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Les défis et les pièges dans le traitement du trouble de stress post-traumatique chez les militaires

Dre Salima Mamodhoussen, psychologue

La Dre Mamodhoussen est psychologue et chef de profession au 41e Centre des Services de santé des Forces canadiennes, Détachement Longue-Pointe.


Devant l’ampleur de la demande en soins psychologiques chez les militaires et les vétérans, de plus en plus de psychologues sont amenés à traiter divers problèmes auprès de cette population, particulièrement le trouble de stress post-traumatique (TSPT). De nombreux autres individus vivent des traumatismes similaires à ceux des militaires, comme les policiers, les médecins et les autres spécialistes et techniciens de la santé travaillant dans des pays ravagés par les conflits armés. Les types de traumatismes vécus peuvent varier selon le contexte de déploiement, par exemple si l’on agit à titre de combattant, d’agent de maintien de la paix, d’ingénieur, de soignant, etc.

Or, les traumas vécus par ces individus sont souvent complexes et comportent certaines particularités. On trouve fréquemment des personnes aux prises avec des traumatismes psychologiques multiples qui se sont succédé et accumulés au cours des années. Ces individus attendent souvent des années avant de consulter, craignant pour leur carrière et leur réputation ou ayant l’impression d’être faibles s’ils n’arrivent pas seuls à régler leurs difficultés (Sudom, Zamorski et Garber, 2012). On trouve également une grande pression sociale chez ces personnes qui se sont souvent distinguées par leur capacité à affronter des événements difficiles et dangereux. On s’attend à ce qu’ils restent forts et demeurent des piliers dans leur milieu. 

Si la psychothérapie est susceptible d’améliorer de manière considérable l’état des individus souffrant de TSPT (Sharpless, 2011), on doit cependant considérer les différents défis qu’elle comporte et rester vigilant à l’égard des pièges qui peuvent nous guetter.

Diagnostic hâtif 

Dans le souci d’aider rapidement les individus s’amenant devant nous dans une grande détresse, il est parfois tentant de commencer à les traiter rapidement, avant d’avoir posé un bon diagnostic. Les différentes réalités vécues dans des contextes de conflits armés vont amener des symptômes et des diagnostics divers, d’autant plus qu’une certaine proportion de ces individus vont développer non seulement un, mais plusieurs problèmes de santé mentale à la suite de missions à l’étranger (Lazar, 2014). Les difficultés liées aux traumas peuvent découler d’un sentiment d’horreur vis-à-vis de ce qui a été vécu, d’une peur pour soi ou pour autrui, d’une réalisation après coup du danger ou de la cruauté vécue ou vue. Les individus témoignent d’impressions différentes, comme celle de n’avoir pas pu contribuer à la mission de manière satisfaisante ou bien d’avoir été traité injustement. Dans ces cas, un stress post-traumatique, une dépression majeure, un deuil complexe ou une blessure narcissique peuvent s’entremêler et être difficiles à distinguer. Il demeure essentiel de bien évaluer l’ensemble de la symptomatologie chez l’individu. Il arrive malheureusement que des individus ayant connu des traumatismes de guerre soient trop rapidement considérés comme ayant un TSPT alors que leurs difficultés se situent ailleurs. Lorsque le diagnostic est posé, il importe de mettre en place un plan de traitement individualisé qui tiendra compte de la comorbidité et des stresseurs actuels que vit le patient. 

Évitement du patient

Chez les individus souffrant de TSPT, les traumatismes vécus représentent souvent la ou les pires expériences de leur vie, qu’ils souhaiteraient plus que tout au monde oublier. Malheureusement, après des années d’évitement, ces souvenirs deviennent source de hantise. Une grande énergie est consacrée à l’évitement des souvenirs douloureux, c’est pourquoi le travail thérapeutique sur les traumatismes est souvent vu par les clients comme une montagne terrifiante. Dans ce contexte, l’alliance thérapeutique, les attitudes du thérapeute, le respect du rythme du patient, ainsi que la psychoéducation sur le traitement deviennent des éléments clés dans le traitement. 

La plupart des patients se présentant en thérapie pour un TSPT ont déjà tenté des stratégies pour oublier leur souffrance et pour s’en sortir. Ces stratégies se résument souvent en tactiques d’évitement (surinvestissement au travail aux dépens du bien-être personnel et des relations sociales, retrait graduel de tous les contextes ou situations amenant de l’anxiété, investissement dans divers types de dépendance, etc.) L’évitement aura souvent été aidant à leurs yeux, à court terme et de manière circonscrite. Pour amener un client à envisager une autre manière de se débarrasser de ses symptômes – en s’attaquant aux éléments difficiles, en travaillant l’évitement pour retrouver une qualité de vie, en abordant les événements qui ont profondément transformé sa manière de se voir, de voir les autres et le monde dans lequel il vit –, on doit lui faire comprendre pourquoi on lui propose cette avenue. 

