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COVID-19 : obstacles et avantages de la télésanté pour l’évaluation et le traitement des traumas chez l’enfant

Dre Delphine Collin-Vézina, psychologue
Titulaire de deux chaires de recherche, la Dre Collin-Vézina dirige le Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill et le Groupe de recherche sur les réponses sociales face au trauma complexe. Elle est aussi professeure agrégée à l’École de service social et professeure associée au Département de pédiatrie de l’Université McGill.

Dre Nicole Racine, psychologue
La Dre Racine est clinicienne et chercheuse postdoctorale au Département de psychologie de l’Université de Calgary. Elle est également professeure adjointe à l'École de psychologie de la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Elle a apporté une contribution importante à la compréhension des problèmes de santé mentale rencontrés par les jeunes de sexualité et de genre divers (SGD) pendant la pandémie de la COVID-19.

Dre Cailey Hartwick, psychologue
La Dre Hartwick est clinicienne au Child Abuse Services (CAS) du Alberta Health Services. Elle se spécialise dans les cas d'abus envers les enfants et en interventions probantes pour favoriser leur résilience.

 

Dre Sheri Madigan, psychologue
La Dre Madigan est titulaire d'une chaire de recherche du Canada sur les déterminants du développement des enfants. Elle est également professeure agrégée au Département de psychologie de l’Université de Calgary.


La pandémie de COVID-19 a entraîné des perturbations sans précédent dans la vie des enfants et des familles. Afin d’atténuer la propagation de la COVID-19, des mesures de santé publique telles que la mise en quarantaine obligatoire et la fermeture des garderies, des écoles et des centres communautaires ont été imposées. Le « paradoxe de la pandémie » fait référence à la manière dont ces mesures de santé publique, destinées à assurer la sécurité médicale des enfants pendant la pandémie, leur ont fait courir un possible risque accru de violence et de maltraitance (Bradbury-Jones et Isham, 2020). En effet, les experts émettent l’hypothèse que l’augmentation du stress économique (ex. : dû à une perte d’emploi) et psychologique chez les personnes qui s’occupent des enfants, associé à l’isolement, aura entraîné pour les enfants et les familles une exposition accrue à la maltraitance et à la violence pendant la pandémie (Humphreys et al., 2020; Usher et al., 2020).

Ces préoccupations indiquent qu’il est impératif de maintenir et de renforcer le traitement des traumas et de leurs séquelles. En effet, jusqu’à 36 % des enfants qui sont exposés à la maltraitance développent des symptômes de stress post-traumatique graves qui peuvent nécessiter un traitement (Ackerman et al., 1998). Lorsque les mesures d’éloignement physique ont été mises en œuvre, les psychologues qui fournissent des services en santé mentale aux enfants et à leurs familles ont dû rapidement basculer vers la télésanté. Cet article traitera à la fois des avantages et des obstacles de la télésanté et proposera des recommandations pour assurer la meilleure prestation de services possible.

Avantages du traitement des traumas des enfants par la télésanté

Lors du confinement, au début de la pandémie de COVID-19, l’avantage le plus important des services de télésanté a été de fournir des services de traitement des traumas aux enfants malgré les exigences de distanciation physique. La recherche a démontré que la télésanté, comme modalité de traitement pour des difficultés générales de santé mentale chez les enfants, est aussi efficace que le traitement en personne (Gloff et al., 2015) et permet de réduire les obstacles liés à l’accès au traitement (ex. : le manque de transport, particulièrement en région éloignée) (Jones et al., 2014; Nelson et al., 2017). Une étude pilote récente portant sur 15 enfants a démontré que la thérapie cognitivo-comportementale axée sur les traumatismes (TF-CBT), un traitement fondé sur des données probantes (Cohen et al., 2012), était aussi efficace pour réduire les symptômes de stress post-traumatique en télésanté qu’en personne et permettrait de réduire les taux d’abandon du traitement (Stewart et al., 2017a), ce qui est un défi dans le traitement des traumas chez les enfants (Ormhaug et Jensen, 2018).

Limites du traitement des traumas des enfants par la télésanté

Les limites du traitement des traumas au moyen de la télésanté se répartissent en deux grandes catégories : les limites physiques, qui font référence aux difficultés d’accès à une technologie fiable et à un espace confidentiel afin de participer de manière adéquate au traitement, et les limites thérapeutiques. En ce qui a trait à la technologie, bien que la forte majorité des ménages québécois dispose d’une connexion à Internet à leur domicile, l’accès à des appareils fiables, en particulier dans les foyers les plus défavorisés sur le plan socio-économique, n’est pas garanti. Une autre limitation physique est l’accès à un espace confidentiel et sûr pour mener des séances de thérapie. Il est recommandé que les séances de thérapie se déroulent dans une pièce indépendante pouvant être fermée par une porte, qui n’est idéalement pas la chambre de l’enfant. Pour les familles à faible revenu qui vivent dans un espace restreint, il peut être difficile de donner accès aux enfants à un tel espace privé, en particulier pendant une pandémie, lorsque d’autres membres de la famille sont confinés à la maison. La confidentialité des propos des clients est particulièrement importante en période de pandémie, car la séance avec le psychologue peut être l’une des seules occasions pour un enfant de révéler les mauvais traitements qu’il subit (Collin-Vézina et al., 2020).

