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Le succès en sport (n’)est (pas) une question de médailles

Dr Jacques Forest, psychologue
CRHA et professeur titulaire à l’ESG UQAM, ses nombreuses publications scientifiques, recherches et conférences présentées dans 13 pays différents cherchent à comprendre comment stimuler simultanément la performance et le bien-être par la théorie de l’autodétermination.

Joëlle Carpentier
Professeure-chercheuse à l’ESG UQAM, elle détient un baccalauréat en administration des affaires et un doctorat en psychologie. Elle a développé une expertise dans l’étude des comportements des entraîneurs et des gestionnaires qui permet à la fois de favoriser le bien-être, la santé mentale et la performance.

Jean-Paul Richard
Entraîneur de l’équipe féminine de ski acrobatique du Canada aux Jeux olympiques de 2014, il a préalablement été entraîneur de l’équipe nationale de Suède. Il travaille aujourd’hui au Cirque du Soleil et encadre la formation de pointe d’artistes provenant de divers endroits sur la planète.


Cet article vise à démontrer pratiquement et concrètement comment la théorie de l’autodétermination a contribué au succès de l’équipe féminine du Canada en ski acrobatique aux Jeux olympiques de Sotchi (en 2014), et à donner des outils concrets aux différents acteurs du domaine du sport pour augmenter la collaboration afin de faciliter la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux de tous (entraîneurs, athlètes, personnel de soutien, etc.), et pour favoriser ainsi le fonctionnement optimal des relations. Parmi les outils qui seront présentés dans cet article, la matrice des collaborations, développée avec l’aide du Comité olympique canadien, sera pour la première fois montrée et expliquée.

La théorie de l’autodétermination pour stimuler le bien-être et la performance

Qu’ont en commun les succès de l’équipe féminine de ski acrobatique du Canada aux Jeux olympiques de Sotchi, où Justine et Chloé Dufour-Lapointe ont gagné les médailles d’or et d’argent, ceux de l’équipe de Nouvelle-Zélande de rugby à XV, connue sous le nom des « All Blacks » (Hodge, Henry et Smith, 2014), ceux des équipes de relais masculines australiennes aux Jeux olympiques de 2004 (Mallett, 2005) ainsi que ceux des athlètes paralympiques représentant la Corée du Sud aux Jeux olympiques de 2012 (Cheon, Reeve, Lee et Lee, 2015)? Toutes ces équipes ont compris et intégré les principes de la théorie de l’autodétermination (TAD), une théorie englobante et universelle des motivations humaines qui permet d’expliquer, du moins en grande partie, comment il est possible d’être bien et performant, et ce, pour longtemps.

Avec des données collectées dans plus de 123 pays (par exemple celles de Tay et Diener, 2011), il a été démontré que les besoins d’autodirection (aussi appelée autonomie), de compétence et d’affiliation sociale sont des besoins psychologiques innés et universels chez l’être humain, qu’ils sont, en somme, les nutriments incontournables à fournir afin de favoriser le bien-être et le fonctionnement optimal d’une personne (peu importe la sphère de vie). En contexte sportif spécifiquement, les entraîneurs qui ont appris à soutenir la satisfaction des besoins psychologiques de leurs athlètes ont gagné 31 % plus de médailles aux Jeux de Londres, en 2012, que ceux qui n’avaient pas développé ces habiletés (voir Cheon et coll., 2015).

Plus les besoins psychologiques sont satisfaits, et ce, peu importe la source de la satisfaction, plus le plaisir et le sens sont vécus au quotidien, ce qui concourt ensuite à favoriser simultanément la performance et le bien-être. À l’opposé, plus ces besoins sont frustrés, encore là sans égard à la source des frustrations, plus l’orgueil, la réputation et les récompenses tangibles (comme les médailles en contexte sportif) seront au coeur de la pratique quotidienne de l’activité, ce qui favorisera ensuite l’épuisement, les comportements antisociaux et les comportements de tricherie (comme le dopage; voir à ce sujet Donahue et coll., 2006). La figure 1 ci-bas représente la séquence proposée par la théorie de l’autodétermination.

Figure 1. Représentation simplifiée des différents éléments de la théorie de l'autodétermination1 
 

 

Pourquoi les médailles et les victoires ne devraient-elles pas être si importantes

Lorsqu’arrivent les Jeux olympiques, le grand public est exposé aux prouesses des meilleurs athlètes de la planète. Il est commun d’entendre, dans les médias, le fait que tel athlète a eu une performance « décevante », car il était attendu qu’il gagne une médaille d’or et il a « seulement » obtenu une médaille de bronze. Ce discours est si largement répandu qu’il semble presque normal que le but, en sport, soit de gagner. Cette vision de la « victoire », portée par différentes personnes dans les instances sportives (que ce soit les comités olympiques nationaux, les gouvernements ou les organismes commanditaires), est nuisible pour les athlètes et la santé publique, car elle n’encourage que quelques individus à aller au bout d’eux-mêmes (ce qui peut, au demeurant, être une expérience inspirante et positive), plutôt que d’encourager la population à être active physiquement 150 minutes par semaine comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé. À titre d’exemple, on pourrait se demander qui a la meilleure stratégie en matière de sport et d’activité physique entre les États-Unis, qui sont souvent parmi les nations récoltant le plus de médailles aux Jeux olympiques, mais où le taux d’obésité dans la population est très élevé, et la Norvège, un petit pays de 5 millions d’habitants qui excelle aux Jeux olympiques d’hiver parce qu’il encourage sa population à demeurer active à tous les âges.

