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L’utilisation des méthodes projectives (Rorschach et test TAT) auprès de la clientèle adolescente en psychologie scolaire

Pierre Banville, Psychologue

Psychologue à la Commission scolaire des Affluents, membre de la Société québécoise des méthodes projectives, M. Banville a oeuvré dans différents milieux : centres de ressources communautaires, enseignement collégial, établissements de soins de longue durée, pratique privée, écoles d’enseignement primaire et secondaire.


L’importance du rôle du psychologue scolaire est reconnue parmi les professionnels qui se spécialisent dans l’identification de troubles expliquant les difficultés d’apprentissage observées chez bon nombre d’élèves de niveau primaire ou secondaire. Son rôle est également reconnu dans l’intervention destinée à accompagner l’élève confronté aux limites soulevées par ses difficultés. Le psychologue scolaire intervient également sur le terrain de la santé mentale afin d’apporter un éclairage clinique sur une variété de manifestations comportementales qui, à cause de leur persistance, nuisent au bon fonctionnement de l’élève à l’école. Lorsque le comportement et la vie émotionnelle sont placés sous la loupe du psychologue scolaire, le Rorschach et le test TAT s’avèrent des instruments d’investigation d’une grande sensibilité qui permettent d’accéder à une compréhension approfondie de la vie psychoaffective de l’adolescent. L’utilisation de ces outils projectifs sera présentée en proposant comme cadre méthodologique l’investigation basée sur l’analyse du discours (Husain, Merceron et Rossel, 2001).

La place occupée par les épreuves projectives dans l’éventail des outils psychométriques

Dans sa pratique, le psychologue scolaire aura recours à une panoplie de tests ou d’inventaires standardisés : épreuves de rendement intellectuel et cognitif; inventaires de personnalité ; échelles d’indices comportementaux et psychopathologiques. À une moindre fréquence, il aura recours aux tests projectifs pour examiner l’élève dans une mise en situation où le discours et l’attitude de celui-ci dévoileront le fonctionnement interne de sa personnalité. Plus précisément, la situation projective amenée par la présentation du matériel à l’élève crée un contexte particulier où il se dévoile sous trois rapports différents : vis-à-vis de la situation, du matériel et de l’examinateur. Le psychologue s’intéressera alors à la globalité de la rencontre de l’élève avec la situation-test, et ce, simultanément, sur les plans cognitif, affectif et relationnel. C’est précisément ce qui constitue la pertinence et la valeur des méthodes projectives ainsi insérées dans une démarche d’investigation des difficultés de l’élève observées sur les plans affectif et relationnel. Mis ensemble, le Rorschach et le test TAT, devenant complémentaires lorsqu’ils sont soumis à un cadre d’analyse commun, permettent de valider des interprétations convergentes et confèrent à l’investigation projective une grande solidité.

Le Rorschach et le processus de la réponse

Nous entendons par processus de la réponse les « opérations psychologiques effectuées par le sujet entre le moment où on lui présente le stimulus (une planche de test) et le moment où il formule sa réponse » (Andronikof, 2008, p. 3). Andronikof et Fontan exposent dans le passage suivant le sens à donner, dans une perspective psychodynamique, au processus de la réponse :

« Les réponses […] sont donc non pas des faits de perception passive plus ou moins influencée ou déformée par les préoccupations du moment ou les fantasmes, mais bien les produits d’un travail mental auquel participent les stratégies individuelles de résolution de problèmes et la régulation des émotions. Face aux planches du Rorschach le sujet ne se trouve pas dans un état de douce rêverie, ses facultés mentales sont au contraire vivement sollicitées. » (Andronikof et Fontan, 2013, p. 15)

