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Instaurer à l’école des pratiques orientées vers les traumas : Le modèle HEARTS

Dre Delphine Collin-Vézina | Psychologue

Directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill et professeure agrégée à l’École de service social et au Département de pédiatrie.



Dre Elana Bloom | Psychologue

Coordonnatrice du Centre d’excellence pour la santé mentale et de l’Équipe de soutien et de traitement à l’école et à la famille à la commission scolaire Lester B. Pearson.



Aviva Segal, Ph. D.

Titulaire d’un doctorat en éducation, Mme Segal termine actuellement un stage postdoctoral au Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill.



Jacqui Liljequist

Mme Liljequist a pratiqué le travail social dans plusieurs écoles américaines avant d’entreprendre en 2017 un doctorat à l’Université McGill.

 

Tristan Milot, Ph. D.

Directeur du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille et professeur titulaire au Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.


Selon la Commission canadienne de la santé mentale, de 14 à 25 % des enfants et des adolescents ont des problèmes de santé mentale importants (Institut canadien d’information sur la santé, 2009). Parmi les nombreux déterminants de la santé mentale, les expériences traumatiques vécues durant l’enfance – y compris les agressions, la négligence et les problèmes de dysfonctionnement familial – sont considérées comme des indicateurs clés. Les objectifs de cet article sont de montrer l’impact des traumas sur le fonctionnement de l’enfant, notamment sur le plan scolaire, de présenter des exemples de pratiques scolaires qui, basées sur des données probantes, tiennent compte des traumas vécus par les jeunes, et de discuter du rôle clé que peuvent jouer les psychologues scolaires dans la promotion et la mise en œuvre, dans les écoles, de pratiques orientées vers les traumas.
 
Les événements traumatiques chez les enfants et les adolescents
 
Le Center for Disease Control and Prevention (CDC), en partenariat avec Kaiser Permanente, a mené une étude historique sur les événements traumatiques vécus durant l’enfance (Felitti et al., 1998) qui a permis de mettre en lumière trois constats importants : (1) les deux tiers des personnes de la population générale ont déclaré avoir vécu au moins un événement traumatisant avant l’âge de 18 ans ; (2) une portion importante de la population en a vécu plusieurs : 40 % des personnes de l’échantillon ont déclaré avoir vécu deux traumas ou plus et 12,5 %, quatre ou plus ; et (3) les traumas créent de nombreuses séquelles, qui augmentent à mesure que les traumas s’accumulent : ainsi, plus une personne rapporte de traumas vécus durant l’enfance, plus ses problèmes sociaux, comportementaux et de santé sont importants.
 
À la lumière de ces résultats, nous pouvons déduire que dans une classe de 30 élèves, 20 parmi ceux-ci ont probablement connu au moins un événement traumatique durant l’enfance, et qu’une proportion élevée a été exposée non pas à un seul, mais à de nombreux traumas. Il apparaît donc pertinent de mettre en œuvre en milieu scolaire des pratiques tenant compte des différents traumas afin que cela devienne la norme et non l’exception. Cette recommandation est d’autant plus importante que les études montrent sans équivoque que les expériences de vie traumatiques altèrent le développement et le fonctionnement neurologique, comportemental et affectif, ce qui entraîne des difficultés importantes pour les élèves (Plumb, Bush, et Kersevich, 2016 ; Wolpow, Johnson, Hertel et Kincaid, 2009). Par exemple, si un enfant subit régulièrement des mauvais traitements ou s’il vit de la négligence en milieu familial, il sera plus susceptible d’être hypervigilant, surexcité ou d’avoir un fonctionnement dérégulé, même lorsqu’il sera à l’école (Perry, 2006). En effet, après avoir subi des traumas, le cerveau peut rester bloqué dans un mode de survie, ce qui rend l’enfant incapable de faire la distinction entre un environnement sûr et un environnement dangereux (Perry, 2006).
 
