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Une brèche dans le berceau culturel

Dre Élysa Côté-Séguin, psychologue
Travaillant au CHU Sainte-Justine, elle se spécialise dans l’intervention auprès des parents dans un contexte de diagnostic prénatal ou de grossesse à risque ainsi qu’en néonatalogie.

 

 

Dre Élodie Grégoire-Larose, psychologue
Travaillant au CHU Sainte-Justine, elle oeuvre principalement auprès des familles qui vivent un deuil périnatal ou dont le bébé est hospitalisé à l’unité de soins en néonatalogie.


Le travail clinique en hôpital spécialisé nous met en contact avec des situations impensables, comme la mort d’un bébé. Un tel événement, en cours de grossesse ou dans les mois qui suivent l’accouchement, est bouleversant et provoque une multitude de réactions pouvant varier notamment en fonction de la culture des parents. Ces réactions sont également modulées par l’investissement psychique déjà mis en place par les parents vis-à-vis de leur bébé à naître. Ce dernier est ainsi porteur d’un sens personnel et culturel pour chaque parent. Nous présenterons ici de quelle manière le berceau culturel (Moro, 2014) influence le vécu des parents à la suite du décès de leur bébé. La brèche peut se vivre sur plusieurs plans quand la mort du bébé amplifie le sentiment d’isolement déjà vécu par les couples immigrants qui sont loin de leur famille. Le soutien des équipes soignantes devient d’autant plus important et nécessite une compréhension des spécificités culturelles.

Un vide au coeur de la famille
La perte d’un être cher provoque chez les endeuillés une succession de réactions : choc et sidération, fuite et recherche, déstructuration et restructuration (Hanus et al., 2007). Considérant que la transition vers la parentalité est déjà une période de grande instabilité sur le plan identitaire, il apparaît d’autant plus complexe pour les parents de faire face au deuil à la suite du décès de leur bébé, l’événement constituant à la fois une perte objectale et une perte narcissique (Soubieux, 2011).

Autant le temps est nécessaire pour permettre la cicatrisation (Hanus et al., 2007), autant les parents peuvent parfois ressentir une certaine pression, interne ou provenant de leur entourage, à se lancer de nouveau dans des démarches pour accueillir un autre enfant. Si l’accompagnement au deuil est mis en place adéquatement, la grossesse qui suit peut constituer pour les parents une façon de se reconstruire après la perte (Soubieux, 2013). Certains parents démontrent leur résilience par leur espoir de transmettre à leurs proches une bonne nouvelle, le désir d’enfant étant souvent plus grand que la crainte de souffrir d’une répétition de l’épreuve.

Par ailleurs, les souvenirs avec le défunt sont un élément important pour permettre aux endeuillés de l’intérioriser et de le garder vivant en eux (Hanus et al., 2007). Cela est toutefois plus compliqué quand il y a peu de souvenirs, quand peu de temps (voire pas du tout) a été partagé concrètement avec la personne décédée, comme c’est le cas lors d’un décès périnatal. Les parents peuvent alors avoir l’impression de ne pas avoir eu assez de temps pour aimer leur bébé avant de lui dire au revoir. Ils doivent réussir à concevoir quelle vie a été vécue par leur bébé et éviter de demeurer coincés dans un vécu mélancolique vis-à-vis du décès auquel ils doivent faire face (Soubieux, 2013).

Quand les parents ont quitté le berceau culturel
L’expérience des parents immigrants peut être influencée par l’environnement dans lequel ils vivent leur deuil (Verdon et al., 2020). En effet, l’absence de points de repère en ce qui concerne le réseau de la santé peut engendrer des défis supplémentaires pour cette population. Tout d’abord, la complexité du réseau de la santé, avec lequel les familles migrantes ne sont pas familières, peut engendrer une confusion. Par exemple, lorsqu’elles éprouvent des préoccupations quant à la grossesse, il semble difficile de comprendre vers quelles ressources il est possible de se tourner ou quel moment est le plus propice pour le faire. De plus, les services d’un interprète pourraient parfois être requis pour faciliter le lien avec les professionnels de la santé et veiller à la bonne compréhension de la situation de part et d’autre. Le deuil périnatal est susceptible d’entraîner un vécu de culpabilité chez les parents en raison des questionnements demeurant autour de la mort du bébé. De plus, en pleine période de recherche de repères, les familles qui ont immigré depuis peu peuvent être d’autant plus fragiles et avoir de la difficulté à traverser la période de déstructuration engendrée par le deuil (Hanus et al., 2007).

La façon dont les parents se représentent le foetus en période prénatale selon leurs croyances culturelles ou religieuses peut avoir un effet sur la quête de sens entourant la mort (Labyt et Beauquier-Maccotta, 2015). Ces croyances peuvent constituer des facteurs de protection face à un deuil périnatal lorsqu’elles permettent de structurer des rituels entourant la mort du bébé (Hanus et al., 2007). Certaines démarches sont déjà mises en place par les professionnels de l’hôpital pour ritualiser le vécu des parents : photos de l’enfant décédé, empreintes de ses mains et de ses pieds, baptême ou autre cérémonie religieuse significative pour le couple et, selon l’état et le désir des parents, moments passés avec le bébé, avec possibilité de le prendre dans leurs bras. Dans d’autres contextes, les croyances culturelles peuvent amener les parents à se couper de leurs besoins psychologiques, notamment l’expression des émotions du deuil. Il devient alors d’autant plus pertinent de leur offrir de la documentation au moment de leur départ ainsi qu’une liste de ressources en suivi du deuil pour assurer un accompagnement dans l’après-coup.

