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Pour une meilleure prévention de la violence - La levée du secret professionnel en situation de danger

Me Édith Lorquet, directrice des services juridiques à l'Ordre des psychologues du Québec - elorquet@ordrepsy.qc.ca
Avec la collaboration de Me Cindy Décarie, secrétaire du conseil de discipline de l'Ordre.


Dans cette chronique, nous préciserons quelques notions importantes relatives au secret professionnel et nous nous centrerons plus particulièrement sur l’art. 60.4 du Code des professions et sur les critères donnant ouverture à la levée du secret professionnel en situation de danger.

Le secret professionnel
Le droit au secret professionnel est enchâssé dans la Charte des droits et libertés de la personne1. C’est un droit qui appartient à la personne qui fait appel à un professionnel qui, conséquemment, doit s’engager à le respecter. Il sert à protéger le client et non le professionnel. Ce droit est au cœur de la relation professionnelle puisqu’il donne au client l’assurance qu’il peut se confier sans crainte et qu’il contrôle malgré cela la divulgation des informations qui le concernent. Grâce à cela, le professionnel peut accéder à de l’information sensible, privilégiée, de sorte qu’il pourra mieux comprendre et mieux intervenir.

La règle générale, c’est de respecter le droit au secret professionnel qui ne peut être levé que si le client l’autorise ou encore si la loi l’autorise ou l’ordonne. Depuis 2001, l’art. 60.4 du Code des professions2 prévoit une autre exception au secret professionnel en vue d’éviter un acte de violence, disposition que l’on trouve dans le Code de déontologie des psychologues.

Rappelons qu’en décembre 2001, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Smith contre Jones3, et après une enquête du coroner Bérubé dans un cas très grave de violence conjugale, le Code des professions a été modifié pour qu’une autre exception au secret professionnel y soit introduite en vue d’éviter un acte de violence y compris le suicide. Cette disposition (art. 60.4), ne crée cependant pas une obligation de signalement, mais permet aux professionnels, en l’occurrence aux psychologues, de dévoiler l’information nécessaire pour la prévention d’un acte de violence sous réserve de certaines conditions et modalités.

En 2017, la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité a modifié le Code des professions afin de clarifier les circonstances dans lesquelles l’exception au secret professionnel prévue à l’art. 60.4 serait applicable. Il est à noter que cette loi a aussi introduit, par son art. 21, l’obligation pour les professionnels de signaler les cas de maltraitance envers les aînés et les personnes vulnérables qui sont portés à leur connaissance, et ce, malgré le secret professionnel. Cet article stipule ce qui suit :

« Tout prestataire de services de santé et de services sociaux ou tout professionnel au sens du Code des professions (chapitre C-26) qui a un motif raisonnable de croire qu’une personne est victime d’un geste singulier ou répétitif ou d’un défaut d’action appropriée qui porte
atteinte de façon sérieuse à son intégrité physique ou psychologique doit signaler sans délai ce cas pour les personnes majeures suivantes :
 
  1. toute personne hébergée dans une installation maintenue par un établissement qui exploite un centre d’hébergement et de soins de longue durée au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2);
  2. toute personne en tutelle ou en curatelle ou à l’égard de laquelle un mandat de protection a été homologué.
Le signalement est effectué auprès du commissaire local aux plaintes et à la qualité des services d’un établissement si cette personne y reçoit des services ou, dans les autres cas, à un corps de police, pour qu’il soit traité conformément aux chapitres II ou III, selon le cas.
Le présent article s’applique même aux personnes liées par le secret professionnel, sauf à l’avocat et au notaire qui, dans l’exercice de leur profession, reçoivent des informations concernant un tel cas. »


S’il ne s’agit pas d’aînés ou de personnes vulnérables, comme définis dans l’article précité, c’est l’art. 60.4 du Code des professions, tel que modifié depuis 2017 , qui régit la conduite professionnelle. Il se lit maintenant comme suit (les modifications apparaissent en caractères gras) :

« Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession.
 
