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Douance et talents à l’école

Dr Jacques F. Richard, psychologue et auteur invité
Le Dr Richard est professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université de Moncton. Psychologue et ancien président du Collège des psychologues du Nouveau-Brunswick, il a œuvré en tant que conseiller-expert auprès des ministères de l’Éducation et de la Santé du Nouveau-Brunswick. Il a notamment effectué des études postdoctorales au Colorado auprès de la Dre Linda Silverman, experte de renommée internationale dans le domaine de la douance intellectuelle.


Historiquement, il existe de nombreuses définitions et conceptualisations des élèves doués et talentueux (ex. : Marland, 1972; Renzulli, 1986; Sternberg, 2000; Terman, 1925). Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’opérationnalisation d’une définition de la douance est difficile, mais l’une d’elles est sans doute le fait que la douance est un concept qui doit se définir par un consensus entre personnes et que ce consensus peut fluctuer selon le temps, l’endroit et la culture (Davidson, 2000).

Nombreux sont les districts scolaires, provinces et États, au Canada et ailleurs, qui ont adopté leur propre définition de la douance. Par exemple, le ministère de l’Éducation de l’Ontario définit l’élève doué comme « l’enfant d’un niveau intellectuel très supérieur à la moyenne, qui a besoin de programmes d’apprentissage beaucoup plus élaborés que les programmes réguliers et mieux adaptés à ses facultés intellectuelles », tandis que selon le ministère de l’Éducation de l’Alberta, « la douance est une aptitude ou un rendement exceptionnel à l’égard d’un large éventail d’habiletés dans un ou plusieurs de ces domaines : l’aptitude à l’intelligence générale, l’aptitude scolaire, la pensée créatrice, les relations sociales, l’aptitude musicale, les talents artistiques et les talents kinesthésiques ». Des exemples semblables peuvent être trouvés dans les politiques de plusieurs autres provinces ou districts scolaires canadiens.

La définition du Québécois Françoys Gagné est reconnue internationalement et a été adoptée comme définition officielle de la douance et du talent par les districts scolaires de certains pays, par exemple celui de New South Wales en Australie :

La douance désigne la possession et l’utilisation d’habiletés naturelles remarquables, appelées aptitudes, dans au moins un domaine d’habileté (intellectuel, créatif, social, perceptuel ou moteur), à un degré tel qu’elles situent l’individu au moins parmi les 10 % supérieurs de ses pairs en âge. Le terme talent désigne la maîtrise remarquable d’habiletés systématiquement développées appelées compétences (connaissances et habiletés pratiques), dans au moins un champ de l’activité humaine (scolaire, arts, sports, etc.), à un niveau tel que l’individu se situe parmi les 10 % supérieurs de ses pairs en âge, actifs ou ayant été actifs dans ce champ.
(Gagné, 2003).

La question de la prévalence est centrale à la définition de douance, en ce sens que la douance est un concept normatif plutôt que dichotomique. En effet, l’élève doué ou surdoué se distingue d’abord par le fait qu’il diffère de la norme. Jusqu’à quel point un enfant doit-il différer de la norme (en matière d’habiletés intellectuelles ou académiques) avant d’être considéré comme étant doué? Selon Gagné, cette question est importante pour des raisons théoriques, politiques et pratiques. D’abord, la question de la prévalence est importante pour des raisons théoriques, puisqu’une définition opérationnelle de n’importe quel concept normatif (tel que l’obésité, l’hypercholestérolémie, la richesse, la déficience intellectuelle, etc.) doit comprendre des critères précis d’inclusion ou d’exclusion. Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit le surpoids comme un indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 25 et l’obésité comme un IMC égal ou supérieur à 30, tout en reconnaissant que lorsque l’IMC est supérieur à 20 il existe un risque croissant de maladies chroniques (WHO, 2000).

