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Introduction au dossier - Comprendre la détresse des hommes, mieux intervenir

Dre Suzanne Léveillée, psychologue | Experte invitée 

La Dre Léveillée est psychologue depuis 1987 et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 1994. Ses projets de recherche portent sur les enjeux psychosociaux, la santé mentale et la violence intrafamiliale. Elle donne des formations sur ce sujet et elle exerce en pratique privée (psychothérapie et expertise psycholégale). 


La détresse vécue par les hommes est bien réelle. En traitant de ce sujet, plusieurs questions nous viennent en tête. D’une part, la détresse vécue par les hommes diffère-t-elle de celle des femmes? D’autre part, comment cette détresse s’exprime-t-elle et quels en sont les déclencheurs? Enfin, qu’en est-il de la demande d’aide effectuée par les hommes? En tant que psychologue, il est important de bien évaluer ces enjeux spécifiques aux hommes pour intervenir de manière plus efficace.

Les différences hommes-femmes

La comparaison entre les hommes et les femmes a fait l’objet de plusieurs études en lien avec la séparation, l’autodestruction, et la demande d’aide. Un des déclencheurs de détresse intense chez les hommes (affects dépressifs, comportements destructeurs ou violents contre soi ou autrui) est sans aucun doute la séparation amoureuse. Selon plusieurs études, les hommes prennent moins fréquemment l’initiative de la rupture que les femmes; en moyenne, 80 % des femmes prennent la décision de la rupture (Cyr-Villeneuve et Cyr, 2009). Les conséquences de ce constat pourraient être un vif sentiment de trahison, le peu de préparation à la perte qui arrive subitement pour les hommes. Ainsi, le processus de deuil vis-à-vis des pertes (de la conjointe, des enfants) débute à un moment différent chez les hommes de chez les femmes (Genest-Dufault, 2013). Les hommes entretiendraient plus longtemps des fantaisies de réconciliation. Aussi, entretenir un attachement envers une personne qui n’est pas attachée en retour engendrerait de la honte et une baisse de l’estime de soi. De plus, certains hommes se sentent trahis et réagissent par des comportements violents lors de l’annonce de la séparation (Baum, 2003; Ellis, Stuckless et Smith, 2015).

En effet, certains hommes présentent des comportements violents envers leur conjointe pendant la période de la séparation, même s’ils n’en avaient jamais présenté avant. Le manque de mots, le trop-plein d’émotions, les difficultés à contenir ses émotions lors d’un stress intense pourraient expliquer, sans les justifier, des comportements agressifs en contexte de séparation (Léveillée et Lefebvre, 2010). D’autres travaux indiquent un lien entre la séparation et des épisodes de dépression majeure (Baum, 2004), une augmentation de la consommation d’alcool et des comportements autodestructeurs (Kolves, Ide et De Leo, 2010).

Demander de l’aide n’est pas aisé pour les hommes

Les hommes présentant des valeurs masculines traditionnelles plus ancrées en lien avec la performance, la force et la restriction émotionnelle démontrent plus de difficultés à demander de l’aide. Ces valeurs seraient aussi liées à des difficultés à reconnaître leur vulnérabilité (Fletcher et St-George, 2010). De plus, la honte masculine serait associée aux valeurs masculines : plus ces valeurs sont ancrées, plus les hommes éprouvent des difficultés à demander de l’aide, et plus ils ressentent de la honte (Parcel, 2010).

La demande d’aide des hommes : quand paroles et comportements s’entremêlent

Parfois, l’expression d’agressivité est la seule porte d’entrée vers la verbalisation; la détresse s’exprime souvent chez les hommes par des comportements ou propos teintés d’agressivité. Ces propos auraient pour fonction de masquer les affects dépressifs. Même dans ce contexte, il importe dans la mesure du possible de faire preuve d’empathie et de respect, de démontrer notre intérêt à mieux comprendre les difficultés vécues et exprimées sans adopter un ton moralisateur ou culpabilisant (Guilmette et coll., sous presse, mars 2016). Il demeure essentiel de ne pas accepter une agressivité qui dépasserait nos limites personnelles ou professionnelles. Toutefois, nommer la détresse sous-jacente à l’irritabilité reste un outil thérapeutique à retenir.

Quand les comportements remplacent les mots, un espace de parole sécuritaire et sans jugement pourrait aider les hommes en détresse à nommer le trop-plein d’émotions et ainsi diminuer le risque de passage à l’acte violent. Par exemple, dans le contexte d’une séparation conflictuelle où l’homme a des comportements violents, Vasselier-Novelli et Heim (2010) soulignent que des rencontres (individuelles ou de groupe) permettent à l’homme de se sentir écouté, de voir que l’on reconnaît sa détresse, malgré, par exemple, les accusations portées contre lui. Dans un tel contexte judiciaire, une ou deux rencontres de soutien pourraient précéder un travail thérapeutique ultérieur plus approfondi.

