Connexion au Portail sécuriséL’anxiété et l’utilisation problématique des réseaux sociaux par les jeunes : bref tour d’horizon
Professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, elle se spécialise dans l’étude des dépendances comportementales et dans leur traitement.
Doctorante en psychologie à l’Université du Québec à Montréal en voie de terminer son doctorat clinique, elle s’intéresse aux troubles anxieux et à l’utilisation problématique d’Internet.
L’adolescence est considérée comme une période d’adaptations importantes, durant laquelle certains jeunes développeront de la détresse psychologique, parfois même des symptômes anxieux (March-Llanes et al., 2017 ; Ryan et al., 2011 ; Schneiders et al., 2006). Au Québec, les problèmes d’anxiété sont en croissance (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2018). En 2018, 19 % des adolescents et 40 % des adolescentes rapportaient un niveau de détresse psychologique élevé, tandis que 17,2 % des jeunes présentaient des problèmes d’anxiété importants (ISQ, 2018). De plus, l’avènement d’Internet, et particulièrement des réseaux sociaux, semble ajouter de nouveaux défis pour les jeunes (Swanson et al., 2010).
Les réseaux sociaux, également nommés médias sociaux, sont définis comme étant des plateformes et des applications technologiques permettant la création de contenu personnel et facilitant les interactions sociales (Aichner et Jacob, 2015; Kaplan et Haenlein, 2010; Kietzmann et al., 2011). Que ce soit sur TikTok, Instagram, YouTube ou Facebook, les jeunes sont constamment en contact avec les autres, ils sont stimulés et divertis en continu. Les réseaux sociaux offrent de nombreuses possibilités, mais soulèvent également de nouveaux enjeux de socialisation et même de santé mentale. De fait, alors que les jeunes font face à divers défis développementaux, dont la construction de leur identité, les réseaux sociaux leur offrent l’occasion de contrôler plus étroitement leur image et leur présentation en ligne (Choudhury et al., 2006; Schlosser, 2020). Cette possibilité d’une image et d’une présentation contrôlées ou même altérées, bien qu’attrayante, peut augmenter la présence de stresseurs tels que la comparaison sociale (Chua et Chang, 2016; Fourquet-Courbet et Courbet, 2017). Dès lors, trouver l’équilibre dans ce nouveau monde d’ouvertures et de défis s’avère complexe pour les adolescents, particulièrement pour ceux qui sont vulnérables à l’anxiété.
L’usage compensatoire et les réseaux sociaux
Si plusieurs adolescents apprécient leurs activités sur les réseaux sociaux et y passent un temps substantiel pour explorer leur identité (Beard, 2011 ; Chang et al., 2015), d’autres les utilisent afin d’apaiser, voire d’éviter les sentiments occasionnés par des difficultés vécues hors ligne. De fait, les réseaux sociaux permettent d’oublier les soucis et de fuir des situations considérées comme difficiles, c’est-à-dire où le jeune ne se sent pas compétent. Cette utilisation centrée sur une stratégie d’évitement est nommée par Kardefelt-Winther (2014) l’« utilisation compensatoire ». En d’autres termes, l’utilisation des réseaux sociaux s’avère être une stratégie de coping en réponse à des stresseurs quotidiens (Brand et al., 2016). Dans cet environnement vu comme « sécurisant », l’utilisation des réseaux sociaux permet de combler les besoins de réconfort et de validation ou les besoins sociaux insatisfaits dans le monde hors ligne (Caplan, 2007 ; Chang et al., 2015 ; Duvenage et al., 2020 ; Ellison et al., 2006). Selon Courtois (2012), cette utilisation permet donc de diminuer l’incertitude souvent vécue dans les rencontres hors ligne, tout en augmentant le pouvoir de prédire le comportement des autres.
Au Québec, près de la moitié des jeunes adultes entre 18 et 24 ans rapportent utiliser Internet dans le but d’éviter de penser à leurs problèmes hors ligne (Dufour, 2018). Chez les adolescents, l’utilisation compensatoire serait associée à de plus faibles capacités d’autorégulation (Tzavela et al., 2017). Ces difficultés de régulation des émotions rendraient le monde en ligne d’autant plus attrayant pour ceux qui présentent de l’anxiété (Brand et al., 2016 ; Kardefelt-Winther, 2014). Or, l’utilisation importante des réseaux sociaux, notamment dans le but de fuir ou d’éviter des situations ou des relations, pourrait conduire au développement d’une utilisation problématique des réseaux sociaux (UPRS) (Tzavela et al., 2017).
L’utilisation problématique des réseaux sociaux
Contrairement au diagnostic officiel du trouble du jeu vidéo répertorié dans la Classification internationale des maladies (CIM) (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2019), il n’existe aucune reconnaissance officielle de la dépendance ou du trouble d’utilisation problématique des réseaux sociaux (UPRS). Toutefois, il existe une littérature abondante documentant les effets et les méfaits associés à l’utilisation des réseaux sociaux (Ivie et al., 2020; Keles et al., 2020; Sarmiento et al., 2020), voire à la dépendance aux réseaux sociaux (Adorjan et Ricciardelli, 2021; Andreassen, 2015; Ryan et al., 2014).
