Agrégateur de contenus

Quand la vie du client s’invite dans celle du psychologue

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


Parmi les obligations professionnelles du psychologue, une étanchéité entre la vie privée et la relation professionnelle doit s’opérer.

La plupart du temps, cela coule de source pour le psychologue. Le psychologue établira une relation impartiale et en toute indépendance professionnelle1 afin d’éviter d’entrer en conflit de rôles2, voire en conflit d’intérêts3 avec son client. Mais qu’en est-il lorsque le client devient inopinément un voisin, un collègue ou même un patron?

Cette chronique ne traitera pas des changements de rôles à l’intérieur de la relation professionnelle (expertise, consultation, observation, évaluation, guidance, etc.), mais bien des situations de la vie qui font que psychologues et clients, dans la réalité, sont appelés à se rencontrer en dehors de la relation professionnelle. Chaque exemple s’appuie sur de nombreuses expériences vécues par les psychologues eux-mêmes dans une démarche réflexive avec le service-conseil en déontologie.

Les articles du Code de déontologie en cause
Le psychologue vivant de telles situations peut s’appuyer les sections IV et V du chapitre III du Code de déontologie intitulées « conflit d’intérêts et indépendance professionnelle » et « cessation de services professionnels » afin de clarifier sa position déontologique. Ces articles seront utiles afin de nourrir le jugement clinique pour déterminer l’orientation à prendre quant à l’avenir de la relation professionnelle entre le psychologue et son client lorsqu’arrivent sur leur chemin ces nouveaux rôles issus du hasard de la vie.

En plus des articles du Code de déontologie, le contexte de vie, la nature des services et de la relation professionnelle sont des éléments à considérer afin de déterminer la meilleure décision dans l’intérêt supérieur du client, et ce, en préservant l’indépendance professionnelle afin de minimiser, voire évacuer, toute possibilité de conflit de rôles et de conflit d’intérêts. Trois avenues principales se dessinent :

  1. un effet nul de la relation réelle sur la préservation de l’intégrité de la relation professionnelle;
  2. un effet endigué de la relation réelle sur la préservation de l’intégrité de la relation professionnelle : cet effet sera déterminé par la capacité du psychologue à sauvegarder son indépendance professionnelle en établissant des mesures appropriées afin de minimiser, voire éliminer, les possibilités d’interactions entre les deux dans le cadre de l’activité professionnelle du client;
  3. un effet conflictuel évident qui soit empêche la possibilité de la relation réelle, soit impose la cessation de la relation professionnelle, soit impose la cessation des deux relations.

Mais comment évaluer de tels effets? Comment prendre une décision dans l’intérêt du client, alors que celle-ci pourrait tout de même lui déplaire et le décevoir?

Grille d’analyse à trois critères
Afin de prendre les meilleures décisions possibles en matière de changement de rôles, il convient de se doter d’une grille d’analyse simple afin de bien les facteurs contribuant au conflit de rôles : le continuum de proximité, le continuum de fréquence et l’influence des incidents sur les situations.

  • Le continuum de proximité
    Notre analyse de la situation sera bien différente si le client ne fait que passer ou s’il s’installe définitivement dans la vie du psychologue. Ainsi, si le client participe au même congrès que son psychologue, il suffit de clarifier avec ce dernier que les échanges soient courtois, sans plus, afin que rien ne vienne altérer la relation professionnelle. Cependant, si le client est le nouveau patron ou le nouveau conjoint d’un proche (frère, sœur), il est fort probable que ce client doive changer de psychologue dans son intérêt supérieur, car cela nous introduit dans le continuum de fréquence.
     
  • Le continuum de fréquence
    Il est évident que si la rencontre est ponctuelle, par exemple partager une seule fois le plateau d’une émission d’affaires publiques, cela ne remet pas en cause la relation professionnelle. En revanche, si un client devient un collègue de travail, un proche collaborateur avec qui on échange au quotidien, cela pourrait entraîner des conséquences importantes, ce qui pourrait amener le psychologue à devoir faire un choix difficile. Le contexte jouera alors pour beaucoup dans la prise de décision. L’objectif étant de préserver une relation professionnelle la plus intacte possible.
     
  • L'influence des incidents sur les situations
    Il peut arriver qu’un client ait un enfant fréquentant la même école que l’enfant du psychologue. Il peut arriver que l’un des enfants intimide, blesse ou frappe l’autre enfant. Il peut donc arriver que le client et le psychologue soient convoqués auprès de la direction de l’école dans le but de clarifier la situation et même de mettre en place des mesures disciplinaires pour l’un, pour l’autre ou pour les deux enfants. C’est un incident qui peut engendrer des conséquences sur la relation professionnelle, car cette incursion dans la vie réelle peut avoir un impact concret et percutant sur les perceptions de l’un et de l’autre dans la relation professionnelle.


Voici quelques exemples d’application de la grille d’analyse à des situations concrètes (vécues réellement par des psychologues) de changement de rôles impliquant un psychologue et son client.