Sans intervention efficace, ces défis neurologiques, comportementaux et affectifs auront un impact négatif sur la performance scolaire de l’enfant, son expérience à l’école et sa capacité à établir des relations positives avec les adultes et ses pairs (Wolpow et al., 2009). Ainsi, si nous intégrons en milieu scolaire, de manière holistique, des pratiques orientées vers les traumas, les enfants et les adolescents exposés à des événements traumatiques bénéficieront d’un soutien plus adéquat leur permettant d’acquérir les compétences essentielles à leur développement (Brunzell, Stokes et Waters, 2016).
 
Interventions orientées vers les traumas
 
Les stratégies traditionnelles pour résoudre les difficultés comportementales des élèves, par exemple les suspensions scolaires, ne sont pas des solutions efficaces pour créer des changements durables et significatifs. En effet, lors d’une suspension, la source ayant causé le problème demeure. Connue au Québec sous le nom de Soutien aux comportements positifs (SCP), l’approche Positive Behavioral Interventions and Supports (PBIS) a été élaborée pour promouvoir le comportement pro-social des élèves et améliorer leur rendement scolaire en instaurant une culture scolaire positive et encourageante (Bradshaw, Koth, Bevans, Ialongo et Leaf, 2008 ; OSEP, 2015). Le SCP favorise l’offre de programmes de prévention pour tous les élèves au sein des écoles. On classe les interventions en trois niveaux : le niveau 1 est qualifié d’universel, le niveau 2, de ciblé, et le niveau 3, de spécialisé. Au niveau 2, des interventions ont lieu en petits groupes afin qu’une aide adéquate soit offerte aux personnes ayant besoin d’un soutien supplémentaire. Enfin, au niveau 3, des services individuels spécialisés sont conçus en fonction des personnes ayant les besoins d’intervention les plus élevés. Cette approche exige de maintenir le soutien de niveau 1 aux étudiants qui reçoivent également un soutien de niveau 2 ou de niveau 3, et ce, afin qu’ils aient accès à plus de soutien et de ressources (Horner et Sugai, 2015). Un enfant reçoit des services aux niveaux 2 et 3 sur la base de décisions rigoureuses prises à la lumière de résultats issus de données colligées par des intervenants dans son école.
 
Au-delà des principes du programme PBIS servant à améliorer les comportements pro-sociaux et l’expérience éducative, les enfants et les adolescents qui ont subi des expériences traumatiques ont besoin d’interventions scolaires qui leur permettront : (1) de créer une relation positive avec un adulte ; (2) de renforcer leurs capacités cognitives – y compris celles servant au fonctionnement exécutif, et (3) d’améliorer leur capacité de gérer leur attention, leurs émotions et leur comportement (Cole, O’Brien, Gadd, Ristuccia, Wallace et Gregory, 2005). Une adaptation du PBIS a été créée pour mieux répondre aux besoins complexes des enfants et des adolescents exposés aux traumas : le modèle Healthy Environments and Response to Trauma in Schools (HEARTS ; Dorado, Martinez, McArthur et Leibovitz, 2016). Le modèle HEARTS intègre à PBIS une approche clinique portant sur l’attachement, la régulation du fonctionnement et la compétence (Attachment, Regulation and Competency [ARC]) (Blaustein et Kinniburgh, 2010), qui vise à promouvoir la résilience chez les jeunes touchés par des traumas.
 
HEARTS propose des stratégies qui visent non seulement les élèves traumatisés, mais également l’ensemble des élèves, le corps enseignant, les autres membres du personnel, les parents et l’organisation elle-même. Ce programme se distingue d’autres programmes psychosociaux parce que des stratégies d’intervention tenant compte des traumas et de leurs impacts sont proposées en fonction de chacun des niveaux de risque.
 
Les stratégies du niveau 1 (universel) incluent des ateliers sur la gestion du stress qui sont offerts à tous les parents, des formations sur les traumas présentées à l’ensemble du personnel scolaire, de même que l’adoption, par l’organisation, d’une approche de gestion positive des comportements des élèves en classe. Plusieurs écoles ayant implanté le programme HEARTS ont également aménagé des endroits (un coin de la classe ou encore un local spécifiquement dédié) où tout élève qui se sent stressé peut aller pour se calmer et se détendre.
 