Le postulat central est à l’effet que « les opérations mentales mises en oeuvre au cours de la passation […] sont susceptibles de rendre compte des modalités de fonctionnement psychique propres à chaque sujet dans leur spécificité mais aussi dans leur articulations singulières » (Chabert, 2007, p. 552). Or un groupe de cliniciens-chercheurs connu sous le nom de « Groupe de Lausanne » (Rossel, Husain, Merceron et Fayet, 2001; Rossel, Husain et Merceron, 1986; Husain, 1994a et 1994b), s’intéressant au diagnostic psychodynamique du point de vue structuraliste (Kernberg, 1989; Bergeret, 1996), ont abordé la question du processus de la réponse sous l’angle de l’analyse du discours, étant envisagé comme étant de nature polysémique1, c’est-à-dire entendu « comme une totalité où tout peut prendre sens, qu’il s’agisse d’un contenu, d’une formulation particulière, d’un commentaire adressé à l’autre, d’un comportement non verbal » (Rossel, Husain, Merceron et Fayet, 2001, p. 482). Cette position prise sur le sens à donner au discours trouve son origine dans l’idée exprimée par Grauman selon laquelle « l’appréciation de l’organisation de personnalité devra nécessairement tenir compte du comportement global du sujet, à savoir aussi bien de ses verbalisations et commentaires, que de son attitude vis-à-vis de l’examinateur, de la situation et de la tâche » (Rossel, Husain et Merceron, 1986, p. 723). Par ailleurs, Husain (1994a, 1994b) expose avec clarté le sens à donner aux verbalisations dans la situation de test. Reprenant les idées de Schafer, Holt et Blatt, elle démontre l’implication diagnostique de l’analyse formelle du discours, lequel est déterminé par les interrelations entre trois éléments distincts : l’inconscient, le consensus social et l’objet-test. En somme, dans l’approche par l’analyse du discours, l’examinateur ne recherche pas la signification propre à chacun des termes énoncés par le sujet ; plutôt, il s’intéresse au type de résonnance que les productions verbales font entendre au regard des six axes organisateurs de la personnalité du sujet : le type de relation d’objet, c’est-à-dire le rapport du sujet à son environnement social et physique ; la construction des limites, c’est-à-dire la différentiation spatiale, temporelle et catégorielle entre les objets ; l’organisation du Moi en tant qu’entité identitaire soumise aux forces pulsionnelles et surmoïques ; la nature de l’angoisse et du conflit ; c’est-à-dire les dangers pressentis quant à la perte d’identité, la perte d’intégrité ou la perte de l’objet ; les mécanismes de défense, c’est-à-dire les mécanismes de réduction de la tension soulevée par les angoisses ; et enfin les processus de pensée et le rapport à la réalité, c’est-à-dire la qualité de la mentalisation et du lien avec la réalité contenue dans la situation-test.

Application dans le milieu scolaire

Les problèmes comportementaux, émotionnels ou relationnels font partie du vécu de nombreux adolescents et soulèvent la délicate question de la santé mentale. On sait que la prévalence de troubles relevant de la santé mentale est estimée à environ 15 % dans la population adolescente (Breton et coll., 1999; Romano et coll., 2001). Face à une telle probabilité d’apparition d’un trouble d’ordre psychopathologique, la démarche d’intervention du psychologue scolaire revêt alors une dimension clinique, le but étant de rendre compte de la présence ou non de caractéristiques suggérant un fonctionnement psychopathologique. Lorsque l’hypothèse d’un fonctionnement relevant de la psychopathologie est retenue, le psychologue est appelé à jouer un rôle de premier ordre sur différents plans : relation d’aide à l’élève, référence en santé mentale, rôle conseil auprès des intervenants de l’école. Prenant en référence le cadre nosologie d’inspiration psychodynamique, l’évaluation projective par la méthode de l’analyse du discours permet d’établir un diagnostic structural différentiel, particulièrement pertinent dans les situations où le portrait symptomatique est flou ou ne satisfait pas aux critères du DSM qui seraient suffisants pour que l’on pose un diagnostic donnant accès à des services particuliers. 

