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La reconnaissance des activités de formation continue

Dre Isabelle Marleau, psychologue et directrice de la qualité et du développement de la pratique sortante de l'Ordre des psychologue du Québec.


Depuis 2012, plus de 3200 activités de formation continue ont été reconnues par l’Ordre. Dans cette chronique, nous explorons les fondements et les critères de cette reconnaissance, nous en présentons le processus, ainsi que la façon dont ce processus prend en compte les enjeux liés à la pratique fondée sur des données probantes en psychologie (PFDP) et à la mise en œuvre de traitements soutenus empiriquement (TSE).

Les fondements

Une activité de formation est reconnue par l’Ordre lorsqu’elle satisfait aux exigences établies par le conseil d’administration dans la Résolution concernant les modalités relatives à la formation continue en psychothérapie1(ci-après la résolution).

La résolution reflète ce que stipule le Code des professions, soit que l’exercice de la psychothérapie doit s’appuyer sur des modèles théoriques scientifiquement reconnus et sur des méthodes d’intervention validées2. De plus, la résolution se fonde sur l’article 5 du Code de déontologie des psychologues3, en précisant que le contenu de l’activité de formation doit être reconnu sur les plans professionnel et scientifique.

La reconnaissance professionnelle

La reconnaissance professionnelle est basée sur le fait que le formateur possède un ensemble de compétences et/ou des titres professionnels qui l’habilitent à pratiquer une profession ou à exercer des activités réservées, et ce, conformément aux normes professionnelles et réglementaires d’un organisme de réglementation (Register, 2013). De plus, la reconnaissance professionnelle renvoie aux normes de pratique et aux consensus établis par les pairs, au sens où il s’agit du produit de l’appréciation par des experts. À titre d’exemple, la reconnaissance professionnelle comprend les connaissances qui se sont imposées avec le temps ou qui sont enseignées dans les universités. Un des éléments contributifs à l’établissement de la reconnaissance professionnelle est le curriculum vitæ du formateur, document d’ailleurs exigé lors du processus.

La reconnaissance scientifique

La reconnaissance scientifique réfère aux modèles théoriques et/ou aux résultats scientifiques qui ont été présentés par des théoriciens et/ou des chercheurs, puis acceptés par les pairs, chercheurs ou praticiens, ayant une expertise du domaine. À ces égards, l’Ordre considère qu’un modèle peut être reconnu scientifiquement que l’on dispose ou non de preuves empiriques. La reconnaissance scientifique peut être octroyée sans égard au niveau de preuve; elle peut s’appliquer autant à des devis randomisés et contrôlés qu’à des devis de recherche qualitatifs. Lors du processus de reconnaissance, le plan de la formation, qui permet notamment de témoigner de la reconnaissance scientifique, est exigé.

La reconnaissance scientifique d’une formation signifie qu’elle satisfait au critère de révision par les pairs. Elle est constituée des examens réalisés lorsque les auteurs des modèles et des données ont présenté leurs travaux à la communauté professionnelle et scientifique. Cette révision est généralement établie lorsque deux experts indépendants réalisent un examen du modèle théorique ou des données empiriques et qu’ils en recommandent la publication à l’éditeur d’un journal scientifique spécialisé dans le même sujet. La valeur de la révision se mesure à la compétence de l’examinateur. À cet effet, les éditeurs ont la responsabilité de recruter des experts spécialisés dans le domaine d’intérêt que couvrent leurs publications4.

La révision permet de tester la cohérence et la plausibilité du modèle ou des données présentées pour publication (Brown, 2004). Elle est considérée par plusieurs comme cruciale pour l’avancement de la recherche (Doncliff, 2016; Ramos-Álvarez, 2008; Robson, 2015). La révision constitue ainsi une mesure de qualité permettant d’assurer l’intégrité de la connaissance reliée, notamment, à une profession (Doncliff, 2016). Il n’y a pas que la publication dans un journal scientifique qui témoigne de la révision par les pairs. Il y a aussi les publications de recherches universitaires (doctorales ou autres) ou les publications produites aux fins d’obtention de subventions. La révision par les pairs correspond donc à un seuil minimal, un niveau de base en matière de reconnaissance scientifique.

Ce que n’est pas la reconnaissance

La reconnaissance d’une activité ne signifie pas que l’intervention ou le modèle présenté est recommandé par l’Ordre, ni qu’ils puissent référer à une pratique particulièrement efficace, exemplaire, ou spécifique (appropriée à un trouble particulier, à une problématique précise ou dans un contexte donné). La reconnaissance ne signifie pas, non plus, que le modèle enseigné est un traitement soutenu empiriquement (TSE). L’Ordre ne se prononce pas sur ces questions et ne dispose pas d’un comité scientifique sur lequel il pourrait compter pour en faire l’évaluation. Conséquemment, la reconnaissance d’une activité de formation continue par l’Ordre ne donne aucune garantie relative au modèle théorique en référence ou aux interventions préconisées, ni de garantie quant à la prestation des formateurs. Enfin, l’Ordre n’endosse pas les opinions présentées lors des formations; ces dernières n’engagent que les formateurs et les auteurs auxquels ils se réfèrent.

