Agrégateur de contenus

EXCLUSIF WEB | Promouvoir la santé mentale des jeunes psychologues en cabinet privé

Dre Andrea Martin, psychologue 
Cofondatrice de la Clinique de psychologie Connecte, elle supervise des doctorants en psychologie depuis quatre ans et s’intéresse particulièrement à la pratique d’autosoins chez les psychologues. 

 

Geneviève LaRoche
Doctorante à la Clinique de psychologie Connecte, elle a un intérêt particulier pour la santé mentale et le bien-être des jeunes et des étudiants. 

 


Devenir psychologue implique de longues études rigoureuses. Dans le cadre de leur carrière universitaire, les doctorants en psychologie sont souvent amenés à supporter une grande charge de travail et à dépasser leurs limites personnelles pour réussir. De plus, ils se retrouvent à jongler avec de nombreuses responsabilités, telles que les cours, leur projet de recherche doctoral, la formation clinique et, pour certains, le travail rémunéré. La fin des études doctorales marque d’ailleurs le début d’une période charnière dans la vie de ces étudiants, soit la transition des études à la carrière tant attendue.
 
Des doctorants épuisés

Les résultats d’une enquête effectuée auprès de 40 000 étudiants universitaires canadiens révèlent que plus de 40 % d’entre eux rapportent des symptômes de dépression ayant un impact sur leur fonctionnement (American College Health Association, 2016). Plus encore, les résultats d’une étude portant sur la santé mentale de 10 000 étudiants universitaires québécois, incluant des étudiants aux cycles supérieurs, indiquent que 22 % d’entre eux rapportent la présence de symptômes dépressifs graves (FAECUM, 2016). Les résultats de cette même étude suggèrent que la solitude, l’isolement et la perception d’être en compétition avec d’autres étudiants figurent parmi les facteurs menant à l’épuisement et à la détresse chez ces étudiants. 
 
À notre connaissance, il existe peu de données sur la santé mentale des doctorants en psychologie au Québec (Turgeon et al., 2021). Cela dit, les résultats d’une étude portant sur 39 étudiants québécois au doctorat en psychologie révèlent que ces derniers présentaient un niveau d’épuisement émotionnel élevé, et étaient vulnérables à l’épuisement professionnel (Rochette, 2012). Plus encore, les résultats d’une étude portant sur plus de 2000 étudiants aux cycles supérieurs à travers le monde suggèrent que ces étudiants présentent des taux de dépression et d’anxiété six fois plus élevés que la population générale (Evans et al., 2018).

À la lumière de ces résultats, force est de constater que de nombreux doctorants en psychologie intègrent le marché du travail avec une fragilité sur le plan de la santé mentale. Sachant que les symptômes dépressifs et anxieux ainsi que l’épuisement non traités risquent de persister ou de s’aggraver avec le temps (Kessler et al., 2007), il est fort possible que l’anxiété et les autres problèmes de santé mentale chez les étudiants persistent après la fin de leurs études.

Travailler en cabinet privé
Les données disponibles suggèrent qu’un peu plus d’un tiers (35 %) des psychologues travaillent exclusivement en cabinet privé (Ordre des psychologues du Québec, 2020; Sanchez-Meza et al., 2021). Ceci n’est pas surprenant, car travailler en cabinet privé présente de nombreux avantages tels que la possibilité de déterminer ses propres conditions de travail (par exemple le lieu de travail, la clientèle, l’horaire, les tarifs) et l’accès à une grande autonomie professionnelle. Cela dit, travailler en cabinet privé implique aussi des désavantages, tels que l’isolement, l’insécurité financière et l’absence d’avantages sociaux. Aussi, travailler de façon autonome implique souvent le développement d’habiletés entrepreneuriales telles que bâtir une clientèle, créer un réseau de références, établir des frais de service et gérer des dépenses. De plus, certains psychologues qui travaillent au privé peuvent ressentir une grande responsabilité vis-à-vis de leur clientèle. En effet, l’absence d’une équipe ou d’un cadre de travail prédéterminé peut faire en sorte que certaines personnes aient de la difficulté à établir des limites (par exemple en ce qui concerne leurs disponibilités), et ce, particulièrement en début de carrière. L’aspect de la rémunération directe peut d’ailleurs ajouter une pression supplémentaire à certains psychologues en leur donnant l’impression de devoir fournir un service à la hauteur des attentes de leurs clients. Dans ce contexte, les psychologues débutants peuvent se sentir très intimidés.

