Les lauréats des Prix de l'Ordre 2022
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
De gauche à droite, le Dr Martin Lepage, psychologue et récipiendaire du Prix professionnel, la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, la Dre Pascale Brillon, psychologue et lauréate du Prix professionnel, Mme Chloé Sainte-Marie, lauréate du Prix de la santé et du bien-être psychologique, la Dre Francine Cyr, psychologue et lauréate du Prix Noël-Mailloux, le Dr Janel Gauthier, psychologue et lauréat du Prix Noël-Mailloux, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice.
L’apport exceptionnel des psychologues qui ont contribué de façon particulière à l’avancement de la profession a été souligné et célébré lors de la cérémonie des Prix de l'Ordre 2022, présentée dans le cadre de la 26e édition du Congrès de l'Ordre. Pour l'occasion, quatre psychologues se sont vus remettre un Prix de l'Ordre au cours de cette cérémonie animée par la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice. Le Congrès 2020 ayant dû être annulé en raison de la pandémie, deux Prix Noël-Mailloux et deux Prix professionnels ont ainsi été décernés lors de cet événement qui s'est déroulé le 4 novembre dernier, au Palais des congrès de Montréal.
Nous vous présentons, en ordre alphabétique, les portraits des lauréats du Prix Noël-Mailloux, suivis des lauréats du Prix professionnel. Soulignons par ailleurs que Mme Chloé Sainte-Marie, lauréate du Prix de la santé et du bien-être psychologique, fera l'objet d'un portrait dans la prochaine édition du magazine Psychologie Québec.
Dre Francine Cyr, psychologue | Prix Noël-Mailloux
Véritable cheffe de file dans le domaine de la psychologie judiciaire, la Dre Francine Cyr s’est démarquée par ses travaux de recherche et par sa carrière de professeure en psychologie pour enfants et adolescents.
La Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, la Dre Francine Cyr, psychologue et lauréate du Prix Noël-Mailloux, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice.
Depuis l’obtention de son doctorat en 1982, la lauréate du Prix Noël-Mailloux se bat pour la protection des droits et des besoins des enfants. Au moment de recevoir son prix, en novembre dernier au Palais des congrès, la Dre Francine Cyr a relaté qu’elle avait connu, alors qu'elle était étudiante, le fondateur du Département de psychologie de l’Université de Montréal, qui a donné son nom à la plus haute distinction qu’un psychologue peut recevoir au cours de sa carrière au Québec.
Elle a joué un rôle majeur dans l’instauration du programme de médiation familiale au Québec et s’est penchée, comme psychologue et femme de science, sur les plus importantes mutations sociales de notre époque, depuis l’éclatement de la famille traditionnelle dans les années 1980-1990 jusqu’à la transidentité revendiquée par les jeunes qui poussent la porte de son bureau de psy aujourd’hui.
Grâce à son expertise en matière d’aliénation parentale, de garde partagée et de conflits familiaux, les « enfants du divorce » sont mieux protégés. Instigatrice, avec l’avocate en droit de la famille Sophie Gauthier et la juge en chef associée à la Cour supérieure du Québec Catherine LaRosa, du protocole de gestion psychojudiciaire des familles à haut niveau de conflits (ce protocole est appelé « PCR », pour parentalité, conflit et résolution), mis en place à la Cour supérieure du Québec, elle a fait en sorte que ce système novateur fonctionne et, espère-t-elle, puisse un jour devenir permanent et disponible dans tous les districts judiciaires du Québec.
Selon les termes du projet pilote, les parents en conflit s’engagent à suivre une psychothérapie. Pour soutenir les professionnels exerçant dans ces dossiers difficiles, la Dre Cyr offre un espace de supervision hebdomadaire où les dossiers les plus épineux sont discutés. « Ces cas de divorce hargneux constituent 15 % des dossiers, mais mobilisent 90 % des ressources à la cour », spécifie-t-elle. En vertu du PCR, la psychologue fait un rapport au juge. C’est ce qui rend son rôle important.
