du bébé et l’isolement des parents. Un autre enfant viendra, leur dit-on comme pour faire taire une douleur que l’on s’attendrait à voir se résorber rapidement (Soubieux, 2013). Cette malhabile invalidation de la souffrance parentale n’est pas étrangère à l’absence de rituels portés par notre société pour soutenir le deuil d’un bébé qui n’aura jamais existé pour les autres, ce qui en fait à juste titre un deuil « silencieux », « invisible » (Markin et Zilcha-Mano, 2018). 

La recherche indique qu’au moins 25 % des parents endeuillés vivent une souffrance psychologique notable durant les deux années qui suivent la perte périnatale, dont l’apparition de symptômes dépressifs et anxieux (Leon, 2008; Diamond et Diamond, 2016). On sait aussi que l’absence d’expériences de rituels peut avoir un impact néfaste sur le processus de guérison des parents, ce qui alourdit la détresse avec laquelle doivent déjà composer nombre d’entre eux (Kobler et al., 2007; Markin et Zilcha-Mano, 2018). Or, pour les cliniciens qui œuvrent en périnatalité, le rituel de deuil est un acte de reconnaissance qui a une valeur thérapeutique pour les parents. En effet, « les rituels proposés au moment du décès du fœtus, montrer le fœtus mort, le prénommer, effectuer des obsèques, sont des actes qui rendent réels l’enfant et sa perte » (Soubieux, 2013). Ils permettent ainsi de faire reconnaître l’enfant socialement et de l’inscrire dans la lignée familiale (Leon, 2008). 

L’accompagnement des parents dans leurs pratiques de rituels de deuil

Grâce aux avancées des dernières décennies en médecine obstétricale, les unités de naissance accueillent aujourd’hui la vie bien plus souvent que la mort. Cet éclatant contraste des vécus qui composent la réalité des soignants exige donc que des espaces de rituels soient continuellement pensés, créés et préservés pour aider les parents en deuil d’un enfant à authentifier leur perte et à amorcer un travail de cicatrisation. Au Québec, le temps de l’hospitalisation, ce sont habituellement les infirmières qui ont pour rôle de réunir des souvenirs du bébé4  et d’offrir aux parents leurs premières expériences de rituels. Les « objets transitionnels » avec lesquels repartiront les parents constituent pour eux une preuve concrète de l’existence du bébé et de leur expérience de parentalité (LeDuff et al., 2017). Certaines unités de naissance ont aussi dans leur équipe des intervenants psychosociaux qui sont mis à contribution pour accompagner les parents et l’équipe soignante dans l’accueil de la réalité de la mort du bébé et dans la réflexion des rituels que les parents choisiront de pratiquer.

Que ce soit pendant l’hospitalisation ou après, les rituels ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’un protocole rigide; ils se doivent d’être proposés en considérant la singularité de chaque expérience, tout comme la culture d’appartenance, les croyances et les valeurs des parents (Kobler et al., 2007; Leon, 2008). Sur le terrain, on insiste sur une approche sensible et empathique respectant le rythme et les limites des parents dans leur capacité à accueillir la réalité de la mort du bébé. Étant donné le choc traumatique caractérisant la perte d’un enfant, auquel cas pourrait s’ajouter un accouchement médicalisé qui affecterait momentanément les capacités cognitives de la mère, les parents peuvent avoir de la difficulté à choisir quels rituels pourraient leur convenir (Blood et Cacciatore, 2014). Il importe donc qu’ils soient informés de manière éthique sur le rationnel clinique et scientifique derrière l’acte de collecter des souvenirs concrets du bébé pendant leur hospitalisation; sans insister, il ne faut pas non plus hésiter à répéter l’information de sorte que soit saisie l’idée que les occasions pour réunir certaines expériences ne se présenteront pas de nouveau. Puis, rares sont les parents qui disent regretter d’avoir pris l’enfant dans leurs bras ou de l’avoir photographié, mais plus souvent, des parents disent regretter de ne pas avoir saisi l’occasion de le faire, ou déplorent qu’on ne les ait pas renseignés sur ces pratiques (LeDuff et al., 2017). Puisque la disposition du corps du bébé peut se faire soit par la famille, soit par l’hôpital, il s’avère aussi pertinent de renseigner les parents sur les rituels pouvant être organisés après leur congé (par exemple des funérailles, une cérémonie de commémoration organisée par l’hôpital ou par un organisme de deuil périnatal).

Quant au psychologue, il pourra être sollicité à tout moment pour accompagner les parents dans l’élaboration de rituels qui auront une signification pour eux (Diamond et Diamond, 2016; Markin et Zilcha-Mano, 2018). Il importe que le clinicien et les parents qu’il accompagne soient au fait qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de vivre un deuil, ni de limite de temps pour « l’accomplir » (ne dit-on pas par ailleurs qu’un deuil ne se termine jamais?). Il est aussi pertinent de renseigner le couple sur les variations qui peuvent se manifester chez chacun des partenaires dans leur vécu de deuil, puisqu’une incompréhension de ces divergences pourrait s’avérer source de conflits entre eux. L’écriture peut être encouragée pour permettre aux parents d’internaliser et de transformer leur lien avec le bébé perdu; cette pratique peut aussi donner accès au vécu de chaque partenaire pour approfondir leur compréhension mutuelle et leur relation. Enfin, il convient de garder en tête, comme thérapeute, le tabou que notre société porte à l’endroit de la perte périnatale et qui contribue au sentiment d’isolement des parents. À chaque étape, on peut donc inciter les parents à inclure leurs proches dans les rituels qu’ils auront choisi de pratiquer afin de créer des occasions de recevoir du soutien. Il peut aussi être utile d’outiller les parents dans la formulation de réponses aux commentaires parfois maladroits et déstabilisants que peut tenir l’entourage afin de leur redonner un sentiment de compétence et de contrôle qui, souvent, est fortement ébranlé par leur expérience de perte (Diamond et Diamond, 2016). 

