L’intervention psychologique auprès des proches aidants
Lucile Agarrat, psychologue
Psychologue spécialisée en gérontologie, Mme Agarrat a notamment travaillé à l’Institut Douglas. Elle s’intéresse aux enjeux psychologiques liés au vieillissement et aux troubles neurocognitifs et a développé une expertise sur la proche-aidance. Elle oeuvre aujourd'hui à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM) et à son Centre de recherche.
Les psychologues qui travaillent auprès d’adultes et d’aînés, que ce soit dans le réseau public ou au privé, peuvent être amenés à intervenir auprès de personnes qui s’occupent d’un proche âgé présentant des troubles cognitifs. La littérature confirme l’impact du rôle de proche aidant sur la santé physique et mentale de l’individu qui le tient. Des systèmes d’aide sont déjà en place, mais ils ne comblent pas tous les besoins. Après avoir fait un état des lieux de la situation, nous exprimerons quelques réflexions issues de notre pratique clinique sur les interventions du psychologue auprès des proches aidants.
Les difficultés et les besoins liés au rôle de proche aidant
S’investir comme proche aidant demande beaucoup de temps et d’énergie. Cela peut avoir des conséquences négatives sur les plans social, professionnel, financier, sur les loisirs, la santé, le sommeil, la cognition. La vulnérabilité des proches aidants aux troubles de santé mentale fait consensus, nombre d’entre eux présentant des symptômes anxieux ou dépressifs allant parfois jusqu’à l’épuisement (Dupuis, Epp et Smale, 2004). Le phénomène d’épuisement des proches aidants semble être causé par une interaction complexe de plusieurs éléments par rapport à la personne malade, au proche aidant lui-même, à leur relation, ainsi qu’au contexte (ex. réseau de soutien, services disponibles).
Les proches aidants ont tout d’abord besoin de soutien sur le plan matériel (ex. : aide pour le ménage, divers achats, préparation des repas, transport, gestion des finances, etc.). Le besoin d’être informé est aussi essentiel, que ce soit pour mieux comprendre la maladie de leur proche, le fonctionnement du système de santé, les démarches légales à entreprendre, l’aide financière disponible, etc. Les proches ressentent aussi le besoin de socialiser (faire des sorties, des activités) et d’avoir un soutien émotionnel (pouvoir parler à quelqu’un de confiance, se sentir écouté et réconforté). Dans leur étude, Hughes et ses collaborateurs (2014) ont analysé les besoins non comblés de patients atteints de troubles neurocognitifs majeurs et de leurs proches aidants. Le soutien émotionnel et le besoin de répit étaient parmi les facteurs liés à la fois au fardeau objectif (impact observable, matériel) et au fardeau subjectif (impact émotionnel) du proche aidant.
Les services disponibles au Québec
Compte tenu de ces besoins, le réseau de la santé et des services sociaux et des organismes communautaires fournissent différentes prestations aux proches aidants, notamment à ceux qui prennent soin à domicile d’une personne atteinte d’un trouble neurocognitif majeur. Les CLSC attribuent un gestionnaire de cas qui définit les besoins de la personne âgée et de ses proches et offre un suivi psychosocial. Les besoins matériels et informationnels sont généralement privilégiés : aide à domicile pour certains soins et certaines tâches domestiques, et recommandations pour améliorer la sécurité à domicile. Des services de « répit » et de « baluchonnage » peuvent aussi être proposés, sous une forme ou une autre en fonction des besoins : un intervenant peut aller passer du temps avec la personne atteinte, ou un séjour temporaire peut être organisé en centre d’hébergement. Des centres de jour offrent aux patients différentes activités en groupe en fonction de leur niveau de fonctionnement. Lorsque le maintien à domicile ne semble plus sécuritaire, un travailleur social aiguille les proches dans les démarches pour choisir un centre d’hébergement, et c’est l’équipe de la résidence choisie qui prend ensuite le relais de l’accompagnement du nouveau résident et de sa famille.