« Mon mérite, c’est d’avoir introduit l’interdisciplinarité dans ces protocoles innovants », explique la Dre Cyr. « J’y crois depuis l’époque où j’étais jeune psy à l’Hôpital de Montréal pour enfants. J’y ai passé dix ans. C’est à cet endroit que j’ai pris conscience du rôle unique du psychologue pour fédérer les équipes. »
De la famille traditionnelle au genre non binaire
Ayant grandi dans une petite ville des Basses-Laurentides durant les années 1950, au milieu d’une famille de six enfants, avec des parents qui, avant de décéder, ont pu célébrer 60 ans de vie commune, elle s’étonne encore d’être devenue la « spécialiste des hauts conflits familiaux », reconnue internationalement pour ses travaux de recherche.
Le fait d’exercer son métier de clinicienne à Montréal pendant 45 ans lui a permis de s’ouvrir à d’autres réalités que les siennes. « Je travaille avec des adolescents et ma clientèle est d’origine diverse, avec beaucoup d’enfants d’immigrants. »
Dans son bureau du quartier Notre-Dame-de-Grâce, la question identitaire se pose fréquemment chez les jeunes. Ils vont me dire : “Je ne sais si je suis un garçon ou une fille ou non genré.” C’est un défi contemporain pour un psychologue. J’essaie de les accompagner. »
Elle mentionne une jeune personne transgenre qui avait passé l’étape de l’hormonothérapie et qui voulait être un garçon. « Sa voix avait mué. Je travaillais avec elle, évidemment sans jugement, jusqu’à ce que je me rende compte que dans le milieu où elle avait été élevée, les femmes étaient traitées en inférieures, et que sa démarche visait entre autres à se donner du pouvoir. Mais son père m’a congédiée. Il voulait prendre les choses en main. »
La consultation, un art à exercer avec doigté
Aux jeunes psychologues, la Dre Francine Cyr conseille de rester curieux, de consulter leurs collègues, de ne pas s’isoler. Elle ajoute : « Tâchez de rester modestes par rapport à la profession, parce qu’on ne change pas le monde. »
La clé, pour les cliniciens du moins, c’est de rester à l’écoute, de ne jamais s’enfermer dans ses certitudes. « Moi, mon art, je l’exerce à travers les consultations et la psychothérapie. Ma créativité me vient de ma capacité à penser en dehors de la boîte. »
De la recherche à la pratique
Constamment à l’affût de ce qui pourrait l’aider à exercer sa profession autrement, elle apprend de sa clientèle. Ainsi, elle a observé que dans certaines cultures, « la garde partagée est impensable ». Ce genre de situation, admet-elle, « remet en question les modèles primés par la science ». Mais on doit s’adapter et rester ouvert à la différence. « On ne peut être borné si on est psychologue. »
Cette expérience lui est précieuse lorsqu’elle enseigne. À ses étudiants du Département de psychologie de l’Université de Montréal, elle n’a jamais voulu dispenser un savoir uniquement théorique. Au contraire, son but a toujours été d’intégrer la science et la pratique.
« J’ai beaucoup aimé ma carrière universitaire. Les remarques que j’apprécie le plus en provenance de mes étudiants me décrivent comme celle qui leur a donné le goût d’une vocation auprès des enfants. Je faisais en sorte que mes enseignements soient très incarnés dans le terrain. En retour, ils ont apprécié la passion qui m’habitait. »
À l’heure de la retraite, elle a promis à son mari et père de ses trois enfants, adultes aujourd’hui, de se consacrer enfin à autre chose que la psychologie. Elle prévoit apprendre une troisième langue et se remettre à la musique ainsi qu'à la peinture. Elle souhaite aussi faire du bénévolat en garderie. Et, surtout, elle a hâte de se consacrer à son nouveau rôle de grand-maman – son petit-fils est né quelques heures avant qu’on lui décerne ce prix Noël-Mailloux! Elle l’aura bien mérité.
Dr Janel Gauthier, psychologue | Prix Noël-Mailloux
Le Dr Janel Gauthier, psychologue, s’est vu remettre la plus haute distinction de l’Ordre, le Prix Noël-Mailloux, qui souligne l’ensemble d’une carrière marquée par l’excellence.
La Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, le Dr Janel Gauthier, psychologue et lauréat du Prix Noël-Mailloux, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice.
Durant les années 1950, à Black Lake, une ville minière aujourd’hui fusionnée à Thetford Mines, Janel Gauthier passait son temps plongé dans les livres de graphologie et de caractérologie. « J’étais un enfant timide, à l’affût du moindre indice qui me permettrait de décrypter les comportements des gens autour de moi. Je suis devenu très tôt un observateur en ce sens-là. »
Son père était mineur, comme la grande majorité des hommes de la petite localité. Et Janel a été le premier et unique rejeton de sa famille à poursuivre ses études jusqu’à l’université. En plus d’y avoir acquis l’essentiel de sa formation, le Dr Gauthier passera 34 ans à l’Université Laval comme professeur et comme chercheur. Célébré pour sa contribution exceptionnelle au développement de la profession de psychologue, il est une des figures les plus respectées de la psychologie québécoise sur la scène canadienne et internationale.
Malgré cette impressionnante feuille de route, ce mentor exceptionnel pour ses étudiants, qui a pris sa retraite de l’Université Laval en 2012, n’a jamais oublié le contexte social dans lequel il a grandi : « À Black Lake, toutes les mines appartenaient aux Anglais et tous ceux qui y travaillaient étaient francophones. Cette situation a fait de moi un ennemi irréductible du colonialisme. Je m’en souviendrai plus tard. »
Une carrière marquée par l'engagement et l’excellence
Après avoir obtenu un doctorat en psychologie clinique en 1975 à l’Université Queens à Kingston, en Ontario, le Dr Gauthier est retourné à Québec, où il est rapidement devenu un psychologue engagé dans sa société.
Au début des années 1980, les travaux de recherche qu’il a effectués en collaboration avec le professeur Albert Bandura – une inspiration pour Janel Gauthier –, de l’université Stanford, ont permis de mettre en évidence le rôle de la libération d’endorphines lorsque des stratégies cognitives sont utilisées pour contrôler la douleur.
Parmi les nombreux postes qu’il a occupés au sein de diverses organisations scientifiques et professionnelles, il a été le premier Canadien à assumer la fonction de président à l’Association internationale de psychologie appliquée, il a siégé douze ans (de 2001 à 2013) comme membre du conseil d’administration de l’Ordre et il a fondé et co-présidé l’association Troubles anxieux du Québec. « J’aurais pu me limiter à bien faire mon travail. Mais j’ai rapidement compris qu’un psychologue doit sortir de sa zone de confort. »
Visionnaire, bilingue, informé, cultivé, le professeur Gauthier a été l’un des premiers au Canada à promouvoir le modèle du « savant praticien », modèle qui est devenu un cadre de référence pour la formation en psychologie clinique et qui a donné naissance à plusieurs programmes de doctorat menant au grade de docteur en psychologie. Il a créé un groupe de travail pour définir un modèle de formation des psychologues qui a par la suite été adopté dans plusieurs programmes universitaires au Canada.
Le premier programme du genre agréé par la Société canadienne de psychologie a d’ailleurs été créé sous sa direction. Auteur réputé et conférencier recherché, Janel Gauthier a également mené des recherches qui ont eu de nombreuses retombées positives sur le traitement de la douleur, de l’anxiété, de la dépression, du deuil et d’une faible estime de soi.
Inspiré par la juriste Louise Arbour
Sur la scène internationale, le Dr Gauthier est reconnu pour avoir présidé le comité qui a formulé la Déclaration universelle des principes éthiques pour les psychologues, laquelle, au terme de six ans de travaux, a été adoptée à l’unanimité, en 2008, par les organisations qui en avaient parrainé l’élaboration, soit l’Union internationale de psychologie scientifique et l’Association internationale de psychologie appliquée. Depuis, cette déclaration sert de guide aux organisations nationales et internationales qui souhaitent rédiger un code d’éthique ou le mettre à jour.
