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Introduction - Lumière sur la psychométrie

EXPERT INVITÉ
Dr Louis Laplante, psychologue

Le Dr Laplante est coordonnateur des services cliniques du service de consultation
de l’École de psychologie de l’Université Laval et coresponsable de la testothèque.
Il a acquis une expérience de l’exercice de la neuropsychologie en milieu psychiatrique
et en clinique universitaire. Ses intérêts cliniques sont relatifs aux psychopathologies
cognitives, aux bonnes pratiques en matière de testing et à la supervision. 


La psychométrie se définit comme la mesure des processus mentaux et des attributs propres aux
individus. Elle s’est construite à travers les théories et les statistiques relatives à l’étude des tests
et de leur construction (Bernier et Pietrulewicz, 1997).

Le philosophe Christian Wolff (1732), au XVIIIe siècle, aurait soutenu le premier l’idée qu’on puisse élaborer une compréhension empirique des phénomènes liés à la conscience de soi. Il invente alors le terme psychométrie, qu’il entrevoit comme la science préoccupée par la « connaissance mathématique de l’esprit humain ». Cette science du psychique prendra plus concrètement racine au sein des premiers laboratoires de psychologie expérimentale, où sont effectués des travaux sur les processus sensoriels, les mécanismes perceptifs et l’anthropométrie. Parmi ces recherches, celles de Francis Galton (1869) ont pour objet les similitudes et les différences individuelles au sein des populations. Pour ce faire, Galton conçoit une vaste étude visant à mesurer plusieurs paramètres susceptibles de rendre compte de ces variations individuelles. Cette entreprise l’amène à inventer de nouveaux dispositifs de mesure sensorimotrice, à concevoir une collecte de données auprès d’un très grand nombre de sujets, et à mettre au point de nouvelles statistiques pour décrire et comprendre ces données. L’anthropologue et statisticien Galton incarnait en quelque sorte, près de 200 ans plus tard, les vues du philosophe Wolff et jetait les premiers jalons à l’origine de la méthode psychométrique classique! La tradition de recherche basée sur le testing anthropométrique sera temporairement laissée de côté, considérée à l’époque comme étant excessivement réductionniste. L’être humain ne se distingue-t-il pas davantage par son intelligence et sa personnalité que par les processus psychiques élémentaires que sont ses aptitudes tactiles et olfactives ?

Contrairement à la mesure des particularités physionomiques et des aptitudes physiologiques, qui soulève généralement peu de problèmes, celle des attributs psychologiques, tels le jugement ou la créativité, présente une certaine complexité, en raison du caractère plus ou moins déterminé de l’objet de la mesure. À cet effet, les débats entourant plus particulièrement la définition de l’intelligence et les questionnements quant à la manière de l’évaluer ont permis de mettre à l’avant-plan les préoccupations relatives à la justesse, à la constance et à la reproductibilité de la mesure (André, Loye et Laurencelle, 2015). C’est dans ce contexte qu’ont aussi émergé les préoccupations relatives à la sélection et au classement des individus et, par conséquent, le développement de toute une méthode psychométrique encore actuelle. Si la psychométrie est d’abord comprise comme la science de la mesure des faits psychiques, elle a assurément évolué en tant que spécialité du repérage et de la prédiction. Le texte rédigé par le Dr Jean-Pierre Chartrand et le Dr Stephan Kennepohl évoque d’ailleurs très bien cette orientation par laquelle une pensée probabiliste peut aider à mieux dépister la présence ou l’absence d’une condition clinique, accroître la qualité de la prédiction et venir appuyer le processus de prise de décision diagnostique.

En clinique, le test psychologique employé dans le cadre d’une démarche évaluative procure des avantages uniques et bonifie substantiellement l’information obtenue par le biais de l’entrevue. Il permet de recueillir des données qui ne pourraient être autrement obtenues. Cependant, la précision, la pertinence et la compréhension de ces données ne sauraient être assurées qu’à partir des directives prescrites dans les manuels de l’utilisateur : elles requièrent un questionnement constant au regard des meilleures pratiques en matière de testing (AERA, APA et NCME, 2014). Dans son article, la Dre Julie Dauphin propose justement ce regard critique pour une utilisation parcimonieuse des tests et suggère des questionnements qui permettraient d’adopter une attitude compétente dans la démarche d’évaluation.

Si, à l’heure actuelle, les méthodes psychométriques sont largement incontestées, la méthode clinique dite qualitative, elle, permet au clinicien de se soustraire aux questions standardisées au profit d’un examen contextuel en adaptant son investigation aux réactions du client afin de le comprendre de façon aussi précise que possible. La méthode clinique s’appuie sur de riches fondements théoriques, et le test est perçu comme l’objet qui médiatise la relation entre le client et le psychologue. Le texte de Pierre Banville sur la pertinence et la valeur du Rorschach à partir d’une analyse du discours d’adolescents en milieu scolaire incarne éloquemment la tradition de la méthode clinique en contexte d’évaluation.

Qu’il s’agisse de la méthode psychométrique ou de la méthode dite qualitative, la notion du test psychologique comme médiateur de la relation entre l’évaluateur et la personne évaluée nous interroge aujourd’hui par l’avènement de nouvelles pratiques d’évaluation basées sur les récentes innovations technologiques. Les Drs Philippe Longpré, Simon-Pierre Harvey et Francine Roy explorent trois de ces nouvelles pratiques dans le domaine de l’évaluation du potentiel et des compétences. Si ces nouvelles méthodes peuvent augmenter la valeur prédictive de l’évaluation des compétences, elles renvoient néanmoins aux mêmes enjeux méthodologiques, dont celui de la validité, relatifs à la théorie des tests.

Au-delà des méthodes et des statistiques, les textes présentés dans ce dossier invitent à faire un usage compétent des tests et mettent en lumière la diversité des contextes dans lesquels leur passation, au sens large, permet une pratique clinique éclairée.

Références

American Educational Research Association (AERA), American Psychological Association (APA), et National Council on Measurement in Education (NCME) (2014). Standards for Educational and Psychological Testing. Washington : American Psychological Association.

André, N., N. Loye, et L. Laurencelle (2015). « La validité psychométrique : un regard global sur le concept centenaire, sa genèse, ses avatars ». Mesure et évaluation en éducation, 37(3); 125-148.

Bernier, J.-J., et B. Pietrulewicz (1997). La psychométrie : traité de mesure appliquée. Montréal : Gaëtan Morin Éditeur.

Galton, F. (1869). Hereditary Genius: An Inquiry Into its Laws and Consequences. Londres : Collins. Wolff, C. (1732). Psychologia Empirica. Francfort-Leipzig : Officina Libraria Regeneriana.