L’ensemble de ces services permet aux proches aidants d’avoir davantage de temps pour eux en les déchargeant de certaines tâches et responsabilités. Notons que ces interventions sont parfois réalisées directement par des employés du CLSC, mais que quelquefois, les proches sont seulement orientés vers des services privés ou communautaires (ex. : aide à domicile, offres de répit, centres de jour).
Par ailleurs, de nombreux proches aidants ont aussi recours à des services et à des activités proposés par différents organismes communautaires. Certains opèrent à l’échelle nationale (ex. : le Réseau des Sociétés Alzheimer), mais des initiatives locales existent aussi (ex. : à Montréal, existent le Groupe des Aidants du Sud-Ouest et l’organisme Le Temps d’une Pause, dans l’est). Ces organismes communautaires offrent aux proches aidants du soutien informationnel et émotionnel : des conférences et autres ateliers d’information, des groupes de soutien et de discussion, principalement, mais aussi, quoique plus rarement, des ateliers de relaxation, d’art thérapie ou de prévention de l’épuisement.
Certaines problématiques subsistent
Bien que ces services soient précieux, ils ne suffisent pas pour soulager la détresse physique et psychologique des proches aidants. L’accès aux services ne va pas forcément de soi, surtout lorsque les proches ne sont pas informés des ressources existantes et se perdent dans la multiplicité d’interlocuteurs (le répertoire de ressources de L’Appui est un outil essentiel sur ce plan). Parfois, la situation se détériore à cause du temps d’attente pour profiter d’un service ou obtenir une rencontre avec un professionnel. Certains proches aidants peuvent aussi avoir tendance à minimiser leurs besoins, être réticents par rapport aux services proposés et retarder, voire refuser leur mise en œuvre. Même quand on parvient à fournir plusieurs types d’aide, certains proches aidants continuent de présenter des signes alarmants d’épuisement.
Une fois la personne en perte d’autonomie prise en charge en centre d’hébergement de façon permanente, donc même lorsque le fardeau objectif diminue (ex. : en ce qui a trait au nombre d’heures de soins directs), de nombreux proches aidants continuent de ressentir une détresse psychologique importante relativement à des enjeux de culpabilité, d’insatisfaction envers les soins reçus par leur proche ou de conflits avec l’équipe soignante.
Les proches aidants sont constamment encouragés à « prendre soin de soi » par les intervenants. Point crucial de la prévention de l’épuisement, prendre soin de soi peut signifier s’occuper de sa santé, adopter un mode de vie sain, avoir des activités significatives, sociales, de loisir, et aménager des périodes de repos et de calme. Toutefois, certains proches aidants ne s’autorisent pas ce type de stratégie, ont tendance à culpabiliser lorsqu’ils prennent un peu de temps pour eux, ou n’ont plus d’énergie pour planifier des activités.
Sans compter que certains pouvaient déjà présenter des problèmes de santé mentale avant même de devenir proches aidants (ex. : anxiété, dépression, troubles de personnalité). Ils peuvent par exemple être ambivalents envers les services et les soins, être impulsifs dans l’expression de leurs frustrations ou faire du clivage au sein des équipes. Des réactions de déni et d’évitement peuvent aussi être observées (ex. : un membre de la famille pourrait minimiser les manifestations d’agressivité de son proche). Pour d’autres, l’attitude dominante est plutôt une tendance à ressasser leurs problèmes et leurs pensées négatives, voire à ventiler » excessivement auprès de leurs proches et de professionnels sans véritable effet apaisant.
Le rôle du psychologue : pistes de réflexion
Dans ses interventions auprès de proches aidants, le psychologue est souvent amené à utiliser l’éducation psychologique pour aider la personne à comprendre la maladie de son proche et les implications qu’elle a dans sa vie quotidienne. Cela permet d’avoir une vision plus réaliste des choses, d’adopter une autre perspective et de s’ajuster aux besoins de la personne malade. De plus, le psychologue est, bien sûr, un interlocuteur privilégié pouvant offrir un soutien sur le plan émotionnel. En effet, plusieurs proches aidants se confient assez peu à leur entourage, soit parce que cela leur donne l’impression que la maladie de leur proche envahit toutes les sphères de leur vie, soit parce qu’ils sont irrités ou blessés par l’attitude de leurs proches (comparaisons, conseils, tendance à minimiser le problème), soit parce qu’ils ont peur d’accabler leur entourage (surtout leurs enfants) en parlant sans cesse de leurs problèmes. Dans certaines situations, la détresse psychologique est amplifiée par un manque de flexibilité dans la recherche de solutions ou par une certaine tendance au pessimisme et au découragement. Ainsi, le psychologue peut accompagner la personne dans sa démarche de résolution de problème en lui redonnant un sentiment de contrôle et d’efficacité.