Pour l’esprit de la Déclaration, le Dr Gauthier s’est inspiré entre autres des travaux de la juriste Louise Arbour, alors haute-commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme, une femme qu’il admire. « Je voulais un projet avec une vision la plus inclusive possible, respectueuse des différentes cultures et religions. »
Aux jeunes psychologues, le « professionnel actif passionné » qu’il est demeuré conseille de sortir de leur zone de confort. « La société a besoin de vous. N’attendez pas de recevoir une invitation. Prenez les devants. Impliquez-vous dans les cliniques et centres de prévention des violences de toutes sortes, dans les politiques de l’immigration. Le psychologue a un rôle de premier plan à jouer pour aborder les problèmes de la société. »
À l’âge où de nombreuses personnes ralentissent leurs activités, le Dr Gauthier, détenteur d’une ceinture noire 7e dan et en pleine forme, n’en a pas l’intention : ceux qui ont eu la chance d’assister à la cérémonie de remise des Prix de l’Ordre ont d’ailleurs pu constater à quel point il était un orateur toujours aussi inspiré qu’inspirant.
Dre Pascale Brillon, psychologue | Prix professionnel
Spécialiste du traitement de l’anxiété et du trouble de stress post-traumatique (TSPT), la Dre Pascale Brillon est la psychologue à qui l’on fait appel pour expliquer l’inexplicable, pour voir la souffrance ou pour en comprendre le sens. La grande spécialiste du TSPT a remporté le Prix professionnel de l’Ordre dans le cadre de son 26e congrès.
La Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, la Dre Pascale Brillon, psychologue et lauréate du Prix professionnel, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice.
Du pouvoir salvateur de la résilience
Vous l’avez peut-être aperçue à la télévision, dans la foulée de la tragédie de Lac-Mégantic, au lendemain d’une fusillade dans une école ou dans les premiers mois de la pandémie – la Dre Brillon a effectivement été invitée sur le plateau de Tout le monde en parle le 24 mars 2020 pour parler des effets de la COVID-19 sur notre moral.
Celle qui a reçu le Prix professionnel de l’Ordre des psychologues en 2022 a donné plusieurs centaines de formations, ici et en Europe, sur le deuil traumatique et le TSPT, notamment auprès d’intervenants et d’intervenantes travaillant avec des groupes de personnes agressées sexuellement, traumatisées ou démunies. « Quand tout va bien, plaisante-t-elle, on ne me voit pas. Survient une guerre, et je réapparais. Franchement, j’espère manquer de travail un jour. »
Cet humour un peu caustique est sa façon de lutter contre le stress et de prévenir la fatigue de compassion. En clinique, elle recommande aux clients de se faire confiance pour traverser les épreuves : « Ne fuyez pas. »
« La vie est dure, constate-t-elle encore, mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras. » Elle en veut aux pessimistes qui peignent notre monde en noir. Elle qui, depuis 1994, a vu tant de parents en deuil, tant de chagrin, tant de victimes du système colonial, notamment chez les Autochtones, croit au pouvoir salvateur… de la résilience.
Vulgarisatrice et femme d’action
Depuis 2004, la Dre Pascale Brillon a notamment publié plusieurs ouvrages, des dizaines d’articles dans les quotidiens grand public ainsi qu’une trentaine d’articles scientifiques. Parmi ses ouvrages de de vulgarisation scientifique, mentionnons son plus récent, Entretenir ma vitalité d’aidant. Guide pour prévenir la fatigue de compassion et la détresse professionnelle (Éditions de l’Homme, 2020), qui a obtenu un grand retentissement dans la profession.
Femme d’action, rédactrice en chef de la revue Science et Comportement, la Dre Pascale Brillon n’a pas hésité à ouvrir une clinique privée en 2015 pour réagir à la « catastrophe engendrée par la réforme Barrette dans le milieu psychiatrique ». L’Institut Alpha, qu’elle dirige toujours, correspond à ses valeurs, et les psychologues qui y travaillent conservent leur influence.
