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Retour Bruno Ouellette, psychologue : gagner quand ça compte

Bruno Ouellette, psychologue : gagner quand ça compte

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine



Photo : Louis-Étienne Doré

Bruno Ouellette a accompagné une trentaine de médaillés olympiques dans leur quête d’excellence. Portrait d’un adepte de la performance qui considère que le sommet est moins important que le retour.

Accro à la communication, Bruno Ouellette, qui est également psychologue organisationnel et conférencier, retient tout plein de dictons, de proverbes et de citations dont il se sert dans ses sessions de formation avec ses clients – des décideurs, des artistes, des gestionnaires et des sportifs.

Parmi ses mots d’ordre préférés, on trouve la formule de l’Américain Ed Viesturs, un alpiniste qui a escaladé l’Everest à plusieurs reprises : « Le sommet est optionnel, l’essentiel c’est de revenir. » Cette maxime, dit Ouellette, « illustre bien le conflit qui émerge entre la volonté d’atteindre un objectif auquel on accorde de l’importance et de la valeur, et le processus à mettre en place pour y arriver. »

La devise olympique l’a longtemps inspiré. Mais il a abandonné l’axiome popularisé par Pierre de Coubertin (« Plus haut, plus vite, plus fort ») parce que l’idéal du dépassement de soi qu’elle transmet ne représente pas, selon lui, la réalité quotidienne de ceux qui désirent découvrir leur potentiel. Avec l’expérience, et inspiré par les recherches récentes sur la plasticité du cerveau, Ouellette s’est doté d’un mot d’ordre qu’il décline ainsi : « Gagner quand ça compte. »

Il associe ces mots à sa technique des petits pas, qui consiste à constater qu’un talent se développe graduellement, nécessairement sur une longue période. « C’est la somme de tous ces petits moments et de tous ces progrès qui produit les plus grandes performances. »

Détenteur d’une maîtrise en psychologie organisationnelle de l’Université de Sherbrooke, il traîne toujours des dés dans ses poches « pour enseigner » et ne se déplace jamais sans un jeu de cerceaux. « J’ai trois cerceaux, explique-t-il. Le premier représente le passé, le deuxième le présent, et le troisième le futur ». Ouellette pointe alors vers le dernier cerceau : « Celui-ci représente la projection dans l’avenir, qui est bien souvent la grande distraction de ceux qui se soucient trop du résultat. »

Comme le chapeau pour le magicien, les cerceaux sont sa marque de commerce. Il les utilise aussi en contexte scolaire. « Devant des jeunes, je tire le premier cerceau de l’ensemble et je demande à un élève si ce premier cerceau, qui représente la lettre A, est bien le résultat scolaire qu’il souhaiterait atteindre. Et je lui propose une autre façon de voir les choses : si on disait plutôt A pour apprendre, A pour s’amuser et A pour s’améliorer, est-ce que tu ne te sentirais pas plus motivé? »

Depuis une dizaine d’années, Ouellette anime des sessions de formation dans différents milieux organisationnels sur la gestion du stress, le travail d’équipe et le leadership.

Devenu papa à 43 ans, il considère son rôle de père comme le plus important de sa vie. « L’essentiel, c’est de garder l’équilibre, dit-il aux athlètes, ce que tu ne retrouveras jamais en pharmacie. »

« J’ai sorti le psy du bureau »

Psychologue sportif durant la première décennie du millénaire, Bruno Ouellette a vu l’or, l’argent et le bronze pleuvoir sur les Joannie Rochette, Marc Gagnon et Jonathan Guilmette au terme de performances enivrantes. Parmi les vedettes qu'il a accompagnées, Alexandre Despatie en particulier, était un exemple exceptionnel d'athlète qui savait comment gérer le stress et la pression.

La première fois qu’il a rencontré Despatie, le jeune champion avait perdu le feu sacré. Il ne trouvait plus l’élan pour plonger 100 fois par jour, 500 fois par semaine, 25 000 fois par année. « Combien de consultations pour régler mon problème? », a lancé l’athlète au psychologue.

Ce jour de l’hiver 2005, Ouellette grimpe sur la tour du 10 mètres avec le champion. Despatie a alors 20 ans. Un an plus tôt, à Athènes, il est devenu le premier athlète masculin au Canada à monter sur le podium olympique en plongeon avec une médaille d’argent remportée au tremplin de trois mètres.

Avant de briller au firmament de son sport, le jeune Despatie avait rêvé de devenir acteur. Ouellette lui a dit : « Tes rêves, j’y crois, pourvu que l’objectif soit engageant et inspirant. Alors on va se faire un plan. » La stratégie a fonctionné. L’enfant chéri des Québécois a poursuivi sa carrière et a rapporté au pays une autre médaille olympique trois ans plus tard. Il a aussi tourné dans un film en 2007.