Des recherches antérieures utilisant la TF-CBT en télésanté ont été menées dans les écoles, en partie pour remédier à cette limite (Stewart et al., 2017a; 2017b); toutefois, cette option était difficilement applicable dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

La télésanté présente également des limites thérapeutiques, notamment en ce qui concerne l’évaluation et le traitement des présentations cliniques plus sévères. Les enfants et les adolescents ayant de graves difficultés de régulation des émotions ou des difficultés à maintenir leur attention peuvent avoir du mal à se concentrer pendant les séances de télésanté. Lors de recherches antérieures, des psychologues ont choisi d’offrir un traitement en personne plutôt qu’en télésanté aux enfants qui avaient des’idées suicidaires importantes, présentaient des comportements d’extériorisation graves ou étaient âgés de moins de 7 ans (Stewart et al., 2017). Une autre préoccupation thérapeutique est le défi clinique que représente l’évaluation de l’affect du patient, en particulier la dissociation, par le biais de la télésanté. La dissociation consiste généralement à se séparer de la réalité et c’est un symptôme courant chez les enfants qui ont été maltraités (Collin-Vézina et Hébert, 2005). La dissociation est particulièrement susceptible de se produire lors de la discussion ou de la narration d'une expérience traumatisante. La difficulté accrue à interpréter l’affect de l’enfant sur vidéo rend l’identification et le traitement de la dissociation particulièrement difficiles, et cet aspect doit être considéré dans le choix de la modalité d’intervention.

Considérations cliniques et conclusion

Dans l’ensemble, les recherches suggèrent que le traitement des traumas par la télésanté est une option viable qui peut offrir certains bénéfices. Par contre, les avantages de cette modalité ne seront pas ressentis de la même manière par tous les enfants : les limites de la télésanté sont exacerbées pour les enfants et les familles qui sont les plus marginalisés et qui sont confrontés aux obstacles sociaux et économiques les plus importants. Cette option semble aussi limitée pour soutenir les enfants dont la présentation clinique est plus complexe. Il est essentiel de procéder à une évaluation complète pour déterminer quels enfants bénéficieront d’un traitement des traumas par la télésanté et pourront s’engager dans une telle forme de thérapie (Simms et al., 2011). Les risques et les avantages de la télésanté devront être considérés pour chaque client. Pendant les prochains mois, alors que la crise de la COVID-19 sera encore présente, il sera important de déterminer de façon rigoureuse les cas où les services pourront se poursuivre en toute sécurité à distance et ceux où le traitement devra inclure un accompagnement psychologique en personne. Étant donné que la télésanté auprès des enfants et des adolescents peut être l’une des seules occasions pour un enfant de révéler des mauvais traitements, il convient également de donner la priorité aux formations sur les traumatismes pour savoir comment gérer et traiter ces révélations. Il est aussi fort important de poursuivre les recherches pour documenter les caractéristiques des clients et des services qui forment les conditions nécessaires au succès du traitement des traumas par la télésanté.

Note et références

Note


Références

  • Ackerman, P. T., Newton, J. E., McPherson, W. B., Jones, J. G. et Dykman, R. A. (1998). Prevalence of post traumatic stress disorder and other psychiatric diagnoses in three groups of abused children (sexual, physical, and both). Child Abuse & Neglect, 22, 759-774.
  • Bradbury-Jones, C. et Isham, L. (2020). The pandemic paradox: The consequences of COVID-19 on domestic violence. Journal of Clinical Nursing, 29, 2047-2049.
  • Cohen, J. A., Mannarino, A. P. et Deblinger, E. (2012). Trauma-Focused CBT for Children and Adolescents. Guildford Press.
  • Collin-Vézina, D., Brend, D. et Beeman, I. (2020). When it counts the most: Trauma-informed care and the Covid-19 global pandemic. Developmental Child Welfare.
  • Collin-Vézina, D. et Hébert, M. (2005). Comparing dissociation and PTSD in sexually abused school-aged girls. Journal of Nervous and Mental Disease, 193, 47-52.
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  • Humphreys, K. L., Myint, M. T. et Zeanah, C. H. (2020). Increased risk for family violence during the COVID-19 pandemic. Pediatrics.
  • Jones, A. M., Shealy, K. M., Reid-Quiñones, K., Moreland, A. D., Davidson, T. M., López, C. M., Barr, S. C. et de Arellano, M. A. (2014). Guidelines for establishing a telemental health program to provide evidence-based therapy for trauma-exposed children and families. Psychology Services, 11, 398-409.
  • Nelson, E. L., Cain, S. et Sharp, S. (2017). Considerations for conducting telemental health with children and adolescents. Children and Adolescent Psychiatric Clinic of North America, 26, 77-91.
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  • Simms, D., Gibson, K. et O’Donnell, S. (2011). To use or not to use: Clinicians’ perceptions of telemental health. Canadian Psychology, 52, 41-51.
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  • Stewart, R. W., Orengo-Aguayo, R. E., Gilmore, A. K. et de Arellano, M. (2017b). Addressing barriers to care among hispanic youth: Telehealth delivery of trauma-focused cognitive-behavioral therapy. Behavioral Therapy, 40, 112-118.
  • Usher, K., Bhullar, N., Durkin, J., Gyamfi, N. et Jackson, D. (2020). Family violence and COVID-19: Increased vulnerability and reduced options for support. International Journal of Mental Health Nursing.