Le deuil périnatal en période de pandémie

Au Québec, au plus fort de la pandémie de COVID-19, les mesures de confinement sont venues bousculer les activités des ressources en deuil périnatal et réduire les possibilités pour les parents de recevoir du soutien social (Clavel, 2020). Durant la crise, la plupart des hôpitaux ont interdit les visites à l’ensemble de leurs patients, incluant les parents en deuil d’un bébé (à notre connaissance, le partenaire a toujours été admis). Il n’y a actuellement aucune publication concernant l’impact de la pandémie sur le vécu des parents en deuil périnatal. Selon notre expérience et celle d’autres cliniciens sur le terrain, une détresse due à l’isolement a bel et bien été remarquée chez les parents en deuil d’un bébé à naître. Ceci dit, une étude présentement menée sur cette question dans 14 pays a son volet francophone dirigé par Francine de Montigny à l’Université du Québec en Outaouais . Selon ce que la chercheuse a gracieusement accepté de partager avec nous, les résultats préliminaires indiquent que les parents ont pu réaliser peu de rituels au moment du décès de l’enfant en 2020 et en 2021; des analyses en cours nous diront dans un avenir prochain quels en auront été les impacts sur leur bien-être psychologique et sur leur sentiment de solitude.

Remerciements

Merci à Louna Kadoch, travailleuse sociale à l’Hôpital général juif, à Mélissa Lalonde, infirmière au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Cécile Delaware, psychologue au Centre hospitalier universitaire de Montréal, et à Francine de Montigny, professeure au Département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais, pour le partage de leurs connaissances sur le deuil périnatal.

Notes

1. Cette période dure du début de la grossesse jusqu’à 28 jours postpartum, selon l’Organisation mondiale de la santé.

2. Le décès périnatal englobe aussi l’interruption de grossesse (volontaire ou médicale) et la mort néonatale (jusqu’à 28 jours de vie).

3. Le 15 octobre est la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal.

4. Par exemple, les parents sont encouragés, mais non forcés, à voir et à prendre leur bébé. On offre aussi dans plusieurs hôpitaux une boîte à souvenirs avec le bracelet d’hôpital du bébé, la pince à cordon ombilical, le ruban à mesurer avec l’inscription de sa taille, les vêtements qu’aura portés le bébé, sa carte de naissance, ses empreintes (mains et pieds) et, si possible, une mèche de ses cheveux. Si les parents le souhaitent, des photos du bébé peuvent être prises par le personnel infirmier ou par des bénévoles (par exemple grâce à la Fondation Portraits d’Étincelles dans la région de Montréal). Certains hôpitaux disposent également d’une chambre froide ou d’un berceau réfrigérant (CuddleCot) qui permet aux parents de prolonger leur séjour avec le bébé.


Références

Blood, C. et Cacciatore, J. (2014). Best practice in bereavement photography after perinatal death: Qualitative analysis with 104 parents. BMC Psychology, 2(15), 1-10.

Clavel, E. (2020, 15 mai). Faire le deuil d’un bébé, encore plus compliqué en confinement. HuffPost Québec. https://www.huffpost.com/archive/qc/entry/deuil-perinatal-confinement-covid-19_qc_5ebafbc6c5b6d318df6d4cb5

Diamond, D. J. et Diamond, M. O. (2016). Understanding and treating the psychosocial consequences of pregnancy loss. Dans A. Wenzel (dir.), The Oxford Handbook of Perinatal Psychology. New York, NY : Oxford University Press.

Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). (2019). Décès et deuil périnatal. Portail d’information périnatale. https://www.inspq.qc.ca/information perinatale/fiches/deces-et-deuil-perinatal

Kobler, K., Limbo, R. et Kavanaugh, K. (2007). Meaningful moments: The use of ritual in perinatal and pediatric death. The American Journal of Maternal/Child Nursing, 32(5), 288-297.

LeDuff, L. D., Bradshaw, W. T. et Blake, S. T. (2017). Transitional objects to facilitate grieving following perinatal loss. Advances in Neonatal Care, 17(5), 347-353.

Leon, I. G. (2008). Helping families cope with perinatal loss. Global Library of Women’s Medicine’s. www.glowm.com

Markin, R. et Zilcha-Mano, S. (2018). Cultural processes in psychotherapy for perinatal loss: Breaking the cultural taboo against perinatal grief. Psychotherapy, 55(1), 20-26.

Soubieux, M.-J. (2013). Le berceau vide : deuil périnatal et travail du psychanalyste (2e édition). Coll. « La vie de l’enfant », Toulouse, France : Érès.