La PFDP : à propos du renvoi aux TSE

La position de l’Ordre sur la pratique fondée sur des données probantes en psychologie (PFDP)5se veut réflexive, favorisant chez les membres le développement de mécanismes d’autorégulation intellectuelle critiques au regard de leur formation, plutôt que l’adhésion à un cadre prescriptif restrictif. L’Ordre promeut la réflexion critique face aux données issues de la clinique et de la recherche et soutient que le psychologue engagé dans une PFDP doit maintenir un esprit critique, notamment en ce qui a trait au recours aux traitements soutenus empiriquement (TSE).

En effet, les TSE, notamment ceux que présente la liste de la division 12 de l’American Psychological Association (APA)6, peuvent guider la PFDP dans la mesure où il est préférable de s’appuyer sur des données issues d’études ou de recherches valides sur le plan scientifique. Or, la PFDP dépasse la seule application des TSE (Lilienfeld, 2013), au sens où les données sur lesquelles on s’appuie ne sont pas uniquement celles issues d’études ou de recherches ni celles pour lesquelles on aurait obtenu un niveau de preuve dit scientifique supérieur7.

La connaissance des TSE utile, mais insuffisante

Les formations agréées par l’Ordre ne peuvent donc porter uniquement sur des TSE, puisqu’il serait insuffisant de se fonder sur un seul des éléments auxquels renvoie la PFDP. Limiter la reconnaissance aux seuls TSE serait restrictif et irait à l’encontre de l’esprit même de la PFDP.

De plus, l’Ordre conçoit que les psychologues sont des professionnels capables d’apprécier leurs besoins de formation ainsi que les données utiles pour leurs clients. C’est pourquoi le processus de reconnaissance de l’Ordre vise l’ensemble du continuum de preuve et toutes les modalités d’interventions qui ont été soumises à une révision par les pairs. À cet égard, l’approche de l’Ordre est cohérente avec celle de l’APA (2015).

Effectivement, l’engagement en formation continue doit permettre de réfléchir sur sa pratique et sur le développement des attitudes professionnelles requises pour exercer. Il doit favoriser, entre autres, le développement des compétences dans des modèles émergents, la familiarisation avec des techniques nouvelles et la validation de connaissances et de compétences acquises eu égard aux contingences actuelles.

Le psychologue doit, bien sûr, connaître les TSE pour être en mesure de les appliquer, mais lorsque la recherche est à peine existante pour un traitement, il faut qu’il puisse considérer d’autres interventions que les seules TSE et se référer à des données non publiées ou encore s’appuyer sur l’expérience clinique. À titre d’exemple d’activités de formation portant sur des données pertinentes bien que non publiées, il y a celles où l’expert-formateur partage ses connaissances concernant les moyens d’ajuster les traitements aux caractéristiques de clients complexes ou éclaire son auditoire avec des données cliniques qu’il peut avoir accumulées. Ainsi, les données qualitatives et autres devis qui ne répondent pas aux critères restrictifs des TSE représentent une information dont la valeur, en matière de validité et de pertinence, peut être appréciée par le psychologue. En ce sens, la formation continue peut aussi comporter de la littérature grise, soit toute littérature qui n’a pas été publiée par des moyens traditionnels, souvent exclue des bases de données de la recherche, à caractère provisoire, reproduite et diffusée à un nombre d’exemplaires inférieur au millier, en dehors des circuits commerciaux de l’édition et de la diffusion.

L’importance du jugement clinique et de la relation psychothérapeutique

Il est important de souligner que les TSE ne prescrivent pas de réponses fixes ou uniques aux comportements des clients en psychothérapie. D’ailleurs, de plus en plus de manuels de traitement proposent des plans d’intervention plutôt génériques qui laissent aux cliniciens une marge de manœuvre considérable pour décider quand et comment agir (Lilienfeld et al., 2013).