Interprétée à travers le prisme de la théorie de l’autodétermination, cette pression à « performer » est source de frustration des besoins psychologiques, car la quête de médailles fait la part belle aux motivations extrinsèques matérielles (les médailles) et sociales (la gloire) de même qu’à la motivation introjectée (être un athlète qui mérite sa place dans l’élite), ce qui apporte peut-être du « succès quantitatif » à court terme (plus de médailles avec des carrières plus courtes), mais au détriment d’un « succès qualitatif » à long terme (des athlètes et une population en santé). Par ailleurs, cette vision à court terme qui consiste à tout faire pour gagner des médailles est aussi nuisible à long terme pour le sport. Mais si le but n’est pas de gagner, quelle signification peut-on donner à la quête d’excellence qui anime les athlètes olympiques?

Le cas de l’équipe féminine de ski acrobatique du Canada (Sotchi, 2014)

À titre illustratif, l’équipe féminine de ski acrobatique du Canada a tiré profit de la collaboration entre un entraîneur (Jean-Paul Richard) et un psychologue (le Dr Jacques Forest) dans sa préparation pour les Jeux olympiques de Sotchi afin d’appliquer les concepts de la théorie de l’autodétermination. Pour développer notre stratégie, nous nous sommes entre autres inspirés de l’équipe de rugby des All Blacks, qui a effectué d’excellentes performances pendant plusieurs années… car elle ne voulait pas gagner. Il peut paraître surprenant que le succès vienne alors qu’il n’est pas visé directement, mais, du point de vue de la TAD, ceci est tout à fait logique. Afin d’engendrer des résultats, il est important de se concentrer sur le processus, c’est-à-dire sur la satisfaction des besoins d’autodirection, de compétence et d’affiliation sociale. Le processus, soit la satisfaction et la non-frustration des besoins psychologiques, mène aux résultats, soit le fonctionnement optimal.

Avec l’équipe féminine de ski acrobatique du Canada, nous avons également utilisé et transposé différentes méthodes que nous décrivons ici rapidement. En premier lieu, nous avons demandé à tous les membres de l’équipe (athlètes, entraîneurs, responsables de la préparation mentale et physique, personnel administratif, etc.) comment il était possible de satisfaire encore mieux leurs besoins psychologiques et de diminuer, autant que faire se peut, la frustration vécue par rapport à ces besoins. Nous avons utilisé les items qui composent les questionnaires scientifiques de mesure des besoins psychologiques et avons demandé à chaque membre de l’équipe de nommer les actions, les comportements, les règles ou les procédures qui leur permettraient personnellement d’augmenter la satisfaction et de diminuer la frustration de leurs besoins psychologiques. Il est important de savoir que la TAD montre que les besoins psychologiques sont primordiaux pour tout le monde, partout, tout le temps, mais que la façon de satisfaire et de moins frustrer ces besoins est propre à chacun.

En d’autres mots, chaque personne nous a donné la façon de lui permettre d’être la meilleure version d’elle-même. Nous avons écouté tout le monde et avons fait un plan pour mettre des actions en place. Les principes universels de la science ont alors été adaptés au contexte sportif. Il importe ici de mentionner que le « feed-back » donné a été transformé en « feed-forward » (des informations du passé se sont transformées en actions présentes et futures) et que, pour réaliser cette étape, l’ouverture et la réceptivité manifestes de l’équipe de direction de Ski acrobatique Canada ont beaucoup aidé.

Un deuxième faisceau d’intervention a fait appel à la psychologie positive, lorsque nous avons défini les forces de l’équipe d’entraîneurs, que nous avons ensuite tenté d’utiliser souvent, longtemps et intensément. Pour ce faire, nous avons utilisé un questionnaire gratuit qui ordonne les forces de chacun, pour ensuite appliquer une intervention nommée « Moi à mon meilleur » qui vise à faire l’appariement optimal entre les forces et les tâches à faire au quotidien. Le fait d’apprendre à connaître et à nommer ses forces et celles de ses collègues permet à tout un chacun d’exprimer son plein potentiel dans les tâches et les rôles qui sont naturels, authentiques et énergisants. Cette intervention a déjà été expliquée en détail dans un article précédemment publié dans Psychologie Québec (Dubreuil, Forest, Girouard et Crevier-Braud, 2011). 

