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Le psychologue Antoine de Chantérac se retrouve en Terre de Baffin

Évelyne Marcil-Denault, psychologue | Rédactrice pigiste


En 21 jours, avec deux hommes et deux femmes, Antoine de Chantérac a franchi à pied les 140 km qui séparent Pangnirtung de Qikiqtarjuaq, sur la plus grande île du Canada. Il n’oubliera jamais la température chutant sous les -30 °C, la faim, les 60 kg du traîneau, la fatigue, la promiscuité malgré l’immensité – dont 48 heures de tempête passées dans un abri d’un mètre carré. Le psychologue se souvient aussi du silence des longues journées de marche, des pensées qui tourbillonnent, des moments d’extase devant la beauté des paysages arctiques. 

L’expédition à l’île de Baffin répondait avant tout à un besoin personnel, admet Antoine de Chantérac. Celui-ci a grandi en Corée, puis en Égypte, avant de rentrer à Paris, à 8 ans, après que son père ingénieur eût décidé d’arrêter les missions à l’étranger pour offrir plus de stabilité à ses quatre enfants.

Le jeune psychologue a néanmoins choisi de profiter de son périple pour sensibiliser la population à la cause de la santé mentale chez les adolescents. Au total, 10 000 $ en dons ont été versés à la Fondation Pinel dans le cadre de cet événement caritatif. Les communications entourant son exploit ont aussi profité à la Fondation, qui a pour mission de soutenir les équipes de l’Institut Philippe-Pinel dans leurs efforts pour comprendre la violence, la prévenir et traiter des patients souffrant de graves problèmes de santé mentale.

Au moment de planifier son expédition, Antoine de Chantérac ne se doutait pas que sa petite fille verrait le jour quelques semaines avant son départ. Sa femme a insisté pour qu’il concrétise son projet, relate-t-il, encore surpris par la tournure des événements. Le 16 mars 2014, le nouveau papa s’envolait donc vers le Nunavut comme prévu, mais non sans appréhension.

Plus d’une année après, il revient sur cette étape charnière de sa vie qui, à certains égards, se révèle un écho à une carrière qui, au lieu de se présenter en ligne droite, a pris la forme d’un parcours semé de doutes, mais aussi de révélations lumineuses.

Terre d’accueil

Antoine de Chantérac a découvert l’Institut Philippe-Pinel lors d’un internat de six mois réalisé dans le cadre de sa formation à l’École des psychologues praticiens – unique établissement privé qui confère le diplôme de psychologue en France. « Ce qui m’a attiré ici, c’est le travail d’équipe, la collégialité et la reconnaissance du psychologue. J’ai travaillé dans un grand hôpital psychiatrique à Paris, il y avait trois psychologues pour 600 lits et ils étaient cantonnés au testing… » Bref, l’horizon professionnel lui paraissait plus radieux de ce côté-ci de l’Atlantique.

Il n’a que de bons mots pour la psychologue Tiziana Costi, qui l’a supervisé : « Elle m’a fait confiance », dit celui qui, à son tour, supervise aujourd’hui des stagiaires. Ayant eu un coup de cœur pour le Québec, Antoine de Chantérac a convaincu sa femme – aussi psychologue – de venir s’établir dans la belle province. C’était en 2009. L’Institut Philippe-Pinel lui a offert son premier emploi sur sa nouvelle terre d’accueil, auprès d’une clientèle d’adolescents vivant en unité ou suivis en externe.

Se préparer à sortir

Le psychologue, qui a mis un an à s’entraîner en vue de son expédition à Baffin, considère que les adolescents purgeant une peine à Pinel gagneraient à être mieux préparés avant leur libération. On se contente souvent de stabiliser la symptomatologie alors que plusieurs patients sont mésadaptés socialement, avance ce défenseur du traitement psychologique en vue de la réinsertion. Il relate le cas d’un patient qui voulait s’acheter des souliers : « Il manquait tellement d’habiletés sociales qu’il était incapable de téléphoner à la boutique et a fait une crise. » Une fois libres, comment des jeunes aussi carencés pourront-ils faire un CV, chercher un logement, garder un emploi? questionne le psychologue.

Pour le clinicien, à l’Institut, la nature des crimes devenait vite secondaire. « Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre ce qui peut amener un jeune à commettre un crime grave, son parcours de vie, la structure de sa personnalité. » Pinel est la dernière ligne, rappelle-t-il. De Chantérac en a vu défiler, des adolescents exclus à répétition en raison de leur propension à transformer leur colère en actes. Il se demande combien nous coûtera, socialement, le fait de ne pas préparer adéquatement ces jeunes à leur retour dans la « vraie vie », avec toutes les épreuves qu’elle comporte.

Surmonter les embûches

À la veille de son départ à Baffin, le psychologue a discuté de son projet avec ses patients à Pinel : « Ils me traitaient de fou. Ces jeunes ont beaucoup de peurs non avouées. Je leur disais que de se mettre des défis, c’est source d’enrichissement, même si on échoue… » Antoine de Chantérac a lui-même vécu quelques défis au moment de son entrée dans la vie professionnelle.

Après s’être buté au manque d’opportunités d’emploi en France, il y a eu la légitimité professionnelle à conquérir au Québec. Pendant près de deux ans, sa conjointe et lui ont entrepris toutes les démarches nécessaires pour la reconnaissance de leurs diplômes et le cumul d’expérience au Québec afin d’obtenir le titre de psychologues. Au même moment, il amorçait un doctorat spécialisé en recherche. Une histoire difficile, résume-t-il. Après cinq ans, il a mis ce projet entre parenthèses et a eu l’impulsion d’aller prendre l’air à Baffin, question de voir s’il pourrait s’y retrouver.

À la découverte de son identité

Plus jeune, Antoine de Chantérac se destinait à la médecine, mais au fil de son parcours, il a compris qu’un élément l’allumait par-dessus tout : la relation thérapeutique. « Les adolescents sont difficiles à rejoindre, mais quand on y arrive, ça me fascine, cette possibilité d’amener un changement, de décaler une trajectoire de vie », explique-t-il.

Depuis avril 2014, le psychologue de 32 ans travaille au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Consultant pour une quarantaine de pédiatres, il compose avec les situations les plus variées : adolescents présentant des troubles de personnalité, des troubles anxieux, ou enfants confrontés à des maladies graves. « Je connais un peu de tout, mais rien à la fois », dit-il, saisi par le doute. Puis, peu après : « Mais je suis un clinicien avant tout. » Cette fois, la voix est claire.

L’essentiel

L’expérience initiatique entreprise par Antoine de Chantérac en mars 2014 a éveillé sa curiosité pour les Inuits et leur incroyable faculté d’adaptation, eux qui survivent sur ces terres hostiles depuis 4000 ans. « Au bout de plusieurs jours, le corps s’acclimate, explique le psychologue. L’organisme comprend que ça ne sert à rien de lutter pour chauffer les extrémités. Il ramène tout au cœur. »

S’il est parti l’esprit tourmenté par sa carrière, pendant qu’il marchait, Antoine de Chantérac s’est ému plusieurs fois en pensant à sa femme et à sa petite fille. « Dans les moments difficiles, je ne pensais qu’à elles. Cette marche, ça m’a ramené à l’essentiel », conclut-il. Il sera bientôt papa une deuxième fois. Ne lui demandez pas où il sera dans cinq ans. La seule chose qu’il peut vous dire avec certitude, c’est avec qui il veut être.

Référence

Fondation Pinel. Rapport annuel 2013 et Rapport d’activités 2013-2014.



Par
Évelyne Marcil-Denault, psychologue | Rédactrice pigiste