Bien que sa spécialité touche surtout la préparation mentale, Ouellette a toujours travaillé avec les jeunes qu’il aidait à la façon d’un entraîneur. Ses consultations avaient lieu dans les estrades, sur la patinoire, dans le bus, sur un banc de parc. « J’ai sorti le psy du bureau, déclare-t-il. J’ai démocratisé la profession. »

Cette disponibilité, il refuse cependant d’en faire un dogme. « J’ai énormément de respect pour mes collègues cliniciens. Je suis un expert en leadership, je travaille à partir d’éléments positifs. Je demeure un entrepreneur, un passionné de performance, un coach exécutif. »

Un parcours hors norme

Né en 1964, « avec la dernière vague des baby-boomers », pré­cise-t-il, Bruno Ouellette a grandi à la campagne, en Montérégie, dans une famille de sept enfants. Son père, qui avait achevé sa troisième année, travaillait en usine, et sa mère accueillait autour de la table familiale les enfants orphelins ou mal-aimés de la région. « Ma mère a été mon modèle le plus significatif. Nous étions pauvres, elle trouvait le moyen d’aider. C’est sans doute grâce à elle si plus tard, j’ai choisi d’étudier la psychologie. »

Au départ, il y avait très peu de chances pour que ce grand escogriffe, turbulent et agité, termine son secondaire. « J’étais un jeune turbulent, un marginal, résume Ouellette. Aujourd’hui, je réalise que je souffrais d’un TDAH, mais les diagnostics n’existaient pas dans ma commission scolaire, alors j’ai passé mon secondaire dans le corridor. »

C’est alors qu’un professeur le repêche au sein de l’équipe de volleyball de la polyvalente Marcel-Landry d’Iberville. Le volleyball lui donne une identité. Il grimpe les échelons, devient une vedette dans son sport. Après avoir échoué sa cinquième secondaire, Ouellette reprend le flambeau, finit par passer ses examens. À 16 ans, un orienteur le dirige vers la psychologie. Gonflé à bloc, il se donne alors comme objectif d’exceller.

Quatre ans plus tard, avec le professeur Marc Bélisle du Département de psychologie, à Sherbrooke, Bruno Ouellette jette les bases d’un programme de préparation pour les athlètes de haut niveau. C’est une première. En psychologie sportive, tout est à faire.

Ouellette passe plusieurs étés dans l’ouest du pays, apprend l’anglais et finit par se faire engager comme directeur du programme de psychologie de la performance à l’École nationale des sports à Calgary. Il n’oublie pas ses mentors pour autant et continue de s’abreuver aux théories de Carl Rogers, tout en gardant le contact avec les professeurs de l’école humaniste de l’Université de Sherbrooke Yves Saint-Arnaud et Maurice Payette, dont l’influence sur son parcours professionnel a été considérable, notamment en ce qui concerne sa vision du leadership.

Adepte « féroce » de l’éducation continue, Ouellette absorbe aujourd’hui le contenu d’une cinquantaine d’ouvrages par année, en français comme en anglais, des ouvrages portant sur la gestion, sur le cerveau, le leadership, l’histoire, les neurosciences. Après avoir boudé les études dans sa prime jeunesse, il semble vouloir rattraper le temps perdu et place la soif d’apprendre au-dessus de tout. « Si j’avais eu mes enfants à l’âge de vingt-cinq ans, je les aurais encouragés à devenir des sportifs. Mais je les ai eus au début de la quarantaine, alors ce sont des lecteurs. »

Parmi les praticiens qui inspirent Bruno Ouellette, notons la Dre Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, David Rock, professeur, auteur et grand spécialiste mondial du neuro leadership, ainsi que Mihaly Csikszentmihalyi, auteur et chercheur sur l’état de flow. « Ces gens m’influencent toujours. »

Le jour où les médias sociaux ont bouleversé la donne

Durant les 20 dernières années, le sport d’élite a subi d’énormes changements. Comme psychologue sportif, Ouellette a senti le vent tourner. Il peut même nommer le moment où ce phénomène lui a sauté aux yeux : les Jeux d’hiver de Turin, en 2006. Pour éviter les distractions, les entraîneurs de certains athlètes, avec sa collaboration, avaient décidé de bannir les téléphones cellulaires durant les compétitions. Cette décision a révolté certains athlètes. Leurs performances sur la patinoire en ont souffert. En moins de 24 heures, les responsables ont reconnu leur erreur, et l’interdiction a été levée. Néanmoins, quelque chose s’était brisé entre les athlètes et l’équipe d’encadrement, parce que ces derniers, peu accoutumés aux médias sociaux, n’avaient pas mesuré l’impact des changements qu’ils opéraient sur leurs ath­lètes. « C’était une grosse gaffe et je me suis senti responsable », dit Ouellette aujourd’hui.

Mais ce n’est pas qu’une histoire de technologie ou de médias sociaux. Le sport est devenu un « big business ». Les athlètes, les commanditaires, les cas de dopage... « Autour de moi, on ne parlait que de médailles et de dollars. Les athlètes sont devenus des célébrités. La qualité de l’entraînement s’en ressent. Il n’y en a plus que pour le paraître. Je ne trouvais plus de sens à ce que je faisais, et j’avais besoin de faire une différence autrement. »

Ouellette a quitté ce monde avec l’impression de sauver sa peau. Il a fondé une compagnie et s’est mis à tourner des vidéos, pour TV5 entre autres, à émettre, puis à vérifier des modèles d’intervention. « J’apprends les théories de tout le monde et je les adapte.»

Dans une capsule, il présente au public ce qu’il appelle sa « règle du 1 % », une solution pour maximiser notre temps. Il établit que si nous consacrons chaque jour une fraction de nos horaires chargés à une activité bénéfique comme le sport, la famille ou la musique, même s’il s’agit de 15 minutes par semaine, il y aura des effets bénéfiques sur notre cerveau. « Parce que j’ai voulu créer du temps, j’ai créé la règle du 1 % », explique Ouellette.

À la fin de la séquence, le motivateur explique qu’il a présenté cette idée à son fils de 8 ans à table. Réponse de l’enfant : « Est-ce que je peux avoir du jus d’orange s’il vous plaît? »

Un éclair admiratif dans les yeux, Ouellette reconnaît que son fils est indifférent aux concepts qui l’intéressent, lui. Au fond, l’enfant a exigé du temps de qualité. Conclusion de l’expert : « Il a tout compris. »