Afin de catalyser tous les effets positifs de la motivation intrinsèque (plaisir), nous avons mis en place des actions pour agrémenter le quotidien de toutes et tous durant l’année de compétition, comme des séances d’activités libres en commun, des soupers d’équipe ou encore des activités de divertissement. Nous avons eu plus de difficulté à harnacher le pouvoir de la motivation identifiée (sens), mais, après avoir longuement consulté les athlètes, nous avons pu trouver l’impact social que les athlètes et toute l’équipe désiraient avoir : celui d’inspirer une nouvelle génération d’athlètes. Une fois cette mission trouvée, il a été plus facile de mettre en place une stratégie qui était significative, importante, et alignée aux valeurs de toutes et de tous.

La matrice des collaborations développée avec l’aide du Comité olympique canadien

Des démarches ont été amorcées dans le but de systématiser et de rendre pérenne l’intervention ayant permis au Canada de gagner deux médailles olympiques avec Justine et Chloé Dufour-Lapointe à Sotchi, en 2014. Le Comité olympique canadien a offert son aide afin qu’une telle intervention maximise les chances de tout un chacun de se sentir efficace (sentiment de compétence), de s’assurer que les stratégies émergeaient de lui-même et ne lui étaient pas imposées (sentiment d’autodirection) et que les relations entre chacun des membres de l’équipe étaient enrichissantes (sentiment d’affiliation).

Lors d’un événement visant à préparer des équipes aux Jeux olympiques de Rio (2016), tous les groupes d’intervenants ont été mis à profit. On a voulu savoir non seulement quelle pouvait être la meilleure façon d’exercer leur rôle, mais également ce que les autres groupes pouvaient leur offrir pour leur donner la chance de fonctionner de façon optimale. Cet effort concerté a permis de créer toutes les intersections possibles entre : 1) les athlètes, 2) les entraîneurs, 3) les chefs d’équipe, 4) les gestionnaires de services aux équipes (Comité olympique canadien) et leur contrepartie chez « À nous le podium », 5) les responsables de la préparation mentale et physique, 6) l’équipe intégrée de santé des sciences et 7) les relationnistes de presse. Pour l’exemplifier, nous détaillerons ci-après les interactions entre les consultants en préparation mentale (qui peuvent être psychologues ou membres d’un ordre professionnel, ou ne pas l’être) et les autres partenaires.

Les consultants en préparation mentale ont indiqué être à leur meilleur lorsqu’ils « établi[ssent] des relations, […] travaill[ent] en collaboration avec les athlètes, les entraîneurs et l’équipe science / santé, […] rest[ent] au courant de la recherche récente, [sont] pleinement intégrés dans l’environnement haute performance (HP), et lorsqu[’ils] optimis[ent] l’environnement psychologique ». Pour agir efficacement, ils ont besoin que les athlètes soient ouverts, curieux, qu’ils aient de l’initiative, de l’engagement et une volonté à travailler de manière collaborative.

Les athlètes ont, pour leur part, besoin que le spécialiste en psychologie de la performance soit capable 1) de s’adapter aux situations, 2) d’être polyvalent, 3) de leur fournir des outils pour gérer la pression afin de performer, 4) d’être disponible, 5) de connaître l’athlète et son sport puis, finalement, 6) de fournir un soutien à l’individu de manière holistique et non seulement comme athlète. Cette matrice des collaborations permet à tout un chacun de 1) faire connaître sa façon d’opérer à son plein potentiel, 2) demander ce que les autres peuvent lui donner pour l’aider à fonctionner de façon optimale et 3) savoir quoi fournir aux autres intervenants afin que les compétences et les habiletés de chacun soient utilisées aux moments opportuns. 
 

Figure 2. Graphique représentant le développement à long terme de l'athlète (DLTA), produit par Sport Canada 

Le sport… pour la vie

Sachant que ce qui stimule le fonctionnement psychologique optimal chez l’être humain, peu importe son stade de vie ou le domaine où il oeuvre, est la satisfaction et la non-frustration des besoins psychologiques, il est possible de voir comment le sport, ou toute autre activité comme le travail ou le fait d’être parent, peuvent être une source de « vitamines » psychologiques. C’est pourquoi, à la lumière des recherches sur les motivations humaines des 45 dernières années, il semble approprié de voir les contextes de haute performance, comme les Jeux olympiques, comme étant une célébration parmi tant d’autres des talents humains.

Comme le montre le graphique ci-haut portant sur le développement à long terme de l’athlète (DLTA), la portion « S’entraîner à gagner » n’est qu’une petite portion des possibles. Il y aurait tout lieu d’élargir les horizons du grand public dans cette perspective, et la psychologie joue un rôle de premier plan dans cette mission.

 

RÉFÉRENCE

La figure 1 a été inspirée de Manganelli et coll. (2018) et Rigby et Ryan (2018).  

 

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