Au niveau 2 (ciblé), on propose d’adopter une perspective centrée sur les traumas (parfois nommée la « lunette trauma ») afin d’analyser des situations où des enfants vivent des difficultés, de planifier des plans d’intervention pour des élèves et, plus largement, d’établir des procédures disciplinaires (par exemple pour trouver des solutions alternatives au retrait de la classe). Il peut arriver que l’on organise des activités en petits groupes afin d’intervenir en cas de problèmes particuliers (par exemple la consommation d’alcool ou de drogues, la gestion de la colère, etc.).
 
Au niveau 3 (spécialisé), des interventions spécifiques sont offertes aux élèves traumatisés et à leurs familles. Ces interventions visent notamment l’acquisition par les élèves d’habiletés de régulation des émotions et des états physiologiques et celle des compétences nécessaires au fonctionnement quotidien (par exemple les fonctions exécutives) ainsi que le développement de l’identité. En outre, ces interventions visent l’acquisition, par les personnes responsables des enfants, d’habiletés diverses, telles que l’ajustement empathique, la capacité à autoréguler son fonctionnement, l’utilisation d’une discipline cohérente et positive et l’instauration d’un environnement sécuritaire, prévisible et favorisant le sentiment d’appartenance.
 
Une étude menée sur cinq ans portant sur l’efficacité de HEARTS auprès de 1243 élèves de quatre écoles primaires de San Francisco a démontré : (1) l’amélioration des connaissances du personnel scolaire sur l’impact des traumas et des outils disponibles pour aider les élèves ; (2) un meilleur engagement scolaire des élèves ; (3) une réduction de plus de 85 % des incidents violents ; (4) une réduction de 95 % des suspensions ; et (5) une réduction de tous les symptômes traumatiques chez les enfants recevant des services spécialisés (Dorado et al., 2016). Ces résultats suggèrent que les programmes scolaires orientés vers les traumas, tels que HEARTS, mènent à des résultats positifs qui peuvent être bénéfiques tant pour les élèves que pour l’ensemble du personnel scolaire.
 
Le rôle des psychologues scolaires
 
Les psychologues scolaires ont un rôle important à jouer, à la fois dans la promotion de pratiques tenant compte des traumas et dans la formation de l’ensemble du personnel scolaire. De plus, les psychologues scolaires peuvent promouvoir un changement d’attitude et de pratiques ; ils sont dans une position privilégiée pour plaider pour des pratiques fondées sur les traumas dans les écoles, pour faire campagne pour la formation du personnel et pour soutenir les élèves dans ce domaine. Ils peuvent également jouer un rôle essentiel dans la sensibilisation des administrateurs scolaires. Considérant que la décision au sujet du développement professionnel à prioriser se produit généralement sur le plan administratif, il est nécessaire que les administrateurs possèdent des connaissances dans le domaine des traumas pour qu’ils en fassent une priorité.
 
En ce qui a trait à la formation, les psychologues scolaires sont bien placés pour partager leurs connaissances des différentes approches orientées vers les traumas à l’échelle de l’école. Ils peuvent aider le personnel scolaire à comprendre que les problèmes de comportement et les problèmes de santé mentale sont parfois des séquelles de traumas, et à proposer des stratégies à adopter en classe afin de surmonter les problèmes manifestés par les élèves. Par exemple, dans de nombreuses écoles, l’accent est mis sur la gestion du comportement en classe plutôt que sur la promotion de l’apprentissage socio-émotionnel par les élèves ; malheureusement, cela tend à régler uniquement le problème en surface sans s’attaquer aux sources, plus profondes. Les psychologues peuvent aider le personnel scolaire à se sentir mieux outillé pour réagir avec sensibilité aux difficultés présentées par les élèves et à adopter des approches moins punitives.
 