Une bonne psychoéducation permettra au client de comprendre la méthode proposée pour l’aider, de savoir ce que le traitement implique et de quelle manière on travaillera sur les aspects difficiles. La psychoéducation constitue donc une composante essentielle du traitement du TSPT et elle est un préalable à tout travail sur les traumatismes. Les craintes des clients doivent également être explorées et abordées, ce qui veut dire beaucoup plus que de simplement les rassurer. Les clients peuvent exprimer diverses craintes par rapport au fait de parler de ce qui leur est arrivé, ces craintes allant de celle de faire plus de cauchemars à la peur de transmettre une image négative d’eux-mêmes à leur thérapeute. La peur, la honte, la tristesse, l’impuissance et la colère sont toutes des émotions sur lesquelles il faut travailler. Cela permettra d’établir une base solide sur laquelle poser le travail sur le TSPT. 

Par la suite, les objectifs thérapeutiques doivent être clairs et décidés de concert avec le client. Prenons l’exemple d’un militaire qui est marié, a de jeunes enfants et est aux prises avec un TSPT. Il subit des reviviscences modérés et présente un évitement sévère des endroits publics dans lesquels il se sent vulnérable et exposé au danger. Sa priorité est de retrouver un degré de fonctionnement adéquat afin de participer à nouveau aux activités familiales hebdomadaires.

Les objectifs devront donc être bien définis selon ses besoins et non selon l’idéal du thérapeute. Cela assurera une meilleure compréhension de la direction du traitement et une meilleure adhésion aux interventions thérapeutiques. Le client doit avoir confiance que son thérapeute ne le poussera pas là où il ne veut pas aller, qu’il l’aidera même si c’est difficile, afin qu’il puisse retrouver les capacités qu’il a perdues et qu’il souhaite retrouver. Il est primordial, dans le traitement des traumatismes, de ne jamais demander au client de s’exposer à quelque chose que nous ne ferions pas nous-mêmes (Brillon, 2013). La collaboration et l’entente sur les objectifs de la thérapie et sur les moyens d’y parvenir sont des composantes de l’alliance thérapeutique et s’avèrent cruciales dans la psychothérapie pour le stress post-traumatique. 

Évitement du thérapeute

L’évitement n’est pas exclusif aux clients, il peut également être présent chez les thérapeutes. Être témoin de la souffrance d’autrui et se la faire raconter peut s’avérer difficile et même troublant. On a parfois peur de « faire mal » ou même de traumatiser notre client à nouveau en abordant les éléments difficiles pour eux. Alors, comment le thérapeute parvient-il naviguer entre son évitement et sa crainte de faire mal? Tout d’abord, une bonne compréhension du traitement pour le TSPT s’avère nécessaire, peu importe le protocole de traitement utilisé. Cette compréhension permettra au thérapeute de se sentir à l’aise dans ses interventions thérapeutiques et en gérant les craintes que suscite chez lui un client souffrant. La capacité de discuter de notre vécu thérapeutique s’avère également essentielle, que ce soit avec une équipe clinique, en cosupervision avec des collègues ou en supervision. Certains éléments difficiles à entendre et susceptibles de nous bouleverser pourront être discutés dans ces environnements sécuritaires. 

Par ailleurs, un autre piège potentiel dans le processus thérapeutique consiste à encourager l’évitement du patient sous le couvert du respect de son rythme. Il peut devenir complexe de doser ses interventions afin d’aider son patient à travailler les éléments difficiles qui le hantent, mais sans le pousser. Il est fréquent en supervision clinique de rencontrer des thérapeutes qui ont peur de faire mal à leur client ou de lui nuire s’ils abordent avec lui les éléments traumatiques survenus. On oublie parfois, comme thérapeute, que les patients vivent au quotidien avec ces images qui les envahissent souvent dans toutes les sphères de leur vie, que ce soit au travail, dans leurs interactions avec leurs proches, lorsqu’ils sortent de la maison, dans leurs cauchemars… Parfois, ces personnes vont craindre de nous parler de ces choses qui à leurs yeux ne se disent pas, parce qu’ils craignent de nous traumatiser, de gâcher notre journée, de nous inquiéter, etc. 