Les doctorants et jeunes psychologues semblent être particulièrement à risque d’éprouver des difficultés lorsqu’ils intègrent le marché du travail. En plus des difficultés nommées précédemment, ces derniers intègrent leur profession à la suite d’une formation universitaire exigeante dans laquelle plusieurs ont développé des habitudes de travail malsaines (par exemple le perfectionnisme, un manque d’équilibre entre les études, le travail et la vie personnelle, une mauvaise hygiène de vie). Certains maintiennent d’ailleurs un rythme de travail exigeant après leurs études, ce qui peut les amener à développer des symptômes de surmenage. Il est également important de mentionner que l’endettement et la précarité financière engendrée par de longues études doctorales peuvent amener certains psychologues débutants à travailler au-delà de leurs limites. De plus, considérant leur peu d’expérience clinique, certains peuvent se mettre de la pression à faire plus d’heures et à prendre plus de clients pour accroître leur sentiment de compétence. Dans tous les cas, les jeunes psychologues se retrouvent à nouveau dans une situation où ils jonglent avec de nombreuses responsabilités.

Les conditions de travail varient énormément d’un milieu privé à l’autre. Cela dit, les psychologues en début de carrière peuvent se sentir démunis face à certaines particularités de leur travail, particulièrement lorsqu’ils travaillent en cabinet privé. L’isolement et l’instabilité engendrés par la pandémie de COVID-19 pourraient aussi avoir exacerbé certaines de ces difficultés, ce qui placerait les doctorants et les jeunes psychologues dans une position particulièrement vulnérable.

Une lacune dans la formation de psychologie
Être psychologue est une profession extrêmement valorisante et stimulante. Les recherches démontrent cependant que le travail de psychologue est reconnu comme étant très exigeant (Smith et Moss, 2009) et qu’il implique un risque d’épuisement professionnel important (Ludgate, 2016). 

De façon intéressante, la plus grande part de la formation en psychologie porte sur l’expérience de l’« autre ». Or, les doctorants et les jeunes diplômés constatent rapidement qu’intervenir sur le plan psychologique requiert une pratique d’autosoins régulière et une bonne connaissance de soi. Malheureusement, ces éléments font rarement l’objet de la formation en psychologie.

Il est intéressant de constater qu’un écart similaire existe dans le contexte professionnel. En effet, les exigences de formation continue pour les psychologues québécois requièrent 90 heures de formation, mais seulement 5 heures de supervision sur une période de cinq ans. Quoique les psychologues soient nombreux à surpasser les heures de supervision requises, force est de constater qu’il existe un déséquilibre important dans la formation universitaire et la formation continue entre l’accent mis sur le développement des connaissances et celui qui est mis sur le vécu, le bien-être et les autosoins du psychologue. Dans ce contexte, certains psychologues peuvent se sentir mal outillés.
 
Pistes de solution personnelles

Il est désolant de constater que, malgré une formation exhaustive en santé mentale, certains jeunes psychologues se retrouvent à vivre une détresse puissante et un épuisement important (voir McCormack et al., 2018; Posluns et Gall, 2020). En effet, outre les écrits scientifiques, nos observations personnelles nous amènent à croire que les psychologues sont nombreux à se retrouver dans la fâcheuse situation du « cordonnier mal chaussé », et ce, peu importe leur expérience. La liste qui suit présente des stratégies personnelles visant à promouvoir la santé mentale des psychologues, particulièrement celle des psychologues amorçant leur carrière en cabinet privé.

1. Recourir à de l’aide professionnelle : Être sensibilisé à ses propres enjeux, à ses angles morts et à ses motivations et les travailler avec l’aide d’un professionnel. 
2. Prendre conscience des doubles standards : Avoir le courage de demander de l’aide lorsqu’on en ressent le besoin.
3. Établir des limites dans le cadre de son travail : Respecter ses limites personnelles en ce qui concerne la clientèle, l’horaire et les tarifs. 
4. Cultiver une pratique d’autosoins régulière : Monitorer les symptômes d’épuisement, être à l’écoute et bien répondre aux différents besoins d’autosoins.
5. Diminuer l’isolement physique et émotionnel : Se confier à des collègues, assister à des séances de supervision individuelles ou encore prendre part à des consultations entre pairs et à des séances de codéveloppement.
6. Enlever son « chapeau d’aidant » : Se permettre des moments de transition entre le travail et la maison, déléguer des tâches et des responsabilités.
 