Conclusion
 
La mise en œuvre d’approches globales tenant compte des différents traumas comme le programme HEARTS devrait être une priorité dans les écoles du Québec afin que le personnel scolaire puisse améliorer ses connaissances sur les traumas, sur l’engagement scolaire et le bien-être des élèves, et puisse ainsi réduire les mesures disciplinaires en place. Il est essentiel de permettre l’accès à des services spécialisés aux enfants et aux adolescents ayant des besoins importants. En ciblant les défis associés aux traumas et en formant le personnel pour qu’il puisse mieux répondre aux besoins des jeunes et y faire face, on peut améliorer le fonctionnement éducatif et social des élèves en difficulté. Sans une compréhension des effets du stress et des traumas, on continuera de percevoir les élèves traumatisés comme des jeunes aux comportements problématiques plutôt que comme des personnes ayant un grand besoin d’aide.
 
 
Bibliographie
 
Blaustein, M. E. et Kinniburgh, K. M. (2010). Treating traumatic stress in children and adolescents: How to foster resilience through attachment, self-regulation, and competency. New York, NY: The Guilford Press.
Bradshaw, C. P., Koth, C. W., Bevans, K. B., Ialongo, N. et Leaf, P. J. (2008). The impact of school-wide Positive Behavioral Interventions and Supports (PBIS) on the organizational health of elementary schools. School Psychology Quarterly, 23, 462-473.
Brunzell, T., Stokes, H. et Waters, L. (2016). Trauma-informed flexible learning: Classrooms that strengthen regulatory abilities. International Journal of Child, Youth and Family Services, 7, 218-239.
Cole, S. F., O’Brien, J. G., Gadd, G., Ristuccia, J., Wallace, L. et Gregory, M. (2005). Helping Traumatized Children Learn: Supportive School Environments for Children Traumatized by Family Violence. Boston, MA: Massachusetts Advocates for Children. 
Dorado, J. S., Martinez, M., McArthur, L. E. et Leibovitz, T. L. (2016). Healthy environments and response to trauma in schools (HEARTS): A whole-school, multi-level, prevention and intervention program for creating trauma-informed, safe, and supportive schools. School Mental Health, 8, 163-176.
Felitti, V. J., Anda, R. F., Nordenberg, D., Williamson, D. F., Spitz, A. M., Edwards, V.
Marks, J. S. (1998). Relationship of childhood abuse and household dysfunction to many of the leading causes of death in adults: The Adverse Childhood Experiences (ACE) study. American Journal of Preventive Medicine, 14, 245-258. 
Horner, R. H. et Sugai, G. (2015). School-wide PBIS: An example of Applied Behavior Analysis implemented at a scale of social importance. Behavior Analysis Practice, 8, 80-85.
Institut canadien d’information sur la santé (2009). Children’s Mental Health in Canada: Preventing Disorders and Promoting Population Health. Ottawa, ON.
OSEP Technical Assistance Center on Positive Behavioral Interventions and Supports (2015). Positive Behavioral Interventions and Supports (PBIS) implementation blueprint: Part 1 – Foundations and supporting information.
Perry, B. D. (2006). Applying principles of neurodevelopment to clinical work with maltreated and traumatized children: The neurosequential model of therapeutics. Dans N. B. Webb (dir.), Working with Traumatized Youth in Child Welfare (p. 27-52). New York, NY : The Guilford Press. 
Plumb, J. L., Bush, K. A. et Kersevich, S. E. (2016). Trauma-sensitive schools: An evidence-based approach. School Social Work Journal, 40, 37-60. 
Waddell, C., Shepherd, C. A., Hua, J. M. et McEwan, K. (2002). Child psychiatric epidemiology and Canadian public policy-making: The state of the science and the art of the possible. The Canadian Journal of Psychiatry, 47, 825-832.
Wolpow, R., Johnson, M. M., Hertel, R. et Kincaid, S. O. (2009). The Heart of Learning and Teaching: Compassion, Resiliency, and Academic Success. Récupéré de http://www.k12.wa.us/CompassionateSchools/Resources.aspx