Le groupe, un outil de traitement fort appréciable pour les hommes

Un des défis de l’intervention auprès des hommes est de les aider à briser l’isolement, à élargir leur réseau de soutien et à réinvestir leurs liens sociaux (Tremblay et L’Heureux, 2010; 2011). Les pratiques de groupe offrent aux hommes la possibilité de recevoir du soutien émotionnel et l’opportunité de créer des liens significatifs. De plus, une des forces de l’intervention de groupe est de stimuler le lien social permettant à la personne de se sentir moins seule et isolée dans une période difficile, et ce, à un moment précis de sa vie. Les personnes en détresse ont souvent l’impression que leurs difficultés pourraient durer toute leur vie.

Quatre textes sur la détresse masculine

Les thèmes abordés dans cette brève mise en contexte sont repris et élaborés plus à fond par les auteurs du présent numéro thématique. Les auteurs nous font part de leur expertise en arrimant les résultats de recherche à la pratique clinique. Ainsi, partant de travaux récents, ils proposent des pistes d’intervention pertinentes à tenir en ligne de compte quand le psychologue recoit un homme en consultation.

La question du suicide est particulièrement sensible pour les hommes et les psychologues doivent y porter attention. Les auteures Janie Houle et Brigitte Lavoie ont écrit deux textes en collaboration. Ces textes intitulés « Prévenir le suicide chez les hommes » et « Pratiques à promouvoir pour mieux aider les hommes » traitent des travaux récents et proposent des pistes d’intervention concrètes et spécifiques aux hommes. La détresse vécue par les hommes lors d’une rupture conjugale est abordée par Richard Cloutier. Dans son texte intitulé « Rupture conjugale et détresse masculine », l’auteur nous sensibilise à ce phénomène et soulève l’importance d’offrir aux hommes un accompagnement sur les plans relationnel, juridique et financier. Cet accompagnement pourrait assurer un filet de sécurité sociale appréciable. Enfin, le thème de la détresse entourant le poids, l’image corporelle et l’insatisfaction corporelle a beaucoup été développé pour les femmes, mais peu de travaux portent sur ce type de souffrance chez les hommes. Dans leur texte intitulé « L’insatisfaction corporelle chez les hommes : une détresse méconnue qui mérite notre attention », Patricia Groleau et Jodie Richardson présentent les travaux effectués sur cette thématique et abordent quelques éléments d’évaluation et de traitement, ainsi que les directions futures dans ce domaine de recherche et d’intervention encore trop peu connu.

Puisse la lecture de ces textes être stimulante et motivante, tout en favorisant la réflexion et une meilleure pratique auprès de la clientèle masculine.

Références

Baum, N. (2003). The male way of mourning divorce: When, What, and How. Clinical social work journal, 31(1), 37-50.

Baum, N. (2004). On helping divorced men to mourn their losses. American Journal of Psychotherapy, 58(2), 174-185.

Cyr-Villeneuve, C., et Cyr, F. (2009). En quoi et pourquoi les hommes et les femmes sont-ils affectés différemment par la séparation conjugale? Psychologie française, 54, 3, 241-258.

Ellis, D., Stuckless, N., et Smith, C. (2015). Marital Separation and Lethal Domestic Violence. London and New York : Routledge.

Fletcher, R. J., et St-George, J. M. (2010). Men’s Help-Seeking in the context of family separation. Advance in Mental Health, 9, 1, 49-62.

Genest-Dufault, S. (2013). Les hommes nus d’amour, l’expérience masculine de la rupture amoureuse : perspectives sur le deuil, le genre et le sens dans l’hypermodernité, (thèse de doctorat), Université Laval, Québec.

Guilmette, D., Tremblay, G., Genest-Dufault, S., Audet, S., et Léveillée, S. (Sous presse, à paraître en mars 2016). La rupture au masculin : comprendre et intervenir. Dans Saint-Jacques, M. C., Lévesque, S., Robitaille, C., et St-Amand, A. (dir.) Séparation familiale, recomposition familiale : enjeux contemporains, Presses de l’Université du Québec.

Kolves, K., Ide, N., et De Leo, D. (2010). Suicidal ideation and behaviour in the aftermath of marital separation: Gender differences. Journal of Affective Disorders, 120(1-3), 48-53.

Léveillée, S., et Lefebvre, J. (2010). Ces hommes qui tuent leur famille. Vers une meilleure compréhension de l’homicide conjugal masculin et du familicide. Saint-Jérôme: Éditions Ressources.

Parcel, R. (2010). Développement et validité initiale du questionnaire de la honte de la vulnérabilité masculine. Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke.

Tremblay, G., et L’Heureux, P. (2010). Des outils efficaces pour mieux intervenir auprès des hommes plus traditionnels. Dans J. M. Deslauriers, G. Tremblay, S. Genest-Dufault, D. Blanchette et J.Y. Desgagnés (éd.). Regards sur les hommes et les masculinités : Comprendre et intervenir, p. 125-151. Québec : Presses de l’Université Laval.

Tremblay, G., Roy, P., Morin, M.-A., Desbiens, V., et Bouchard, P. (2011). Conflits de rôle de genre et dépression chez les hommes. Revue québécoise de psychologie, 32 (1), 181-200.

Vasselier-Novelli, C., et Heim, C. (2010). Représentations de couple et de la famille, chez les auteurs de violence conjugale à partir d’expériences comparées de groupes de paroles. Thérapie familiale, 4, vol. 31, 33-56.