La supervision : une ressource précieuse
En plus des suggestions précédentes, nous sommes d’avis que la supervision joue un rôle clé dans le maintien d’une bonne santé mentale chez les psychologues, particulièrement en début de carrière. En effet, recevoir du soutien de la part d’un pair aidant ou d’un superviseur est primordial pour briser la solitude et valider l’expérience de psychologue (Brillon, 2020). La liste qui suit propose des pistes d’intervention aux psychologues qui supervisent des doctorants ou des psychologues ayant peu d’expérience.
 
1. Établir des objectifs de supervision clairs : Définir les forces, les faiblesses, les intérêts et les besoins de la personne que l’on supervise. Déceler la présence de symptômes d’épuisement.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis la supervision?

Comment vous sentez-vous vis-à-vis votre charge de travail? À quels défis faites-vous face en ce moment? 

Sur une échelle de 1 à 10, où se situe votre niveau de fatigue? Que pourriez-vous faire pour prendre soin de vous dans ce contexte? 
 
2. Développer une relation sécuritaire et un climat de confiance : Promouvoir le non-jugement, la confidentialité, l’ouverture et la flexibilité. Créer un espace dans lequel la personne supervisée se sent libre d’exprimer ses bons coups et ses mauvais coups, ainsi que ses préoccupations et ses questionnements.

Supervisé : « Je suis dépassé. Mon client ne semble pas s’améliorer. Je me sens incompétent. »

Superviseur : « Je vous sens impuissant face à ce cas. Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous dans ce contexte? Qu’est-ce qui se passe dans les séances avec votre client, selon vous? Qu’est-ce qui serait le plus aidant pour vous en ce moment? »

3. Modelage par le superviseur : Montrer une pratique d’autosoins personnelle et oser partager ses expériences.

Supervisé : « J’ai de la difficulté à être présent pour mes clients pendant la pandémie. Je vis tellement d’anxiété face à l’incertitude. »

Superviseur : « La pandémie m’affecte aussi. Souvenez-vous que nous ne sommes pas immunisés à ce qui se passe parce que nous sommes psychologues. C’est d’autant plus important d’être à l’écoute de nos besoins et de nos limites. Sachez que, même si vous vivez des difficultés, j’ai confiance en votre compétence professionnelle. »

Soutenir les jeunes psychologues sur le plan organisationnel
Intégrer une équipe de travail semble être un choix judicieux en début de carrière. Pour les raisons mentionnées plus haut, il est important de soutenir les psychologues débutants dans le cadre de leur travail, particulièrement lors de la transition des études au travail rémunéré. Travailler en équipe permet, entre autres, aux psychologues débutants de développer un sentiment d’appartenance et de réduire leur risque d’isolement. Les recommandations suivantes visent les fondateurs et fondatrices de cabinets privés. Une attention particulière sera portée quant au contexte de la pandémie de COVID-19.
 
1. Développer un esprit d’équipe : Sélectionner des professionnels ayant des valeurs et des intérêts communs. Promouvoir une attitude d’entraide entre les divers membres de l’équipe. 
 
2. Favoriser l’inclusion et diminuer l’isolement : Se permettre de partager des moments informels et d’avoir du plaisir. Faire des activités en groupe (par exemple offrir des cours de yoga de groupe et des occasions d’échanges en ligne pendant la pandémie). 
 
3. Offrir des possibilités de développement professionnel : Rendre accessibles des formations, des rencontres hebdomadaires, de la supervision axée sur des thèmes particuliers ou d’autres projets (par exemple créer un groupe de supervision par les pairs portant sur le bien-être chez les psychologues).

4. S’entraider en contexte de pandémie : S’appuyer et être proactifs lors de moments difficiles. Trouver des façons créatives de maintenir un sentiment d’appartenance malgré la distance (par exemple créer un groupe de clavardage pour favoriser la communication et les échanges informels entre les membres de l’équipe). 
 