Il ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse.
 
Le professionnel peut en outre communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il a un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence. Toutefois, le professionnel ne peut alors communiquer ce renseignement qu’à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication.
 
Pour l’application du troisième alinéa, on entend par « blessures graves » toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité physique, à la santé ou au bien-être d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiable. »
 

Cette modification de la disposition introduite au Code des professions en 2001 permet de mieux en comprendre le sens et la portée. L’article précise maintenant ce qu’il entend par « blessures graves », et il y a lieu de retenir que la nature psychologique de la blessure doit clairement être prise en compte s’il s’agit de lever le secret professionnel. Ouvrons une parenthèse pour dire que, déjà en 1991, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire R. contre McCraw5, considérait qu’une blessure grave comprenait une blessure psychologique. Dans cette affaire, la cour a décidé que des menaces de viol par lettre pouvaient être considérées comme une blessure psychologique grave.

Le libellé actuel permet également de lever la confusion associée au critère d’imminence d’un danger de mort ou de blessures graves auquel il fallait précédemment se référer. En effet, certains professionnels comprenaient, à bon droit, qu’imminence du danger signifiait danger immédiat. Ils s’interrogeaient alors sur le délai à l’intérieur duquel il était possible de croire que le danger est imminent. Le concept est maintenant plus clair puisqu’on se réfère dorénavant au « […] risque sérieux de mort ou de blessures graves [qui] menace une personne ou un groupe de personnes identifiable et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence […] ».

À propos du « peut » et du « doit »
Il est important de mentionner que le législateur a choisi d’utiliser le terme peut dans le cadre de cette exception au secret professionnel, laissant la discrétion au professionnel d’apprécier les faits selon son jugement afin qu’il puisse déterminer si, dans les circonstances et selon toutes les informations qu’il détient, il a suffisamment d’éléments pour prendre la décision de lever le secret professionnel6. Le professionnel a discrétion, sous réserve toutefois de son devoir général de prudence et de diligence raisonnable, ainsi que du devoir, imposé à tout citoyen par l’art. 2 de la Charte des droits et libertés de la personne, de porter secours à toute personne dont la vie est en péril7. Il ne s’agit donc pas d’une discrétion absolue, et la responsabilité de la personne qui divulgue ou non un renseignement peut être engagée.

Afin de prendre la décision de divulguer des renseignements confidentiels en vue d’empêcher un acte de violence, le professionnel devra faire la balance des inconvénients en déterminant, à l’aide de son jugement clinique, si le risque de danger l’emporte sur le droit fondamental au secret professionnel.

En vue de prévenir un acte de violence, dont le suicide
La levée du secret professionnel en situation de danger vise à prévenir un acte de violence à venir et non pas à divulguer un événement qui se serait produit dans le passé. Un professionnel qui reçoit la confession de son client voulant qu’il ait déjà commis un acte de violence ne peut donner ouverture à cette exception.

Lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire à un risque sérieux
Le Code des professions prévoit que le professionnel doit avoir un motif raisonnable de croire (…). Il ne suffit donc pas que le psychologue ait un soupçon que nous pourrions illustrer par : « je pense », « je soupçonne », « je suspecte », « je flaire », « je me doute que… »8. Cela n’est pas suffisant.

La certitude que le danger se matérialisera n’est cependant pas exigée du professionnel. Le fardeau exigé n’est pas non plus d’avoir une preuve inattaquable que nous pourrions illustrer par : « je suis convaincu », « je suis persuadé », « je suis sûr », « c’est évident », « il n’y a aucun doute possible », « c’est inévitable », « cela ne manquera pas de se produire »9.

Avoir un motif raisonnable peut s’illustrer ainsi chez le psychologue : sur la base d’un fait ou en raison des circonstances, « je considère », « j’estime », « je crains », « j’appréhende », « je crois »10. Un motif raisonnable de croire constitue donc une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi11».

Une personne ou un groupe de personnes identifiable
Il faut également que la menace vise une personne ou un groupe de personnes identifiable.