Effectivement, le psychologue doit toujours user de son jugement professionnel et prendre en considération les caractéristiques pertinentes du client comme l’âge, le genre, l’orientation sexuelle, la scolarisation, le statut d’emploi, les relations interpersonnelles, la culture, l’histoire et les antécédents biologiques, médicaux et légaux, incluant les croyances et la spiritualité. Les caractéristiques des groupes formant les essais cliniques qui ont mené au statut de TSE peuvent ne pas correspondre aux caractéristiques du client particulier que le psychologue traite. Il relèverait d’une mauvaise pratique d’appliquer un TSE sans considération pour de telles différences dans les caractéristiques du client (Hagemoser, 2009; Westen, Novotny et Thompson-Brenner, 2005). Aussi, une forte proportion de clients présentent des difficultés qui ne sont pas abordées dans la littérature et plusieurs s’engagent en psychothérapie en étant affectés de plus d’un trouble, alors que la plupart des recherches sur les TSE portent sur le traitement d’un trouble particulier (le double diagnostic étant un facteur d’exclusion). De plus, les TSE ne prennent souvent pas en considération la relation psychothérapeutique, facteur pourtant considéré par plusieurs comme essentiel à l’efficacité d’une psychothérapie (Paul, 2004).

Par ailleurs, la PFDP invite à apprécier la valeur des interventions n’ayant pas fait l’objet d’essais cliniques comparatifs, considérant qu’on ne peut pas conclure de ce seul fait qu’elles sont efficaces ou non. C’est sans compter sur le fait que des interventions aujourd’hui reconnues pourraient être remplacées par d’autres, considérées comme plus efficaces, plus spécifiques ou simplement plus adaptées au client.

Les activités de formation portant sur des modèles émergents

Lorsqu’une formation porte sur un modèle émergent ou sur un contenu dont le niveau de preuve se situe au bas du continuum, l’Ordre s’assure que les psychologues en sont informés afin qu’ils puissent faire un choix éclairé. Le formateur inclut alors dans son plan de formation un avertissement, pouvant s’apparenter à ce qui suit, et qui peut varier selon l’état des connaissances.

Peu de recherches ont pu documenter des effets positifs pour cette méthode d’intervention, et l’état actuel des connaissances la concernant n’a pas encore pu établir hors de tout doute que c’est l’intervention [modèle ou intervention spécifique] qui cause l’amélioration de la santé psychologique du client. En effet, cette intervention psychologique appliquée selon le protocole recommandé serait efficace, mais sa spécificité demeure à établir de manière probante.

Un message de cet ordre a pour but d’alerter les participants et de les inviter à maintenir une attitude critique, tout en permettant aux formateurs d’offrir des activités ayant un certain intérêt sous l’angle de l’évolution et de la diversité des pratiques, bien qu’elles ne soient pas encore appuyées par des études portant sur l’efficacité du modèle, de l’approche ou des techniques enseignés (outcome studies).

La formation continue diversifiée des psychologues

Finalement, soulignons que le champ d’exercice des psychologues recouvre plus que la seule pratique de la psychothérapie (par exemple la médiation familiale, l’expertise psycholégale), mais qu’à ce jour seule la formation continue relative à la psychothérapie est formalisée par règlement. Cela étant, les psychologues sont tenus, en vertu de leur code de déontologie, de maintenir et de développer toutes les compétences requises à leur exercice professionnel particulier. Ils ont à cet effet le devoir de s’engager également dans des activités de formation continue qui peuvent ne pas faire l’objet d’un agrément ou qui ne seraient pas inscrites au programme de l’Ordre en psychothérapie.

Conclusion

La PFDP invite le psychologue à considérer les meilleures données issues de la recherche, dont la recherche clinique, lorsqu’il prend des décisions professionnelles, une perspective plus large que la seule application des TSE. Refuser la reconnaissance à une formation parce qu’elle ne porte pas sur un TSE reflèterait une attitude autant à proscrire que celle qui consisterait à occulter les TSE. Ainsi, les formations agréées par l’Ordre reflètent la diversité des niveaux de preuves, tout en respectant le critère minimal de la révision par les pairs. Le psychologue demeure responsable d’apprécier, pour sa propre pratique professionnelle, la pertinence et la valeur de ce qui lui est présenté lors des formations qu’il a choisies, de manière éclairée.

Je tiens à remercier chaleureusement le Dr Yves Martineau ainsi que M. Pierre Desjardins pour leur collaboration à l’écriture de cette chronique.

Notes et références

Notes

  1. La résolution peut être repérée sur le site de l’Ordre.
  2. Code des professions, art. 187.2 (4°).
  3. « Le psychologue exerce sa profession selon des principes scientifiques et professionnels généralement reconnus et de façon conforme aux règles de l’art en psychologie. » Code de déontologie des psychologues, Code des professions, chapitre C-26, a. 87.
  4. Le thème d’un journal reflète la spécialisation des réviseurs et rend leur examen crédible.
  5. L'énoncé de politique sur la pratique fondée sur des données probantes en psychologie est disponible sur le site de l'Ordre.
  6. Repéré sur le site de l’APA.
  7. La définition des traitements psychologiques fondés sur des données probantes provient de la Société canadienne de psychologie.

Références