Ce soutien émotionnel et informationnel fait partie intégrante des interventions psychologiques. Toutefois, ce type d’approche peut être partagée par différents professionnels de la santé. En revanche, le psychologue peut faire valoir sa spécificité lorsqu’il semble nécessaire de travailler certains aspects plus en profondeur avec la personne. Dans certains cas, malgré les encouragements de l’entourage personnel et professionnel à accepter l’aide offerte et à prendre soin de soi, ces recommandations ne sont pas entendues ou mises en pratique par le proche aidant. Lorsque la détresse et le sentiment de fardeau semblent inchangés, le psychologue peut intervenir pour aider la personne à surmonter certaines difficultés et à retrouver un meilleur équilibre. Notre expérience clinique nous a souvent confrontés à des problèmes récurrents.
L’acceptation et le lâcher-prise sont des piliers centraux dans le vécu du proche aidant. Celui-ci peut avoir de la difficulté à accepter certains aspects de la situation, comme le diagnostic, l’évolution de la maladie, certains symptômes, les limites du système de santé ou le manque d’implication d’autres membres de sa famille. La tendance à avoir des attentes irréalistes envers la personne malade, l’entourage ou la société entretient un sentiment d’injustice et l’impression que la situation est intolérable. Le psychologue peut accompagner le proche aidant dans le dépassement de cette tristesse et de cette colère face aux éléments de la situation sur lesquels il n’a aucun contrôle.
De plus, de nombreux proches aidants ressentent de la culpabilité, ont l’impression de ne pas en faire suffisamment, ou de ne pas avoir fait les bons choix pour leur proche. Un travail de restructuration cognitive peut être intéressant pour désamorcer les « je dois » et « j’aurais dû » et adopter une façon de penser moins culpabilisante. Encourager le proche aidant à réfléchir plutôt à sa propre responsabilité peut l’aider à se détacher d’une certaine culpabilité (Arcand et Brissette, 2010). Aussi, le fait de prendre conscience que les responsabilités sont souvent partagées par plusieurs acteurs, surtout dans le parcours de soins, permet de relativiser le poids de son propre rôle.
Un autre enjeu commun pour les proches aidants est de demander de l’aide, voire d’accepter celle qui leur est offerte, et ce, même lorsqu’ils présentent des signes évidents d’épuisement. Il s’agit en quelque sorte d’un prérequis au fait de prendre davantage soin de soi : accepter de déléguer et apprendre à prioriser les tâches permettra de dégager un peu plus de temps pour s’investir dans des activités de loisir, par exemple. Encourager le proche aidant à verbaliser ses craintes et ses réticences l’aidera à mieux comprendre ce qu’il vit et à vaincre ses peurs. Par exemple, le proche aidant peut avoir l’impression de déranger ou d’imposer ses besoins, ou encore craindre d’avouer ses difficultés. Plus concrètement, certains proches aidants peuvent aussi avoir besoin de soutien pour explorer leur réseau personnel; ils pourraient y découvrir plusieurs personnes-ressources potentielles. Pour d’autres proches aidants, c’est plutôt un travail sur la façon de formuler des demandes, surtout auprès des personnes de leur entourage, qui permettra de faire débloquer la situation.
