Pratiques à promouvoir pour mieux aider les hommes
Brigitte Lavoie, psychologue
Mme Lavoie est psychologue, superviseure et formatrice principale de Lavoie Solutions. Elle offre plusieurs formations reconnues en psychothérapie, dont l’une sur l’intervention auprès de la clientèle masculine.
Dre Janie Houle, psychologue
La Dre Houle est psychologue communautaire, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et chercheure à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
Au Québec, les hommes se suicident de trois à quatre fois plus que les femmes et ont une espérance de vie de quatre années inférieure. Lorsqu’ils sont en détresse, les hommes sont moins nombreux à consulter des ressources d’aide que les femmes et ceux qui le font obtiennent un moins bon suivi. Par exemple, une étude portant sur 41 375 Montréalais ayant reçu un nouveau diagnostic de dépression montre que les hommes sont moins susceptibles d’obtenir un suivi médical après leur diagnostic, de bénéficier d’une continuité de soins et de recevoir un nombre optimal de rencontres. Dans la même veine, les hommes qui consultent dans une urgence pour des raisons de santé mentale sont moins nombreux que les femmes à obtenir un suivi (69 % contre 77 %). En ce qui concerne les hommes hospitalisés pour des raisons de santé mentale, ils sont plus souvent dirigés à leur domicile après leur congé que les femmes, alors que celles-ci sont plus nombreuses à obtenir un suivi en CLSC.
Enfin, une étude qualitative auprès de 68 hommes utilisateurs de services dans la région de Montréal a révélé que les hommes en détresse rencontraient souvent de nombreux obstacles dans l’accessibilité aux services, dont l’obligation fréquente de faire de multiples demandes d’aide avant de trouver la ressource qui pourra et acceptera de répondre à leurs besoins. Le manque de formation des professionnels quant aux réalités masculines a été mentionné par plusieurs participants comme un élément nuisant à la qualité des soins qui leur sont offerts.
Accroître l’accessibilité à la psychothérapie
Il ne faut pas croire que tous les hommes soient réfractaires à la psychothérapie, au contraire. Une étude récente auprès de personnes vivant un premier épisode de dépression montre que, chez les participants qui avaient une préférence, 43 % des hommes préféraient la psychothérapie aux antidépresseurs comme modalité de traitement8. Cependant, plusieurs n’y auront pas accès en raison des multiples barrières qui se dressent sur leur route, telles qu’un manque d’accompagnement dans la référence, des délais trop longs ou de nombreuses tentatives infructueuses. Les psychologues peuvent améliorer l’accessibilité à leurs services en facilitant l’accès à la première rencontre.
Accepter qu’un proche prenne le premier rendez-vous
Dans plusieurs familles, les rendez-vous (du coiffeur au médecin) sont pris par la mère ou la conjointe. On pourrait souhaiter qu’il en soit autrement, mais comme psychologue, il faut tenir compte de cette réalité. Exiger cet appel peut représenter une barrière infranchissable. Les hommes sont plus ouverts à la psychothérapie si on les accueille quand ils sont en crise, qu’ils aient téléphoné ou non. Les psychologues qui ont commencé à agir de la sorte ne rapportent pas de différence dans l’engagement du client, au contraire. Les clients apprécient souvent l’ouverture du psychologue et sont enclins à faire confiance à un clinicien qui a compris que cet appel était au-dessus de leurs forces (sans avoir à lui dire).
Accepter qu’il soit accompagné à la première rencontre
Certains hommes ressentent le même malaise dans un bureau de psychologue que certaines femmes dans un garage. Pour s’assurer qu’elles peuvent faire confiance aux propos du garagiste, il n’est pas rare que certaines femmes demandent à un homme de les accompagner. Peu importe le genre du psychologue, il est important de se rappeler que la psychothérapie se joue sur un territoire plus féminin. La couleur des murs, les revues dans la salle d’attente, les mots et même le ton utilisés peuvent susciter de l’inconfort. Certains hommes souhaitent eux aussi être accompagnés et l’expriment ainsi : Je ne sais pas si je vais me faire avoir, c’est quand même quelqu’un qui va me jouer dans la tête… Puisqu’ils ne sont pas à l’aise dans cet environnement, leur nervosité s’apaisera plus facilement s’ils peuvent compter sur l’avis d’une personne qui connaît cet univers. En assouplissant cette première rencontre, le clinicien obtiendra sans doute plus rapidement certaines informations que le client aurait pu oublier considérant la gravité de ses symptômes.
Choisir des interventions qui tiennent compte des exigences de la masculinité
Certaines recherches ont démontré que les hommes qui adhèrent aux exigences de la masculinité traditionnelle auront plus de difficultés à répondre aux exigences de la thérapie. C’est pour ces hommes en particulier qu’il est nécessaire d’adapter nos interventions. Quand on sait qu’il peut être difficile pour certains de montrer leurs faiblesses, d’être vulnérables, de reconnaître leurs échecs, d’exprimer leurs émotions et d’admettre leur ignorance, on peut facilement imaginer qu’ils auront de la difficulté à bien répondre à un traitement où ces conditions sont réunies. Les bonnes pratiques invitent les psychologues à adapter leurs interventions en fonction des traitements démontrés efficaces et à tenir compte des préférences et du contexte du client. L’approche orientée vers les solutions a été démontrée aussi efficace et dans certains cas plus rapide que d’autres traitements basés sur les données probantes. Elle offre une possibilité qui tient compte des exigences de la masculinité. Sans pour autant adopter cette approche de façon exclusive, nous offrirons ici quelques pratiques qui sont issues de cette approche et qui pourraient favoriser l’adhésion de cette clientèle et la réussite d’une intervention auprès de celle-ci.
