Michel Dugas, psychologue : bien vivre avec les incertitudes de la vie
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
Professeur au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), Michel Dugas a consacré les 30 dernières années à l’étiologie et au traitement du trouble d’anxiété généralisé (TAG). Depuis 2013, il s’intéresse à la validation d’un nouveau traitement psychologique pour le TAG fondé sur la diminution de l’intolérance à l’incertitude.
Pandémie, confinement, insécurité financière : les temps sont durs pour les personnes souffrant du trouble d’anxiété généralisé (TAG). « L’incertitude que nous vivons en lien avec la COVID-19 est un puissant moteur d’inquiétude pour ces personnes, reconnaît Michel Dugas, parce qu’il leur est extrêmement difficile de ne pas réagir de façon excessive (avec inquiétude et anxiété) à la pandémie. »
Professeur à l’Université Concordia et chercheur clinicien à la Clinique des troubles anxieux à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal durant 15 ans, il enseigne depuis 2013 au Département de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), où il est également directeur du laboratoire des troubles de l’anxiété.
Le modèle de l’intolérance à l’incertitude qu’il a commencé à développer lors de ses études doctorales à l’Université Laval dans les années 1990 est utilisé dans le monde entier et a transformé la façon dont scientifiques et cliniciens traitent les personnes atteintes du TAG.
En 2017, le chercheur-clinicien a reçu le prix Donald-O.-Hebb de la Société canadienne de psychologie, une récompense qui lui a été décernée pour souligner sa contribution significative à la psychologie en tant que science et son apport exceptionnel dans le domaine du traitement psychologique du TAG.
L’anxieux réagit de façon excessive à l’incertitude
Les gens souffrant du TAG, a observé le psychologue, présentent des symptômes « d’allergie psychologique à l’incertitude ». Qu’il s’agisse de boulot, d’amour ou de politique, ils sont affectés de façon disproportionnée par les problèmes rencontrés au quotidien et déploient des scénarios catastrophes.
« Or, ce qui distingue les personnes souffrant du TAG des personnes non anxieuses, explique-t-il, c’est l’intolérance des premières à la moindre incertitude. » En d’autres mots, les personnes atteintes du TAG vont se faire du mauvais sang à propos de situations qui ne sont pas objectivement dangereuses.
Quant à savoir si les personnes souffrant du TAG sont fragilisées davantage en période de confinement en raison des nombreuses restrictions et des consignes du gouvernement, le spécialiste répond par l’affirmative. « Les appréhensions des patients atteints du TAG face à la COVID-19 viennent s’ajouter à toutes leurs alarmes habituelles. Et, bien sûr, ces personnes se sentent vulnérables. »
Un père syndicaliste
Se décrivant comme « un gars d’Ottawa », Michel Dugas a grandi dans une famille « où tous les soirs on soupait avec Michel Chartrand », dit-il avec humour pour évoquer son père syndicaliste dans la fonction publique. Ce père qui avait « le cœur sur la main » craignait que son fils ne s’éloigne de ses racines en fréquentant l’université. « J’étais le premier à entreprendre des études supérieures dans la famille et il avait peur que je devienne froid. » Il m’a dit : « Promets-moi que tu vas rester humain. »
À l’Université d’Ottawa, il délaisse rapidement ses études en biochimie pour se diriger vers la psychologie. Il obtient son baccalauréat en 1984. À l’Université Laval, un an plus tard, il commence ses études de maîtrise sous la supervision du professeur Robert Ladouceur, un précurseur dans la recherche sur l’anxiété chronique.
Il passe ensuite cinq ans à travailler comme psychologue clinicien au Centre hospitalier de Gatineau, où ses clients le consultent pour des problèmes allant de la dépression à l’anxiété. Il constate alors « un vide » pour tout ce qui concerne le TAG. Le concept, relativement nouveau à l’époque, ciblait certains symptômes comme l’inquiétude excessive, mais les traitements recensés dans la littérature se bornaient à des interventions générales.
Le grand tournant de sa carrière
Désireux d’en apprendre davantage, Michel Dugas retourne sur les bancs de l’Université Laval pour y faire des études doctorales. Et c’est là, plus précisément dans le laboratoire du Dr Ladouceur, qu’il aura l’occasion de développer, avec son groupe de recherche, un premier modèle de traitement du TAG. Le modèle comportemental et cognitif du traitement qu’il aura ensuite l’occasion de valider comprend quatre composantes, soit l’intolérance à l’incertitude, la surestimation de l’utilité de s’inquiéter, les difficultés de résolutions de problèmes et l’évitement cognitif.