La réflexion du proche aidant sur son fonctionnement lui ayant permis de définir certaines pensées et certains comportements qui amplifiaient sa détresse psychologique, il pourra s’engager dans des actions permettant de retrouver un meilleur équilibre. D’après certaines recherches, le fait d’avoir une approche plus positive de la situation est associé à un niveau de fardeau moins élevé chez les proches aidants (Papastavrou et al., 2011). Ces derniers parviennent davantage à relativiser, à prendre les choses avec humour, à être dans le présent, à avoir de la compassion pour eux-mêmes et à reconnaître leurs « bons coups ». Ils sont aussi davantage centrés sur ce que le rôle de proche aidant leur apporte, comme la possibilité de renforcer leur relation avec leur proche atteint, de lui « redonner », d’agir en accord avec leurs valeurs (ex. : famille, solidarité) et de ressentir des sentiments de compétence et d’accomplissement (Dupuis et al., 2004). Dans cette perspective, des interventions inspirées de la psychologie positive (ex. : tenir un journal de gratitude, utiliser ses forces) et de la théorie d’acceptation et d’engagement (compassion pour soi, valeurs fondamentales) semblent indiquées. La pratique de techniques de relaxation constitue un autre outil-clé pour retrouver un équilibre dans la vie quotidienne. Compte tenu de l’impact potentiel des émotions négatives sur la relation ainsi que sur le comportement de la personne malade, il est important que les proches aidants puissent détecter leurs propres signes de fatigue, d’impatience ou d’irritabilité et utiliser ce type de stratégie au moment opportun. Plusieurs études suggèrent aussi que la pratique régulière de la pleine conscience a des effets positifs sur la santé psychologique des proches aidants (voir notamment Li, Yuan et Zhang, 2016).
Enfin, le deuil est une question intrinsèque au rôle de proche aidant. Ceux et celles qui prennent soin d’une personne atteinte de trouble neurocognitif traversent ce que l’on appelle le « deuil blanc », i.e. le deuil d’une personne toujours en vie, mais qui n’est plus tout à fait celle que l’on a connue. Ce deuil est sans cesse renouvelé au fil de la perte progressive des capacités cognitives, fonctionnelles et physiques, lors de l’apparition de symptômes comportementaux (ex. : agressivité, désinhibition) ou psychologiques (ex. : hallucinations, dépression, apathie), en cas de changement d’hébergement ou encore lorsque la personne commence à recevoir des soins palliatifs. La résolution complète du deuil blanc est impossible avant le décès de la personne atteinte de trouble neurocognitif. Par la suite, les membres de famille doivent aussi élaborer le deuil de leur rôle de proche aidant et apprendre à se reconstruire après s’être investis pendant parfois plusieurs années auprès de la personne malade. Le psychologue pourra nommer et normaliser ces enjeux, et accompagner le proche aidant dans la résolution de ce deuil complexe.
Pour plus d'information et bibliographie
Pour plus d’informations sur les services
- https://www.aidantssudouest.org/
- http://alzheimer.ca/
- https://www.lappui.org/
- https://www.tempsdunepause.org/
Bibliographie
- Arcand, M. et Brissette, L. (2010). Prévenir l’épuisement en relation d’aide. Montréal, Québec : Gaetan Morin.
- Dupuis, S. L., Epp, T. et Smale, B. J. A. (2004). Caregivers of Persons with Dementia: Roles, Experiences, Supports, and Coping. Recension des écrits préparée pour le Ministry of Health and Long-Term Care and the Ontario Senior’s Secretariat dans le cadre de la stratégie de l’Ontario sur l’Alzheimer. Waterloo, ON : Université de Waterloo (Murray Alzheimer Research and Education Program).
- Hughes, T. B, Black, B. S., Albert, M., Gitlin, L. N., Johnson, D. M., Lyketsos, C. G. et Samus, Q. M. (2014). Correlates of objective and subjective measures of caregiver burden among dementia caregivers: influence of unmet patient and caregiver dementia-related care needs. International Psychogeriatrics, 26(11), 1875-1883.
- Li, G., Yuan, H. et Zhang, W. (2016). The effects of mindfulness-based stress reduction for family caregivers: systematic review. Archives of Psychiatric Nursing, 30(2), 292-299.
- Papastavrou, E., Tsangari, H., Karayiannis, G., Papacostas, S., Efstathiou, G. et Sourtzi, P. (2011). Caring and coping: the dementia caregivers. Aging & Mental Health, 15(6), 702-711.