Contre une vision pessimiste du monde
Pour la psychologue et chercheuse, il y a une différence entre la vision pessimiste que la plupart d’entre nous avons du monde et la réalité dans laquelle nous vivons. « Voir le monde comme un psychologue », le thème du 26e congrès de l’Ordre, c’est selon elle dépasser la vision trop répandue selon laquelle l’apocalypse est à nos portes. Parmi les lectures qui l’ont influencée, elle cite l’ouvrage Factfulness, de Hans Rosling, dont le sous-titre en français (Flammarion) se décline ainsi : « La saine habitude de fonder son opinion sur les faits ».
Professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal depuis six ans – une « heureuse surprise dans [sa] carrière » – et directrice du laboratoire de recherche Trauma et Résilience, la Dre Brillon encourage ses étudiants à se projeter au-delà du rideau médiatique et à se forger une opinion basée sur les faits. « Auriez-vous préféré vivre durant la Renaissance? », lance-t-elle parfois en classe pour les faire réfléchir.
Le parcours d’une battante
Arrivée au Québec à l’âge de huit ans, la petite Pascale Brillon a vécu une partie de son enfance en Côte-d’Ivoire. Sa mère est protestante, son père catholique. Chacun à leur manière, ils lui ont inculqué le sens du devoir et « l’obligation de redonner à la société ». À l’adolescence, soucieuse de répondre à cet idéal, elle caressait le rêve de devenir médecin sans frontière. Mais au cégep, elle néglige ses études au profit des activités sociales, devenant notamment la première femme élue présidente de son association étudiante. Elle rate ainsi l’examen d’entrée en médecine à l’université. Sur le coup, elle ressent un choc, car elle est une athlète, une gagnante. Elle a en effet derrière elle des heures d’entraînement comme gymnaste de compétition. « C’étaient les années Comaneci, explique-t-elle. Mon sport a fait de moi quelqu’un de discipliné. Aujourd’hui, je ne regrette pas du tout de m’être dirigée en psychologie, et j’essaie d’apprendre à tirer du plaisir de la vie sans culpabiliser. »
L’écriture est le domaine dans lequel elle laisse le plus facilement cours à sa fantaisie. Elle écrit la nuit, c’est sa bulle pour prendre du recul par rapport au métier exigeant qui est le sien. « J’ai tendance à me permettre un côté plus artistique, plus littéraire, à mesure que je vieillis. Il y a 20 ans, je ne me serais pas écoutée. Je crains moins le jugement… »
Et quelles sont les réalisations dont la Dre Pascale Brillon est le plus fière? « Ma famille, répond-elle spontanément. Ma relation avec ma fille de 19 ans et ma relation avec mon mari : je suis fière de voir tout ce que nous avons construit ensemble. »
Dr Martin Lepage, psychologue | Prix professionnel
Ce prix que lui a décerné l’Ordre des psychologues lors de l’édition 2022 de son congrès, le Dr Martin Lepage le voit comme un encouragement à poursuivre ses efforts. « Je suis chercheur et je suis psy, a-t-il déclaré en entrevue quelques jours avant la remise des prix. Je travaille pour bâtir une clinique pour psychotiques. Je suis content qu’une telle contribution soit reconnue. »
La Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre, le Dr Martin Lepage, psychologue et lauréat du Prix professionnel, et Édith Cochrane, comédienne et animatrice.
Une carrière sous le signe de l’innovation
Directeur scientifique délégué et chercheur clinicien à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, le Dr Martin Lepage est un pionnier dans l’exploration de diverses techniques cliniques et de neuro-imagerie (IRM, IRMf, imagerie du tenseur de diffusion, stimulation magnétique transcrânienne) pour soulager la psychose. Il a publié plus de 225 articles scientifiques et ses textes ont été cités plus de 10 000 fois.
Psychologue, clinicien et assoiffé de science, le Dr Lepage est aussi un leader et un bâtisseur. En 2011, il a réussi à obtenir les subventions nécessaires permettant la création du Centre d’imagerie cérébrale du Centre de recherche Douglas à Montréal. En 2016, toujours à l’Institut Douglas, il a mis sur pied le premier et unique Centre d’intervention psychologique personnalisée pour la psychose (CI3P) au Québec, dont l’équipe est composée de psychologues, de neuropsychologues et d’internes en psychologie.