Au début des années 1990 survient le grand tournant de sa carrière. « Nous partions du principe que pour vaincre une peur, il faut s’y exposer. Mais avec des gens qui s’inquiètent à propos de tout et de rien, on ne peut utiliser notre arme classique. La grande percée s’est produite lorsqu’on a découvert que l’intolérance à l’incertitude constituait le principal facteur de risque chez les gens souffrant du TAG. »
Diminuer l’intolérance à l’incertitude : comment ça marche
La thérapie comportementale et cognitive pour le TAG mise au point par Michel Dugas et ses collègues invite le client à comparer ses croyances personnelles prédéterminées (par exemple : son couple va éclater) et le lien entre celles-ci et ce qui se passe dans le monde réel (où, en général, peu de changements surviennent dans un court laps de temps).
Il y a plusieurs façons de tester l’intolérance à l’incertitude. Par exemple, le client pourra être encouragé à manger un repas dans un nouveau restaurant, afin de tester sa conviction que « l’inconnu gâche tout ».
Pour un clinicien, le meilleur chemin est souvent le plus direct. S’appuyant sur ce principe, il s’intéresse aujourd’hui à la validation d’une solution de rechange thérapeutique qui privilégie une seule composante de l’ancien modèle, soit l’intolérance à l’incertitude. « En psychologie clinique, dit-il, plus nos interventions sont simples et tangibles, plus nos clients sont en mesure de bien les comprendre et de les appliquer de façon optimale. »
Dans ce nouveau protocole de traitement, il s’agit toujours d’exposer le client à une situation qu’il évite habituellement. Avant de procéder, le thérapeute demandera à son client de prédire ce qui va se produire. À la suite de l’exposition, tous deux compareront ce qui s’est effectivement produit à la prédiction, qui s’avère le plus souvent beaucoup plus menaçante que ce qui se produit dans la réalité. « Cela donne l’occasion au client ou à la cliente de faire de nouveaux apprentissages, dit-il. Ceci a comme effet de diminuer l’intolérance à l’incertitude. »
Le TAG est vieux comme le monde
Mais qui sont ceux qui souffrent d’anxiété généralisée? Pourquoi, tout à coup, nous paraissent-ils si nombreux? Faut-il blâmer la crise sanitaire, les réseaux sociaux, le réchauffement climatique?
Le spécialiste ne croit pas à une maladie spécifiquement liée à la prolifération des médias sociaux par exemple. « Les gens nous vantent le bon vieux temps, comme si le passé était moins inquiétant. Songez aux deux guerres mondiales. Plus de quatre ans! Quelqu’un qui souffre du TAG va toujours trouver une raison pour s’inquiéter. » Cela dit, la pandémie est certainement une crise majeure qui accroît l’anxiété.
Les comportements sécurisants
Les patients prennent conscience de leur état au début de la vingtaine ou au milieu de la trentaine, « avec l’arrivée des responsabilités (familiales entre autres) ». Même si on en parle de plus en plus dans les médias, il s’agit d’un trouble qui demeure difficile à diagnostiquer, notamment parce que les gens préfèrent se pencher sur leurs symptômes physiques.
Un indice? Les comportements sécurisants que la personne anxieuse utilise pour éviter une catastrophe annoncée et qui jouent un rôle déterminant dans le maintien des troubles anxieux.
Comme ces comportements constituent une voie d’évitement et qu’ils contribuent au maintien des troubles anxieux, le thérapeute devra encourager son client à s’en débarrasser progressivement de façon à favoriser l’apparition de nouvelles façons de faire face à l’incertitude.
Il y aura toujours de l’incertitude
Auteur de plus de 90 articles scientifiques, de deux guides pratiques pour appréhender le TAG et de 15 chapitres de livres, il a toujours été soucieux de mettre la recherche scientifique au service des gens. De retour dans l’Outaouais depuis 2013, le chercheur-clinicien planifie consacrer la « deuxième moitié de sa carrière » à « faire avancer la compréhension du problème » auprès du grand public, notamment dans la francophonie. Il compte d’ailleurs profiter de sa prochaine année sabbatique pour écrire et publier un premier livre sur le TAG en français.
La grande satisfaction qu’il trouve dans son travail lui provient en partie de ceux qu’il a aidés. « Un jour, je reçois une lettre d’Australie de la part d’une femme que je ne rencontrerai jamais et que j’ai aidée par mes écrits. Évidemment, ça me touche. »
Avec son nouveau traitement simplifié pour le TAG, il espère rejoindre encore plus de gens.
« Bien sûr, le principe c’est d’aider ces personnes souffrant d’un TAG à s’exposer à des situations qui provoquent l’incertitude. Mais le but ultime, c’est qu’elles apprennent à vivre avec les incertitudes de la vie. »