Le grain de sable dans l’engrenage

En travaillant le stress post-traumatique, on a parfois l’impression qu’un simple survol des situations traumatiques, réalisé sans entrer dans les détails, sera suffisant pour amener le patient à une résolution de la souffrance vécue. Cependant, un grain de sable va souvent bloquer l’engrenage du processus de digestion émotionnelle du traumatisme. Ce grain de sable est la présence de micro-événements. Les traumatismes vécus par les individus souffrant de stress post-traumatique contiennent la plupart du temps des micro-événements que les individus hésitent à dévoiler. Ces micro-événements peuvent être des moments précis dans le souvenir global du traumatisme, ou même des impressions ressenties à un moment particulier. Le souvenir de ces micro-événements peut être extrêmement souffrant pour plusieurs raisons, par exemple parce qu’il s’agit du pire moment dans le souvenir ou parce qu’il s’agit d’un moment ayant évoqué des émotions négatives particulièrement fortes. Par exemple, un militaire ayant déterré des charniers pourrait parler de l’expérience générale qu’il a vécue, mais en omettant de parler du moment particulièrement difficile où il a trouvé les restes d’un enfant qui portait une croix. Cette image aura marqué chez le militaire une brusque rupture avec ses croyances religieuses fondamentales et un détachement par rapport à son propre enfant, sur lequel se transposaient les images d’horreur à son retour de mission. Il est fréquent que les clients omettent de parler de ces micro-événements lorsqu’ils relatent les événements traumatiques qu’ils ont vécus. Du moins, ils les dévoilent rarement au cours des premières rencontres où les traumatismes sont abordés. 

Traitement en surface

L’ensemble de ces pièges entraîne le risque bien réel que les difficultés du patient ne soient traitées que superficiellement. Il peut être tentant pour le thérapeute de saupoudrer ses interventions en restant en surface plutôt que de prendre le risque de s’aventurer en profondeur dans les réelles difficultés du client, là où le travail s’avère plus difficile et éprouvant, mais efficace. Il est important de noter que ces pièges sont inhérents à l’intervention auprès des individus souffrant de stress post-traumatique. L’expérience et la connaissance ne mettent pas les psychologues à l’abri de ces pièges. C’est pour cette raison qu’il s’avère important de réévaluer fréquemment où nous en sommes rendus dans le traitement de la problématique et dans la réalisation des objectifs des patients. Il est également primordial de rester conscient des processus d’évitement – celui du patient comme le nôtre – lorsque nous abordons le stress post-traumatique.

Lorsque la douleur des autres nous fait mal

La psychothérapie pour le stress post-traumatique est exigeante pour les clients, mais également pour les thérapeutes. La charge émotive liée au travail sur les traumatismes peut être très grande. Entendre l’horreur jour après jour peut avoir un impact profond sur notre manière de voir les choses. Que ce soit à travers le travail avec des réfugiés, des policiers, des médecins ou des militaires, d’entendre la souffrance des autres et leurs traumatismes est susceptible de provoquer des sentiments d’impuissance, de tristesse, de colère, de peur ou même d’indifférence. Lorsque ces émotions deviennent envahissantes et teintent notre quotidien, notre sommeil, nos croyances fondamentales, ou lorsqu’elles provoquent une souffrance importante, nous faisons face à des signaux d’alarme importants. Il sera tentant de les banaliser, mais nous devons en tenir compte afin de nous permettre de poursuivre une carrière enrichissante et une vie personnelle épanouie. 

En conclusion, la psychothérapie auprès des individus affectés par le stress post-traumatique peut être ardue par moments. Cependant, si nous sommes bien outillés, si nous restons à l’affût des pièges cliniques qui nous guettent et si nous prenons soin tant de nous-mêmes que de nos patients, ce travail peut également s’avérer stimulant et gratifiant.

Bibliographie

Brillon P. (2013). Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique : guide à l’intention des thérapeutes (5e édition), Montréal : Québécor.
Foa, E., Hembree, E. A., et Rothbaum, B. O. (2007). Prolonged Exposure Therapy for PTSD – Emotional Processing of Traumatic Experiences: Therapist Guide. New York : Oxford University Press.
Hoge, C. (2010). Once a Warrior – Always a Warrior: Navigating the Transition from Combat to Home – Including Combat Sress, Ptsd, And Mtbi. Guilford : Connecticut.
Lazar, S. G. (2014). The mental health needs of military service members and veterans. Psychodynamic Psychiatry, 42(3), 459-478.
Sharpless, B. A. (2011). A Clinician’s Guide To PTSD Treatments For Returning Veterans. 42(1), 8-15.
Sudom, K., Zamorski, M., et Garber, B. (2012). Stigma and barriers to mental health care in deployed Canadian Forces personnel. Military Psychology, 24, 414-431.