Selon les circonstances, il peut s’agir d’une personne clairement en danger, d’une catégorie de personnes qui seraient en danger (enfants, personnes d’un groupe religieux particulier) ou de personnes en danger en raison d’un prédateur12.

Les situations envisagées par la loi ne visent pas que les tiers en danger. Elles peuvent viser le client afin de le protéger contre lui-même.

La nature de la menace qui inspire un sentiment d’urgence
Même si le danger ne se situe pas dans les prochaines heures, il peut tout de même inspirer un sentiment d’urgence notamment en raison de sa gravité, de son sérieux et de sa clarté. Toutefois, une menace floue ou imprévisible ne peut justifier la levée du secret professionnel. L’évaluation du risque doit donc être faite en prenant en considération toutes les informations disponibles.

La portée de la levée du secret professionnel
Les art. 18 et 19 du Code de déontologie permettent de bien saisir les limites de la divulgation et les quelques obligations qui s’y rattachent.

Il y a d’abord les deux paragraphes de l’art. 18, qui suivent et qui reproduisent une partie des dispositions de l’art. 60.4 du Code des professions :

« […] le psychologue ne peut alors communiquer ce renseignement qu’à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours.
 
Le psychologue ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication ».
 

Quant à l’art. 19, il exige de rendre compte et de justifier dans le dossier du client la levée du secret professionnel :

« Le psychologue qui communique un renseignement protégé par le secret professionnel consigne au dossier du client concerné les éléments suivants :

  1. les motifs au soutien de sa décision de communiquer le renseignement ainsi que les autres moyens à sa disposition qui ne lui ont pas permis de prévenir l’acte de violence;
  2. les circonstances de la communication, les renseignements qui ont été communiqués et l’identité de la ou des personnes à qui la communication a été faite. »

Conclusion
Le psychologue peut se sentir seul devant la complexité de telles situations, en raison notamment de la nature et du caractère intime de son travail. De plus, le défi d’intervenir auprès de personnes à risque de passages à l’acte violents peut peser très lourd si on tente de le relever seul, d’autant que la confrontation à un danger imminent et l’urgence de la situation peuvent être parfois affolantes. Le Code de déontologie des psychologues prescrit de consulter lorsque l’intérêt du client l’exige. En pareilles circonstances, le regard d’un tiers peut souvent permettre de prendre un certain recul et d’agir avec toute la modération et l’objectivité recherchées. Il ne faut donc pas hésiter à consulter un collègue, de façon formelle ou informelle, ou le conseiller à la déontologie de l’Ordre, au moment opportun, pas seulement en dernier recours, tout en respectant bien sûr les règles de confidentialité.

 

Notes

  1. Charte des droits et libertés de la personne, c. C-12, a. 9 : « Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »
  2. Code des professions, RLRQ, c. C-26, a. 60.4.
  3. Smith c. Jones, [1991] 1 R. C. S. 455.
  4. Il y a lieu de noter que l’article 18 du Code de déontologie des psychologues reprend le libellé antérieur à la modification apportée en 2017 de l’article 60.4 du Code des professions.
  5. R. c. McCraw (1991) 3 R. C. S. 72.
  6. Commission des institutions, no 36 (4 octobre 2001), p. 21.
  7. Art. 2 : « Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l’aide physique nécessaire et immédiate, à moins d’un risque pour elle ou pour les tiers ou d’un autre motif raisonnable. »
  8. Ces expressions sont tirées de la présentation de A. Turmel, L’échange de renseignements confidentiels lorsque la sécurité d’une personne est menacée, septembre 2013.
  9. Ibid.
  10. Ibid.
  11. Yves D. Dussault, « Divulguer des renseignements confidentiels en vue de protéger des personnes », dans Conférence des juristes de l’État, Actes de la XVIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville (Québec), Yvon Blais, 2004, p. 15.
  12. A. Turmel, « L’échange de renseignements confidentiels lorsque la sécurité d’une personne est menacée », septembre 2013.