S’intéresser à ses histoires de compétences et souligner ses forces
Puisque l’homme se sent souvent honteux d’avoir à demander de l’aide, il sera particulièrement important de lui donner la possibilité de montrer qu’il est compétent (ou qu’il l’a déjà été). Avec un homme à la retraite qui se sent démuni, il peut être pertinent de lui poser des questions sur sa plus grande réalisation au travail. S’il a des difficultés au travail, mais qu’il semble avoir une bonne relation avec ses enfants, il serait fort utile de lui demander de raconter un moment où il a été particulièrement fier. Pour surmonter les difficultés d’introspection de certains, on leur demande de raconter des événements avec le plus de détails possible. C’est le psychologue qui pourra lui refléter ses forces, mettre en évidence ses valeurs et le complimenter sur ses habiletés ou ses intentions : Dans ce que vous me racontez, il est clair que vous avez toujours eu à cœur de préserver la dignité de vos employés; on voit que vous êtes un citoyen engagé; un père qui veut être près de ses enfants. En lui donnant la possibilité de parler de ses réussites, on lui donne l’occasion de se présenter au meilleur de lui-même, de nous révéler qui il est. Il est plus grand que ses problèmes. Il est important qu’il sente que nous le voyons ainsi.
Proposer une tâche qu’il est presque certain de réussir
Faire face aux échecs est extrêmement difficile pour certains hommes. Certains pourraient ne pas commencer s’ils ne sont pas sûrs de réussir. Les hommes vont apprécier avoir une tâche à accomplir à l’extérieur des rencontres. Il sera cependant extrêmement important de choisir une action qui leur permettra de vivre un succès. Le psychologue augmente cette probabilité s’il demande au client de répéter une action qui a déjà marché (pour lui) ou de reprendre des pensées qui l’ont déjà aidé à rebondir dans le passé. Quand le client a très peu d’énergie, une tâche d’observation sera aussi plus accessible (par exemple : remarquer les moments où ça va un peu mieux). Le psychologue peut aussi suggérer d’enlever des tâches avant d’en ajouter. Il sera parfois nécessaire d’encadrer certaines recommandations pour qu’il accepte de les considérer. Par exemple, le mot permission peut être emprunté au monde militaire pour suggérer une action. En effet, quand les soldats ont une permission, ils ont la possibilité de laisser leurs obligations et d’aller voir leur famille, de s’amuser. Certains hommes ont parfois l’impression qu’ils doivent lutter tant qu’ils n’ont pas triomphé de leurs symptômes. Cette attitude peut contribuer à ce qu’ils s’empêchent de faire des activités qui pourraient les aider à aller mieux (par exemple : aller à la pêche avec des amis pendant qu’ils sont en congé de maladie).
Préserver sa dignité s’il a échoué
Si le client n’a pas réussi ce qu’il devait faire entre les rencontres, il sera important de lui permettre de sauver la face. La façon recommandée est de prendre la responsabilité et de reconnaître des facteurs externes : Je suis désolé, j’ai sous-estimé le niveau de difficulté. Vous avancez avec face au vent, on ne peut pas aller aussi vite dans ce temps-là. Regardons ensemble ce qui serait plus réaliste. Il ne s’agit pas ici de se confondre en excuses, mais de présupposer qu’il n’a pas échoué par manque de volonté. C’est probablement héroïque pour certains d’avouer qu’ils n’ont pas été capables de remplir leur engagement. Notre réaction peut favoriser l’adhésion aux rencontres ou au contraire, briser la relation de confiance et faire en sorte que ce soit la dernière.
Accueillir l’expression des émotions (au masculin)
Plusieurs psychologues qui travaillent exclusivement avec une clientèle masculine ont cessé d’utiliser la phrase : Comment te sens-tu? Ça ne veut pas dire pour autant que l’expression des émotions est évacuée des rencontres, au contraire. Il est possible d’avoir accès à ce qu’ils ont ressenti en posant des questions différentes : Comment as-tu réagi quand il t’a dit ça? Quel a été l’effet sur toi? Leurs réponses pourraient être très éloquentes comme celle-ci : Je me suis senti comme une boîte de courriel qu’on ouvre après avoir été sur le mode avion pendant dix jours. Tu sais… quand ça n’arrête pas de sonner. Quand on pense que c’est fini, il y en a encore d’autres. Un autre client a déclaré devant ses collègues, après avoir échappé de justesse à la mort : Moi je vous le dis, les gars, c’est ce soir que je la demande en mariage! Est-il nécessaire que le premier admette qu’il se sent complètement dépassé et que le second avoue qu’il a eu peur de mourir? Ils n’ont peut-être pas utilisé les mots consacrés, ils n’expriment pas moins ce qu’ils ressentent. Il est possible de comprendre sans leur demander de traduire.
Conclusion
Nous espérons que ces pratiques (sans être exhaustives) vous offriront des pistes pour mieux aider les hommes. Nous avons choisi celles qui pouvaient se réaliser dans les prochains jours. Ces petits changements pourraient avoir des impacts importants sur l’accessibilité, l’adhésion et la réussite du traitement (plus particulièrement auprès des hommes qui adhèrent aux règles de la masculinité). Au Québec, certains groupes militent pour que les hommes se libèrent de ce cadre rigide qui peut leur faire vivre de la souffrance. Tout en reconnaissant les efforts qui sont faits à cet égard, nous ne pouvons pas attendre que les hommes changent pour que nous puissions mieux les aider. Il est possible de le faire dès maintenant en les accueillant tels qu’ils sont.
Références
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