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Dernière ligne... de vie : Les enjeux psychologiques de la fin de vie

Dre Line St-Amour, psychologue

Psychologue clinicienne en oncologie et en soins palliatifs au CHUM, elle œuvre auprès des patients, donne de la formation au personnel soignant et supervise des étudiants au doctorat en psychologie. Elle participe également à différents comités en éthique médicale.

 

Dre Lucie Martin, psychologue

Psychologue clinicienne en oncologie et en soins palliatifs au CHUM, elle accompagne les patients et leur famille à travers les différentes étapes de la maladie et du deuil. Elle est très impliquée dans l’enseignement auprès des internes en psychologie et au sein de plusieurs équipes interdisciplinaires.


Aborder la question complexe de la fin de vie en cancérologie peut difficilement se résumer en quelques lignes. Un diagnostic de cancer interpelle à la fois la dimension physique et psychologique sans que nous puissions en connaître et en comprendre toutes les ramifications. Nous tenterons toutefois de vous sensibiliser aux différents enjeux vécus par les patients, leur famille, le personnel soignant et le psychologue. Notre expérience clinique en milieu hospitalier nous a révélé la nécessité de tenir compte de la singularité des manifestations pour chaque individu atteint par cette maladie. 

Les avancées de la science médicale portent à croire que le cancer ne sera plus « une maladie potentiellement mortelle » (Alexandre, 2014; Sourkes, 2001). Une belle illusion, un désir ou une réalité? Selon les données de la Société de recherche sur le cancer (2016), près d’un Canadien sur deux sera touché par le cancer au cours de sa vie. À ce jour, il est la principale cause de décès au Canada, et ce, depuis 2005. Ainsi, plusieurs patients doivent, malgré eux, amorcer une transition vers la fin de vie. Pour l’équipe médicale, cette étape de l’arrêt des traitements s’inscrit dans une trajectoire de soins plus ou longue, selon le diagnostic. Durant cette période, l’option des soins palliatifs sera proposée au patient. 

Le passage des traitements actifs à l’arrêt des traitements, souvent appelé « la dernière ligne de chimiothérapie », est une étape difficile dont on fait peu état d’un point de vue psychologique. Bien que le constat d’une fin de vie puisse sembler évident, l’annonce d’une telle nouvelle fait émerger de multiples réactions telles que l’étonnement, la sidération, la dépression, la colère, la peur ou l’anxiété. Difficile de se défendre contre le spectre de la mort. Son entrée en scène dans le théâtre de l’imaginaire donnera lieu à de multiples facettes d’une pièce dont le dénouement restera, malgré tout, sans équivoque. 

Processus psychologique chez la personne en fin de vie

L’annonce de notre propre mort produit des effets dans tous les retranchements de notre être (psychique, social et spirituel). Aucune préparation ne nous épargne du choc ressenti lors de cette annonce invraisemblable. Précipité dans un grand bouleversement, le patient fait son bilan de vie et évalue son parcours. Ce qu’il juge être ses réussites et ses échecs. Parfois, des réminiscences surgissent et le déstabilisent, provoquant des regrets, voire des remords : « Est-ce que j’ai eu une bonne vie? Est-ce que ma vie a eu une valeur? Qu’est-ce qui survivra de moi après ma mort? » En réponse à ces questionnements, plusieurs souhaitent finaliser un projet, réparer un lien, compléter une tâche, léguer leurs biens, s’assurer que leurs proches sont en sécurité ou remercier quelqu’un. Le but ultime étant de mourir en paix autant que faire se peut.

Tout au cours de cette remise en question suscitée par l’angoisse de mort, de ce parcours visant à donner un sens à ce qui advient, le patient peut être confronté à différentes manifestations psychiques : des images évoquant la mort, le déclin du corps, la décrépitude qui suscite de l’effroi et de l’ambivalence entre le désir de vivre et de mourir. Petit à petit, l’angoisse s’installe et fait naître une souffrance intense. Difficile de se représenter sa propre mort. « Impossible, dira Freud, la mort est irreprésentable » (Freud, 1915). La personne en fin de vie se retrouve confrontée alors à « un impossible à dire » (Pigeon, 1997 et à communiquer. Notre expérience nous a permis d’en relever quelques exemples : un patient, d’une autre culture, a déjà confié avoir conclu un pacte avec le démon afin de prolonger sa vie; une femme craignait de mourir croyant que son mari violent, décédé quelques années auparavant, l’attendait pour régler ses comptes; une autre femme se projetait dans une boîte noire et s’imaginait rongée par les vers. D’autres étaient habités par des représentations plus réconfortantes comme des anges, des oiseaux mythiques et des ombres protectrices, ou ils se sentaient enveloppés par une lumière blanche éblouissante. Il n’est pas facile d’aborder toutes ces représentations sans craindre d’être jugé ou de sombrer dans la folie. 

