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Personnalité narcissique et réactions émotionnelles au contexte de rejet interpersonnel

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un psychologue se questionne quant aux enjeux relationnels vécus par une personne aux prises avec un trouble de personnalité narcissique (TPN) et désire approfondir ses connaissances à propos du TPN.

La recherche portant sur le trouble de personnalité narcissique permet de mettre en lumière deux dimensions manifestes dans ce trouble, à savoir la dimension du sens grandiose (de sa propre personne) et la dimension de vulnérabilité. Or, ces dernières ne correspondent pas tout à fait aux deux principaux types de personnalité narcissique, respectivement « à découvert » (en anglais : overt) ou « cachée » (en anglais : covert).

Il existe à ce jour un débat à propos de certaines caractéristiques qui pourraient être considérées comme « centrales » au TPN, à savoir existantes chez tous les individus hautement narcissiques, ou encore comme « périphériques », à savoir permettant d’émettre un diagnostic plus précis (sous-catégorisé). En effet, s’il y a consensus autour de la personne TPN prototypique, définie par le sens grandiose et l’antagonisme, c’est-à-dire se présentant comme ayant droit à plus que la moyenne des gens et étant peu aimable, il n’existe pas de consensus entourant la personne TPN vulnérable, névrotique et aux affects négatifs.

Le lien entre les dimensions de vulnérabilité et de sens grandiose n’est pas simple. Selon un modèle à trois branches, les manifestations de vulnérabilité et de sens grandiose du TPN découleraient d’une combinaison de sous-dimensions, à savoir d’une part l’antagonisme et le névrosisme pour la dimension de vulnérabilité, puis d’autre part l’antagonisme et l’extraversion pour la dimension de sens grandiose.

Une autre théorie suggère que ces deux dimensions du narcissisme ne sont pas distinctes, mais plutôt coexistantes chez plusieurs individus, à différents degrés. Ceci mènerait à des manifestations comportementales et à l’expression d’affects différents, pouvant alimenter des difficultés sociales ou affecter le fonctionnement émotionnel, par exemple par une réponse de honte à certains stresseurs. La dimension de sens grandiose s’inscrirait ainsi par rapport à des stratégies d’humour visant à mettre le soi en valeur et par des fantasmes grandioses. La dimension de vulnérabilité s’inscrirait quant à elle relativement à la dépression, à l’hypersensibilité, aux idéations suicidaires et à la honte face aux blessures narcissiques.

Une autre approche diagnostique vise quant à elle un construit de narcissisme unifié et définit l’antagonisme comme une passerelle entre les manifestations de sens grandiose et de vulnérabilité. De ce fait, l’hostilité en réponse au rejet interpersonnel constitue une variable intéressante à explorer puisqu’elle se manifeste autant en contexte de sens grandiose que de vulnérabilité. Une étude récente d’Aslinger et al. (2021) se penche sur une investigation exploratoire des différentes trajectoires de l’hostilité menant au rejet interpersonnel ou se déployant en réaction au rejet interpersonnel, auprès d’une population présentant des traits de personnalité narcissique (selon l’inventaire de personnalité NEO).

Cette étude, menée auprès de 116 participants, dont 56 personnes présentant une instabilité sur le plan affectif et un trouble de personnalité et 60 autres constituant le groupe contrôle, requiert des participants qu’ils achèvent différents types de rapports au quotidien pendant 18 jours. Des demandes imprévisibles au cours de la journée permettent d’évaluer la trajectoire quotidienne des affects, en contexte de rejet interpersonnel s’il y a lieu. Les résultats de l’étude font ressortir un lien entre l’hostilité menant au rejet , à la fois en contexte de sens grandiose et de vulnérabilité. Or, l’hostilité est supérieure en contexte de sens grandiose à l’occasion d’une situation de rejet, et le retour à un niveau de neutralité après avoir fait l’expérience d’hostilité est plus lent en contexte de vulnérabilité. Ainsi, les individus définis par le sens grandiose seraient mieux capables de se remettre d’une accumulation de sentiments hostiles vécus avant et après une situation de rejet. Ils seraient moins en proie à la rumination que les individus définis par la vulnérabilité, lesquels auraient tendance à se retirer des interactions sociales en contexte de rejet.

À la fois en contexte de sens grandiose et de vulnérabilité, les individus antagonistes se sentiraient moins concernés par l’opinion d’autrui, l’écarteraient plus facilement quitte à la mépriser de façon hostile et se désinvestiraient plus facilement face aux relations interpersonnelles. Le fait d’ignorer ainsi l’opinion d’autrui pourrait constituer une défense contre les réponses affectives défavorables des autres. En effet, le rejet s’inscrirait en conflit avec le concept de soi narcissique, typiquement défini par un sentiment de valeur personnelle exagérée et le sentiment irréaliste d’avoir droit à plus qu’autrui. Les comportements antagonistes pourraient donc précéder les expériences de rejet, ou encore les précipiter.

Ainsi, l’antagonisme interpersonnel comme composante centrale du trouble de personnalité narcissique, unifiant ses aspects vulnérable et grandiose, se voit confirmé étant donné les trajectoires similaires de l’hostilité menant au rejet, et ce, tout autant en contexte de vulnérabilité que de sens grandiose. L’élément propre au sens grandiose concerne l’amplification plus importante de l’hostilité au moment du rejet et un retour plus rapide à la normale, c’est-à-dire une réponse accrue suivie de comportements mieux à même de réguler le besoin narcissique d’approbation d’autrui et ainsi une récupération affective plus rapide à la suite du rejet.

Référence