Avantages de l’usage du Rorschach et du test TAT en milieu scolaire

Dans le champ de la psychopathologie, Husain et ses collaborateurs (Husain, Choquet, Lepage, Reeves et Chabot, 2009) font la démonstration clinique de la pertinence et de la valeur du Rorschach, qui offre la capacité de dresser, par l’analyse du discours, un portrait psychodynamique nuancé de la personnalité en y incorporant des données fondamentales sur le type de relation d’objet, l’organisation du moi, la nature de l’angoisse, les mécanismes de défenses et les processus de pensée, lequel ouvre sur le diagnostic différentiel et sur des avenues psychothérapeutiques mises en concordance avec le profil psychodynamique. Obtenues chez les adolescents qui fréquentent quotidiennement le milieu scolaire et qui présentent des difficultés de fonctionnement socio-affectif persistantes et nuisibles sur le plan de l’intégration et de la réussite scolaire, de telles informations ont des implications positives tant sur le plan de la relation d’aide que sur le plan clinique. Par ailleurs, d’autres cliniciens qui utilisent le système intégré de cotation d’Exner (Exner et Weiner, 1995), Hugues, Gacono et Owen (2007) affirment que le Rorschach, utilisé en milieu scolaire, a l’avantage de fournir des informations permettant d’établir un portrait multidimensionnel de la personnalité et d’identifier des cibles d’intervention appropriées, et ce, dans le contexte de l’existence de processus pathogéniques spécifiques à chaque élève porteur de symptômes. En utilisant également le système intégré, Brainard, Viglione et Wilke (2014) reconnaissent l’utilité du Rorschach à établir des profils différenciés sur le plan du traitement de l’information entre les élèves présentant ou non des difficultés d’apprentissage.

Il revient à chaque psychologue scolaire de choisir sa démarche d’examen vis-à-vis des problématiques socio-affectives rencontrées, d’y inclure ou non les méthodes projectives, et ce, dans le respect de ses orientations théoriques, de ses compétences et des contraintes associées à son milieu de pratique. Néanmoins, il est utile de savoir qu’il existe d’excellentes ressources pour quiconque s’intéresse au perfectionnement des connaissances et des compétences en matière de psychologie projective.

Références

1 Selon Rossel, Husain et Merceron (1986), aucune réponse verbale ne possède un sens en soi qui lui serait propre. Il n’existe pas d’équivalence univoque entre tel ou tel contenu ou phénomène et telle interprétation.

2 Parmi les ressources disponibles, notons l’Institut de psychologie projective (www. psychologieprojective.org) et la Société québécoise des méthodes projectives (sqmp.org).

Bibliographie

Andronikof, A. (2008). Le Rorschach et les techniques projectives. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie, 37-150-A-10.

Andronikof, A. et Fontan, P. (2013). Le test du Rorschach : fondements théoriques. Dans J. Englebert (dir.). Test de Rorschach et perception : Perspectives cognitives et phénoménologiques, vol. 20-21, 13-22. Paris : Vrin. Repéré à https://www. Researchgate.net/publication/ 284458412

Bergeret, J. (1996). La personnalité normale et pathologique (3e éd.). Paris : Dunod.

Brainard, R. B., Viglione, D. J., et Wilke J. R. D. (2014). A comparison of learning-disabled children and non-learning disabled children on the Rorschach: an information processing perspective. Rorschachiana, 35, 66-87.

Breton, J., et coll. (1999). Quebec child mental health survey : prevalence of DSM-III-R mental health disorders. Journal of Child Psychology and Psychiatry and Allied Psychology, 40, 375-384.

Chabert, C. (2007). Les épreuves projectives en psychopathologie de l’adulte. Dans R.
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Hugues, T. L., Gacono, C. B., et Owen, P. F. (2007). Current status of Rorschach Assessment : implications for the school psychologist. Psychology in the school, 44(3), 281-291.

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Husain, O., Choquet, F., Lepage, M., Reeves, N. et Chabot, M. (2009). Le diagnostic de psychose et ses enjeux : apport des tests projectifs. Psychologie clinique et projective, 15, 179-212.

Husain, O., Merceron, C. et Rossel, F (2001). Psychopathologie et polysémie : études diffrentielles à travers le Rorschach et le T.A.T. Lausanne : Payot.

Kernberg, O. (1989). Les troubles graves de la personnalité : stratégies psychothérapeutiques. Paris : PUF.

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Rossel, F., Husain, O., et Merceron, C. (1986). Réflexions critiques concernant l’utilisation des techniques projectives. Bulletin de Psychologie, XXXIX (376), 721-728.

Rossel, F., Husain, O., Merceron, C. et Fayet, R.-M. (2001). Techniques projectives : réflexions sur l’enseignement et la formation. Perspective du Groupe de Lausanne. Bulletin de psychologie, 54 (5), 481-486.