Le processus de la mort implique une dernière étape, celle de l’agonie, où le patient éprouve une altération de sa conscience. Avoir des moments d’éveil, réfléchir, communiquer s’avère de plus en plus difficile. Une rupture s’établit avec le monde extérieur. Impossible de savoir ce que le patient ressent et pense, ce qui laisse place à de multiples interprétations de la part de l’entourage. Une condition qui pourrait s’apparenter à l’infans (l’enfant durant la période qui précède l’avènement de la parole). 

Les proches vis-à-vis du mourant

Dans notre société québécoise actuelle, nous observons principalement deux facteurs pouvant influencer l’attitude des proches envers le malade en fin de vie. Le premier serait relatif à l’avancée de la science permettant un prolongement des traitements et de l’espérance de vie des patients. Le second serait associé à l’organisation de notre mode de vie (travail, loisir, famille) qui limiterait la disponibilité que les proches peuvent offrir au patient. Il lui est souvent difficile de concilier l’ensemble des ressources temporelles, financières et organisationnelles.
Être témoin de la souffrance de quelqu’un qui nous est cher amène un vécu éprouvant aux conséquences imprévisibles. Lorsqu’il y a un lien de proximité avec la personne mourante, l’expérience d’accompagnement bouleverse et transforme. Selon l’histoire de chacun et la dynamique relationnelle établie au fil du temps, peut s’installer un processus pouvant osciller entre le désinvestissement et le surinvestissement.

Au sein de notre culture, il ne semble pas convenable d’évoquer la mort de l’autre comme probable à court terme, et surtout, d’en parler à la personne qui y est confrontée. Plusieurs essaieront d’entretenir de faux espoirs dans le but de protéger le malade et possiblement de se protéger eux-mêmes d’un effondrement anticipé. Ainsi, de prime abord, l’annonce d’une mort imminente est insupportable pour le proche. Puis, au fur et à mesure que la maladie évolue et que le corps du malade se dégrade, la mort devient de plus en plus apparente et inévitable. Les proches doivent alors composer avec cette fatalité.

La relation médecin-patient 

Pour le médecin traitant qui, dans un premier temps, mène une lutte contre la mort et, dans un second temps, mène une lutte contre la montre, il est difficile de s’avouer vaincu. Difficile aussi de relayer le patient, son propre patient, à une autre équipe, celle des soins palliatifs. Émotionnellement, ce geste semble s’apparenter, pour les deux partenaires, à un abandon où la médecine n’a pas rempli ses promesses de guérison ou de survie. Il faut signifier que le lien médecin-patient s’établit souvent au cours d’une longue période de suivi médical permettant un investissement relationnel mutuel, favorable ou défavorable. 

Dans la relation vient souvent s’ajouter une construction de l’imaginaire où le médecin peut être perçu comme un sauveur et la science comme une force toute-puissante générant des attentes plus ou moins optimistes, voire plus ou moins réalistes, quant à une guérison possible. Dans un tel contexte, comment s’y prendre pour mettre un terme aux traitements sans créer de désespoir et sans provoquer une rupture dans la relation? Ce dilemme révèle toute la complexité du moment. 

Un dernier élément à considérer renvoie à la question de la vérité. Comment aborder ce sujet en s’assurant de mettre en place des conditions permettant d’en limiter les effets déstabilisants? Considérant cette préoccupation, l’ensemble de l’équipe, incluant le psychologue, peut apporter sa contribution pour soutenir le patient et l’aider à saisir l’ampleur de sa maladie pour qu’il puisse prendre les meilleures décisions pour lui-même et pour son entourage. 

Contribution du psychologue

La complexité du processus de fin de vie nécessite que le psychologue se positionne par rapport à la maladie, à la mort et à l’angoisse, afin de pouvoir être en résonance avec le patient. Dans le but d’offrir une disponibilité et une qualité de présence, le psychologue doit être en mesure de bien comprendre ses propres enjeux en effectuant un travail d’introspection et en développant une expertise clinique. Le processus thérapeutique ne peut être possible que si on est en mesure d’entendre et d’accueillir la souffrance de l’autre (De Hennezel, 2004). 

Afin d’assumer toutes les responsabilités associées à la fonction du psychologue clinicien en oncologie et en soins palliatifs, il est fondamental d’établir des objectifs de travail qui vont permettre d’orienter nos interventions. Un aperçu de ceux-ci est présenté ci-dessous.