Ce qui peut agrandir la brèche dans le berceau culturel
La notion de berceau culturel, telle que développée par Marie-Rose Moro, met de l’avant les différences d’une culture à l’autre dans la façon dont les bébés sont accueillis dans le monde (Moro, 2014). Cela peut notamment influencer les représentations que les gens se font du foetus et leurs projections quant à la place du bébé dans la famille élargie.

Les familles immigrantes vivent souvent un éloignement physique de leur famille élargie lorsque celle-ci n’a pas fait le même trajet migratoire. Les couples vivant un deuil périnatal n’ont souvent pas l’occasion d’inclure leurs proches dans le déroulement de la grossesse, et ceux-ci ont encore moins l’occasion de rencontrer concrètement le bébé, que ce soit avant ou après son décès. Il devient alors difficile pour les couples de s’appuyer sur leurs proches et de leur faire une place dans l’accompagnement de leur deuil (Hanus et al., 2007). Dans ces circonstances, il devient d’autant plus aidant qu’un membre du personnel soignant ou le psychologue puisse agir comme point de repère sécurisant auprès de ces couples, leur offrant une transition vers la vie qui suit la perte de leur bébé.

Dans certaines cultures où la mort est un sujet tabou, les parents vivant un deuil périnatal peuvent ressentir une mise à l’écart de leurs proches (Labyt et Beauquier-Maccotta, 2015). Les croyances et les représentations culturelles sont susceptibles d’influencer la façon dont le décès du bébé est vécu (par exemple, la femme peut être perçue comme étant un échec au sein de la famille). Cette distance que prend l’entourage à la suite du décès peut exacerber le sentiment d’isolement des parents immigrants et augmenter leur vulnérabilité. Un tel contexte peut nuire à la reconnaissance du vécu de deuil, le rendant encore plus douloureux (Hanus et al., 2007).

Importance de colmater la brèche par le soutien des professionnels
Les professionnels de la santé sont des acteurs importants dans le contexte d’un deuil périnatal par le soutien qu’ils peuvent apporter aux parents (Verdon et al., 2020). Le respect du rythme des familles endeuillées s’avère un élément aidant, que ce soit lors de l’annonce du décès ou dans l’expérience de deuil. De plus, il s’avère particulièrement important, pour les intervenants, de s’informer et de considérer les facteurs culturels relatifs à chaque famille, et de faire preuve d’ouverture afin de s’adapter aux besoins de chacune d’entre elles. En contexte de migration, les parents ont parfois peu de soutien social disponible et vivent un sentiment d’isolement, parfois également des difficultés à s’adapter au pays d’accueil, ce qui fait en sorte que l’aide dont ils bénéficient de la part des professionnels a une grande influence. La qualité de la prise en charge peut être un élément positif dans le processus de deuil des parents. Il est également pertinent pour les professionnels de s’intéresser aux motifs et aux attentes des parents endeuillés quant à leur parcours de migration de même qu’au déroulement de celui-ci, étant donné l’influence que cela peut avoir sur leurs réactions à l’égard du deuil périnatal. Finalement, puisqu’une forte adhésion à des valeurs morales et spirituelles constitue un facteur de protection pour les personnes vivant un deuil (Hanus et al., 2007), il apparaît essentiel d’encourager les familles à garder leur culte actif en les mettant en lien avec une communauté pratiquant le même culte et en leur offrant un accompagnement personnalisé prenant en compte leurs croyances, notamment par l’accès à un intervenant en soins spirituels.

Bibliographie 

Hanus, M., Guetny, J.-P., Berchoud, J. et Satet, P. (dir.). (2007). Le grand livre des morts à l’usage des vivants. Albin Michel.

Labyt, J. et Beauquier-Maccotta, B. (2015). Le deuil prénatal chez des mères migrantes. Le Carnet PSY, 186, 21-26. https://doi.org/10.3917/lcp.186.002.

Moro, M.-R. (2014, mai). Diversité culturelle et éducation de l’enfant [communication orale]. 7e Congrès européen de l’AEPEA : Corps à corps. Souffrances du corps et travail psychique chez le bébé, l’enfant, l’adolescent, la famille et les soignants. Bruxelles. https://www.yapaka.be/video/video-diversite-culturelle-et-education-de-lenfant.

Soubieux, M.-J. (2011). Les bébés des limbes : réflexions sur le deuil périnatal. Le Carnet PSY, 154, 42-46. https://doi.org/10.3917/lcp.154.0042.

Soubieux, M.-J. (2014). Le deuil périnatal : un impensable à penser. Le Carnet PSY, 9(185), 22-24.

Verdon, C., Zeghiche, S., de Montigny, F., Gervais, C. et Côté, I. (2020). L’expérience des parents immigrants suivant un décès périnatal. Science infirmière et pratiques en santé, 3(2), 1-11. https://doi.org/10.31770/2561-7516.1080.