  Articles visés Proximité Fréquence Incidents Décision
Nouveau voisin immédit partageant la même clôture 25, 26, 35, 36,
+23, 31, 32
Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel de changement de rôle définitif.
Participant à un atelier grand public offert par le psychologue Seulement 23, 31, 32 Non Non Non Possible discussion concernant la motivation du client à participer à cet atelier.
Patron 25, 30, 35, 36,
+23, 31, 32
Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel de changement de rôle définitif.
Locateur 30,
+23, 31, 32
Non Possible Possible Discussion afin de trouver une façon de ne pas traiter directement avec le client-locateur.
Membre de la même compagnie de 10 000 employés Seulement 23, 31, 32 Peu Peu Peu probable Établir les mesures appropriées au moment d’un incident (le cas échéant).
Collègue de la même équipe de travail 25, 26, 35, 36,
+23, 31, 32
Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel de changement de rôle définitif s’il est impossible d’éviter de faire partie du même groupe.
Professeur de l’enfant du psychologue 25, 35 (?), 36 (?),
+23, 31, 32
De peu possible à grand potentiel

À nuancer selon le contexte
De peu possible à grand potentiel

À nuancer selon le contexte
Possible Établir les mesures appropriées afin de minimiser, voire éliminer, les possibilités d’interactions entre les deux dans le cadre de l’activité professionnelle du client. Si impossible : potentiel de changement définitif de la relation thérapeutique ou de changement de professeur pour l’enfant.
Ami de l’enfant 24, 35 (?), 36 (?),
+23, 31, 32
Possible

À nuancer selon le contexte
Possible

À nuancer selon le contexte
Possible

À nuancer selon le contexte
Tenir compte de l’âge (trottineur, primaire, ado, adulte), du type d’amitié (de jeu, confident, etc.) et du potentiel de fréquentation de la maisonnée du psychologue.
Nouveau membre de la famille élargie (conjoint de la sœur, du cousin, etc.) 24, 25, 26, 35, 36,
+23, 31, 32
Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel Grand potentiel de changement de rôle définitif. Tenir compte de la proximité du membre de la famille avec qui le client est nouvellement en couple.


Des décisions à nuancer selon le contexte
Bien entendu, chaque situation étant unique, le psychologue doit tenir compte du contexte pour prendre sa décision. Prenons l’exemple du client qui devient professeur de l’enfant de sa psychologue. Si le client est professeur au secondaire, au cégep ou à l’université, qu’il est un professeur parmi d’autres pour l’enfant du psychologue, que l’enfant porte le nom du conjoint, qu’il a un parcours scolaire sans histoire, il y a peu de risque que le parent-psychologue soit impliqué dans une relation avec son client-professeur pour son enfant. À l’autre bout du spectre, le client est le professeur titulaire de la classe du primaire de l’enfant, l’enfant a un dossier d’aide particulière dans lequel sont impliqués assidûment les parents, et le professeur titulaire devra faire équipe avec eux dans l’intérêt de l’enfant du psychologue. Il risque d’y avoir une plus grande fréquence et des incidents les réunissant autour de la gestion du dossier d’aide particulière de l’enfant du psychologue. La décision sera tout autre.

Conclusion
Comme nous l’avons vu, l’analyse d’une situation entraînant un conflit de rôles est multifactorielle. L’important, pour le psychologue, est de s’assurer d’établir et de maintenir la relation de confiance et l’indépendance professionnelle. Si les facteurs extérieurs à la relation professionnelle deviennent incompatibles avec la qualité du service professionnel, le psychologue doit résoudre les enjeux de la situation et prendre les décisions nécessaires au maintien de son indépendance professionnelle.

L’analyse des facteurs de proximité, de fréquence et d’incident permet de bien saisir la complexité des situations problématiques. Quant à elle, la compréhension de certains articles du Code de déontologie permet d’aider à évaluer et à résoudre ces situations. Parfois, la résolution peut déterminer la fin de la relation professionnelle. Dans ces circonstances, on peut malheureusement se dire : à l’impossible, nul n’est tenu.

Notes et bibliographie

Notes

  1. Indépendance professionnelle : absence d’influence extérieure sur le processus ou sur la relation entre le client et le professionnel.
     
  2. Conflit de rôles : situation dans laquelle une personne ayant un poste de confiance (comme un psychologue) occupe deux ou plusieurs rôles différents par rapport à son client (par exemple, lorsque le psychologue est aussi exécuteur testamentaire, lorsque le psychologue est un voisin, lorsque le psychologue est un collègue).
     
  3. « Conflit d’intérêts : situation dans laquelle une personne ayant un poste de confiance […] a des intérêts professionnels ou personnels en concurrence. De tels intérêts en concurrence peuvent la mettre en difficulté pour accomplir sa tâche avec impartialité. Même s’il n’y a aucune preuve d’actes préjudiciables, un conflit d’intérêts peut créer une apparence d’indélicatesse susceptible de miner la confiance en la capacité de cette personne à agir correctement à son poste. »
    Source : Thésaurus de l’activité gouvernementale.

Bibliographie

  • Code de déontologie des psychologues. C-26, r. 148.1.001. Ordre des psychologues du Québec. Éditeur officiel du Québec. Les Publications du Québec.