Mot de la fin

Nous croyons que veiller à sa propre santé mentale est une responsabilité professionnelle et éthique devant être intégrée à la formation universitaire en psychologie. Il est par ailleurs crucial de mieux outiller les jeunes psychologues à ce sujet, et ce, peu importe leur milieu de travail. Cela dit, les doctorants et jeunes psychologues œuvrant en cabinet privé semblent particulièrement à risque de se sentir démunis et isolés. Il est donc important de normaliser les difficultés que ressentent ces derniers et de leur fournir les ressources nécessaires pour bien réussir. La supervision, ainsi que le soutien sur le plan organisationnel, sont des ressources précieuses pouvant favoriser le maintien d’une bonne santé mentale chez ces jeunes psychologues. 


Bibliographie

American College Health Association. (2016). National College Health Assessment II: Canadian Reference Group Executive Summary. Hanover, MD : American College Health Association. http://www.acha-ncha.org/docs/NCHAII%20SPRING%20201%20CANADIAN%20REFERENCE%20GROUP%20EXECUTIVE%20SUMMARY.pdf

Brillon, Pascale. (2020). Entretenir ma vitalité d’aidant : guide pour prévenir la fatigue de compassion et la détresse professionnelle. Montréal, Québec : Éditions de l’Homme.

Evans, T., Bira, L., Gastelum, J., Weiss, T. et Vanderford, N. (2018). Evidence for a mental health crisis in graduate education. Nature Biotechnology, (36), 282-284. https://doi.org/10.1038/nbt.4089

Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAECUM). (2016). Enquête sur la santé psychologique étudiante. http://www.faecum.qc.ca/ressources/avis-memoires-recherches-etpositions-1/enquete-sur-la-sante-psychologique-etudiante.

Kessler, R. C., Angermeyer, M., Anthony, J. C., De Graaf, R., Demyttenaere, K., Gasquet, I., De Girolamo, G., Gluzman, S., Gureje, O., Haro, J. M., Kawakami, N., Karam, A., Levinson, D., Medina Mora, M. E., Oakley Browne, M. A., Posada-Villa, J., Stein, D. J., Adley Tsang, C. H., Aguilar-Gaxiola, S., ...Ustün, T. B. (2007, octobre). Lifetime prevalence and age-of-onset distributions of mental disorders in the World Health Organization’s World Mental Health Survey Initiative. World Psychiatry, 6(3), 168-176.

Ludgate, J. W. (2016). Self management in CBT training and supervision. Dans D. M. Sudak, R. T. Codd, III, J. W. Ludgate, L. Sokol, M. G. Fox, R. P. Reiser, D. L. Milne, Teaching and Supervising Cognitive Behavioral Therapy (p. 243-258). Hoboken, New Jersey : John Wiley & Sons. 

McCormack, H. M., MacIntyre, T. E., O’Shea, D., Herring, M. P. et Campbell, M. J. (2018). The prevalence and cause(s) of burnout among applied psychologists: A systematic review. Frontiers in Psychology, 9, 1897. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.01897

Ordre des psychologues du Québec. (2020). Rapport annuel : 2019-2020. 
https://www.ordrepsy.qc.ca/documents/26707/501029/Rapport%20annuel%202019-2020%20-%20FINAL.pdf/4bb94d3a-002e-4438-143c-82f8110de609

Posluns, K. et Gall, T. L. (2020). Dear mental health practitioners, take care of yourselves: A literature review on self-care. International Journal for the Advancement of Counselling, 42, 1-20.

Rochette, J. (2012). Le stress et l’épuisement chez les étudiants au doctorat en psychologie. (thèse de doctorat, Université du Québec à Trois-Rivières).

Sanchez-Meza, C., Tremblay-Légaré, F., Hébert, C. et Drapeau, M. (2021). L’accès aux psychologues et aux soins de santé mentale nécessite des solutions multimodales. Quintessence, 12(3), 2.

Smith, P. L. et Moss, S. B. (2009). Psychologist impairment: What is it, how can it be prevented, and what can be done to address it? Clinical Psychology: Science and Practice, 16(1), 1-15.

Turgeon, L., Thouin, E. et Ayotte, E. (2021). La santé psychologique des étudiants universitaires : une analyse qualitative. Psychologie Québec, 38(1), 28-32. https://www.ordrepsy.qc.ca/-/la-santé-psychologique-des-étudiants-universitaires-une-analyse-qualitative