Objectifs de travail du psychologue clinicien en oncologie et en soins palliatifs 

  • Ouvrir un espace pour dire l’indicible, dire ce qui ne peut être recevable sur la scène sociale, mais qui travaille à l’intérieur de soi (Apollon, Bergeron et Cantin 2010).
  • Permettre au patient de prendre conscience de son rapport à son corps dans toute sa subjectivité (le corps n’est pas qu’organes).
  • Explorer les enjeux sur les plans imaginaire, affectif et relationnel du patient qui fait face à sa mort prochaine. Mettre en perspective ses représentations (images rattachées à des expériences, à des symboles, etc.).
  • Distinguer les sources de souffrance et les manifestations de l’angoisse de mort afin qu’elles deviennent un levier permettant de reconnaître le vécu affectif sous-jacent, de saisir la signification de ce qui se vit et d’amorcer un travail psychique.
  • Aider le patient à surmonter l’arrêt, parfois traumatique, des traitements (sidération anxieuse) en favorisant une mentalisation et une remobilisation des énergies de vie restantes.
  • Favoriser le processus d’intégration dans l’histoire de vie du patient. Faciliter le fait que sa mort puisse s’inscrire dans un processus de continuité de sa vie.
  • Élargir les perspectives de son vécu vis-à-vis de sa fin de vie.
  • Faciliter l’évolution favorable du travail de deuil.
  • Soutenir les membres de la famille à différents moments du parcours du patient (lors de la fin de vie et après le décès).
  • Participer au travail d’équipe en mettant à contribution notre expertise psychologique.

Défis pour le psychologue

Le fait de voir successivement les patients décéder peut rendre difficile la disponibilité intérieure du psychologue. Ce dernier risque d’être envahi par la souffrance de l’autre et de réagir par de l’évitement, de l’irritabilité, de la fatigue de compassion et de l’activisme thérapeutique. Il est essentiel de développer des stratégies pour être en mesure de tolérer le mal-être, de le surmonter et d’intégrer cette expérience afin de pouvoir accueillir à nouveau la détresse.
Un autre défi est de vivre avec une impression de travail inachevé alors qu’un suivi thérapeutique était en cours au moment du décès, ce dernier nous empêchant de faire nos adieux et de finaliser le lien. Cette situation nous amène à concevoir autrement notre idéal de la relation thérapeutique et à modifier nos attentes conformément à la réalité du contexte des soins palliatifs.

Aide médicale à mourir

En dépit des grandes avancées technologiques de la médecine du 21e siècle, le déclin de l’humain et sa mort demeurent une réalité incontournable. L’évolution de certains types de cancers nécessite des traitements agressifs et difficiles à tolérer. La douleur peut s’installer rapidement dans le parcours de soins. Bien que souvent rempli d’espoir, le patient est atteint dans sa qualité de vie. Lorsqu’arrive le moment où la fin de vie s’annonce inéluctable et que le corps souffrant semble atteindre sa limite, le désir de vivre jusqu’au bout de sa vie peut perdre son sens. Depuis décembre 2015, une nouvelle loi est en vigueur concernant l’aide médicale à mourir. Certains patients peuvent désormais, à partir de critères bien définis et selon un protocole établi, formuler une demande en ce sens et convenir avec l’équipe médicale du moment de leur mort dans le but d’abréger leurs souffrances. 

À titre de membres du Groupe interdisciplinaire  de soutien (GIS)pour l’équipe médicale et professionnelle, nous constatons toute la complexité liée au processus décisionnel et à l’application des mesures pour répondre aux demandes d’une telle nature. Nous souhaiterions que l’apport des psychologues soit considéré dans la mise en œuvre de la loi. Comment les psychologues pourraient-ils répondre à ce nouveau droit des patients et soutenir leur famille?

Conclusion

S’acheminer vers une fin de vie s’inscrit, encore aujourd’hui, dans un processus développemental. La mort pouvant être considérée comme « la dernière étape de la croissance » (Kubler Ross, 2002). Le psychologue en oncologie a comme fonction principale d’accompagner le patient, de le soutenir dans sa quête de sens et de favoriser le travail psychique. Ce dernier étant « l’inévitable travail imposé à la psyché par la survenue d’un événement somatique », selon Gauthier (2005).

Bibliographie

Alexandre, L. (2014). La défaite du cancer. Histoire de la fin d’une maladie. Paris, France : JC Lattès.
Apollon, W., Bergeron, D. et Cantin, L. (2010). Sessions de formation clinique du Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d’intervention clinique et culturelle (GIFRIC). Repéré à http://www.gifric.com/cfr-sessions.htm
De Hennezel, M. (2004). Le souci de l’autre. Paris : Robert Laffont. 
Freud, S. (1915). Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort. Dans Essais de psychanalyse. Paris, France : Payot.
Gauthier, J. (2005). Psychanalyse et oncologie. Entretien avec Jacques Gauthier. Filigrane, 14(2), 40-61.
Kubler Ross, E. (2002). La mort, dernière étape de la croissance. New York : Pocket.
Pigeon, M. (1997). L’impossible à dire. Moebius : écritures/littérature, 73, 11-20.
Société de recherche sur le cancer (2016). Repéré à http://www.societederecherchesurlecancer.ca
Sourkes, B. M. (2001). La part de l’ombre. Les aspects psychologiques des maladies potentiellement mortelles. Paris, France : Frison Roche.