Selon différents auteurs, l’UPRS se caractérise par des préoccupations excessives à propos des réseaux sociaux, par la perte de contrôle associée à leur utilisation et par des conséquences importantes en lien avec l’utilisation des réseaux sociaux (Andreassen et Pallesen, 2014). Des symptômes de sevrage, de la tolérance, des conflits, des problèmes à l’école ou au travail, des problèmes de sommeil, de la détresse psychologique et des problèmes de fonctionnement général peuvent être associés au développement de l’UPRS (Banyai et al., 2017; Ryan et al., 2014). Au Québec, 17,6 % des adolescents seraient considérés comme à risque d’entretenir une UPRS, c’est-à-dire qu’ils vivent des méfaits importants en lien avec leur utilisation d’Internet. Au Canada, c’est 6,71 % des jeunes qui présenteraient une utilisation problématique nécessitant probablement une intervention (Boer et al., 2020). Comme on l’observe ailleurs dans le monde, les filles seraient davantage touchées par l’UPRS (Lavoie et al., 2023 ; Su et al., 2020). À l’instar des autres dépendances, l’utilisation problématique des réseaux sociaux serait associée à plusieurs troubles comorbides, dont le TDAH (Hussain et Griffiths, 2021), la dépression (Keles et al., 2020) et l’anxiété (Lavoie et al., 2023).
Les liens possibles entre l’utilisation problématique des réseaux sociaux et l’anxiété
Alors que plusieurs études suggèrent un lien entre les symptômes anxieux et l’UPRS (Shannon et al., 2022), des travaux récents effectués auprès de 3 000 jeunes Québécois permettent de constater que cette association est plus spécifique qu’il n’y paraît (Lavoie et al., 2023). De fait, lorsque les symptômes du trouble d’anxiété généralisée (TAG) et ceux du trouble d’anxiété sociale (TAS) sont étudiés en même temps, seule l’influence du TAG serait associée à l’UPRS (Lavoie et al., 2023). Ainsi, vivant des inquiétudes excessives, les jeunes présentant des symptômes d’anxiété généralisée pourraient chercher de la sécurisation auprès de leurs pairs en ligne (Billieux et al., 2015 ; Elhai et al., 2020). La messagerie instantanée et la sollicitation de j’aime pourraient permettre de répondre immédiatement à leur besoin de réconfort (Elhai et al., 2019). Cette recherche de validation serait renforcée par la diminution de l’anxiété qui s’ensuit, et qui encourage les adolescents à s’engager dans ce type de comportement plus fréquemment. De plus, déjà enclins à l’évitement expérientiel (Buhr et Dugas, 2012 ; Mellick et al., 2019), les jeunes vivant avec un TAG pourraient avoir recours au divertissement offert sur les réseaux sociaux afin d’éviter ou d’oublier leurs nombreuses inquiétudes, augmentant ainsi leur risque de développer une UPRS.
Quel traitement s’offre à ces jeunes?
Malgré l’absence d’une reconnaissance officielle du diagnostic de trouble d’utilisation des réseaux sociaux, le gouvernement du Québec a inclus ce problème dans son Plan d’action interministériel en dépendance 2018-2028 (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2018). Ce problème, compris dans le vocable parapluie de cyberdépendance, est aujourd’hui considéré comme suffisamment important pour que différentes stratégies préventives et curatives soient mises en place au Québec. À titre d’exemple, une campagne de prévention universelle sociétale intitulée « Pause ton écran » se déroule depuis 2018 (pausetonecran.com) (Dufour et al., 2022). Cette campagne, subventionnée par le MSSS, propose de nombreux documents et outils de vulgarisation et de réflexion gratuits sur l’utilisation des écrans, pour les jeunes, leurs parents et les intervenants.
En ce qui a trait au traitement, ce sont les centres de réadaptation en dépendance (CRD) qui ont le mandat d’intervenir auprès des jeunes présentant une UPRS (MSSS, 2018). En guise de soutien dans ce mandat, un projet d’implantation d’une intervention « manualisée », l’intervention Virtu-A, est présentement en cours (Dufour et al., 2022). Pionnière au Québec, cette intervention, d’influence cognitive-comportementale, a été développée en intégrant les spécificités associées à la fois aux réseaux sociaux et aux jeux vidéo. L’intervention Virtu-A s’adresse aux 15-25 ans et comprend huit modules permettant de travailler les multiples enjeux associés à la dépendance aux réseaux sociaux. Outre un travail important sur la gestion du temps d’écran et celui consacré aux loisirs, cette intervention s’attache, lorsque c’est pertinent, à la motivation au changement, à la régulation émotionnelle, aux relations interpersonnelles et au développement de nouvelles stratégies de coping. Les prochaines années permettront d’évaluer la pertinence de cette intervention.
Ainsi, l’UPRS est un problème récent qui affecte plusieurs jeunes. Parmi les adolescents les plus à risque de présenter une utilisation problématique se trouvent ceux qui présentent également un trouble d’anxiété généralisée. L’évitement fréquent fait par les personnes présentant un TAG, leur difficulté à tolérer l’incertitude et leur besoin d’être rassurées augmenteraient leur risque d’avoir recours aux réseaux sociaux et d’en faire une utilisation compensatoire. Afin de les aider, différents programmes de prévention et d’intervention sont présentement mis en œuvre au Québec. Toutefois, des travaux de recherche portant à la fois sur l’efficacité des interventions et sur les effets à long terme des réseaux sociaux devront être réalisés afin d’augmenter notre compréhension de ce phénomène complexe.
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Bibliographie
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