Tout en se réjouissant des progrès accomplis depuis les dernières années dans le traitement des psychoses, le Dr Lepage déplore l’état des services en matière de santé mentale dans le secteur public au Québec. « Oui, je trouve ça décourageant, résume-t-il avec le franc-parler qui le caractérise. D’ici la fin de l’année, on comptera 900 postes de psychologues non comblés dans le secteur public. Cette crise est due aux conditions salariales déplorables que Québec accorde à ses psychologues – des femmes pour la plupart, et qui ont un doctorat. En Ontario, où les gens sont beaucoup mieux traités, cette situation n’existe pas. »
Rencontre avec la psychologie
Avant d’entrer au cégep, le Dr Lepage, qui n’était encore que le jeune Martin, ne savait à peu près rien de la psychologie. C’est un peu par hasard qu’il aboutit dans un cours de psychologie. Il reçoit alors un tel choc qu’il se met à lire abondamment sur le sujet.
De fil en aiguille, il se retrouve à l’Université Concordia où, du même coup, il apprend l’anglais et se prépare à faire carrière en psychologie. Après avoir obtenu un doctorat de l’Université du Québec à Montréal, le Dr Lepage poursuit des études postdoctorales à Toronto, approfondissant ses connaissances en se frottant aux différentes techniques d’imagerie qui lui permettent de comprendre les bases neurobiologiques de la schizophrénie. Surtout, c’est à Toronto qu’il a la chance de faire la connaissance du Dr Endel Tulving.
Un mentor qui allait changer le cours de sa vie
À l’Université de Toronto, au Rotman Research Institute of Baycrest Center, le Dr Martin Lepage côtoie en effet le psychologue expérimentaliste et neuroscientifique Endel Tulving, docteur, grand spécialiste de la mémoire : une sommité. Tulving pourrait être son père. Il le devient un peu par la force des choses. Les deux scientifiques ont des atomes crochus. Cette rencontre va changer sa vie. « Endel Tulving, qui est né en 1927 en Estonie, a été mon mentor, à la fois sur le plan de la carrière et sur le plan personnel, affirme le Dr Lepage. J’ai vécu auprès de lui trois années incroyables. Il est pour moi un modèle d’intégrité sur le plan de la recherche, un modèle de réussite. Arrivé au Canada après la fin de la guerre (son pays, l’Estonie, avait été envahi par les Russes, un peu comme l’Ukraine aujourd’hui) avec rien dans les poches, il s’est construit tout seul. Il se gardait toujours en forme, faisait du sport assidûment. Je m’entraîne aussi. J’ai appris beaucoup de lui. »
Vers des avancées dignes de la science-fiction
À son tour, aujourd’hui, de devenir le mentor des étudiants de l’Université McGill qu’il forme dans son laboratoire et qu’il dirige au doctorat. Une tâche à laquelle il prend beaucoup de plaisir. Toujours à l’avant-garde des avancées en psychologie, il aimerait que les psys continuent de rester, les jeunes comme les plus vieux, ouverts à l’innovation. « Il ne faut pas tenir pour acquis que ce que l’on fait ou que l’on connaît est bon pour l’éternité. »
Le Dr Lepage explique que les récentes découvertes dans le domaine de la technologie sont spectaculaires. Il donne comme exemple les enquêtes que l’on pourra bientôt faire sur l’usage du téléphone cellulaire par un patient afin de détecter si une personne est en dépression ou non. Ce nouvel outil mesurera la fréquence et le contenu des textos, par exemple, ou encore le ton de la voix de la personne lorsqu’elle parle. « On n’est pas dans la science-fiction, mais presque. Alors, mon conseil aux psys, puisque vous me demandez d’en formuler un, c’est de rester intéressés à tout ce qui est nouveau et de voir comment intégrer les découvertes à leur pratique clinique. »