L’obésité n’est donc pas un concept dichotomique (soit on est obèse ou soit on ne l’est pas), mais plutôt un concept normatif qui a été défini de façon opérationnelle par l’OMS dans le but de faciliter la communication à propos du concept, ainsi que les efforts de recherche, de prévention et de traitement. La motivation sous-jacente à cette opérationnalisation du concept est le fait qu’il existe des problèmes de santé importants qui augmentent en gravité à mesure que l’IMC diverge de la valeur de 20. Selon les données à sa disposition, l’OMS a déterminé qu’un IMC de 25 était suffisamment différent de 20 et suffisamment associé à des problèmes de santé pour justifier la création d’une première catégorie (surpoids).

De la même façon, un IMC de 30 était suffisamment différent de 25 et entraînait des problèmes de santé suffisamment différents de ceux retrouvés chez les personnes ayant un IMC situé entre 25 et 30 pour justifier la création d’une seconde catégorie (obésité).

De la même façon, le concept de douance n’est pas dichotomique (soit on est doué ou soit on ne l’est pas), mais il repose plutôt sur la comparaison avec le groupe normatif. Historiquement, plusieurs auteurs ont offert des recommandations pour une classification d’élèves doués, variant entre l’obtention de scores au 80e et au 99e percentile sur un test d’intelligence, les deux extrêmes étant Renzulli (1986) et Terman (1925). Selon le modèle de Gagné, les personnes qui appartiennent au 10 % supérieur d’un groupe de référence approprié reçoivent l’étiquette « doué » (habiletés naturelles) ou « talentueux » (habiletés systématiquement développées).

De plus, Gagné propose cinq niveaux hiérarchiques, chacun composé du 10 % supérieur du niveau précédent. Les cinq niveaux se nomment respectivement douance (ou talent) léger (10 % supérieur), modéré (1 % supérieur), élevé (1 : 1 000), exceptionnel (1 : 10 000), et extrême ou profond (1 : 100 000). Ce système de classification s’applique à tout domaine de douance et tout champ de talent. En raison de corrélations relativement faibles entre les domaines de douance, les individus doués ne sont pas nécessairement les mêmes d’un domaine à l’autre. Par conséquent, le nombre total de personnes douées et talentueuses dépasse le seuil de 10 %.

Bien qu’il existe une grande diversité dans les traits de personnalité, les attitudes, les habiletés sociales et émotionnelles, les motivations et les intérêts des enfants doués, certaines caractéristiques générales se retrouvent fréquemment chez cette population, tels la curiosité, le sens de l’humour, l’intérêt pour les activités et jeux compliqués, la tendance à remettre en question les connaissances ou idées qui leur sont présentées, ainsi que la tendance à être intense et sensible. Selon le groupe de Columbus (1991), la douance est principalement le résultat d’un « développement asynchrone » chez l’enfant. Alberta Learning (2002) reprend et traduit la définition du groupe de Columbus :

La douance est un développement asynchrone dont les aptitudes cognitives avancées et l’intensité accrue s’associent pour créer des expériences et une sensibilisation qualitativement différentes de la norme. Cette asynchronie augmente lorsque la capacité intellectuelle est élevée. Le caractère unique des doués les rend particulièrement vulnérables et requiert des changements quant au rôle parental, à l’enseignement et au counseling afin qu’ils puissent s’épanouir pleinement.

Il existe donc plusieurs facteurs qui rendent les enfants doués à risque de problèmes émotionnels et comportementaux, tels que l’impatience avec les tâches faciles, le fait de se sentir différent des autres, le fait de ne pas se sentir compris par les autres, une incompatibilité entre leurs habiletés et leur environnement scolaire et leur développement asynchrone (Neihart, Pfeiffer et Cross, 2016). De plus, les enfants doués présentent habituellement une forme d’hypersensibilité (concept formulé par Dabrowski et présenté, entre autres, par Piechowski, 2006), soit sur le plan psychomoteur, sensoriel, intellectuel, imaginatif et/ou émotionnel.

Selon Winebrenner (2008), « aujourd’hui, la surexcitabilité est considérée comme un signe de douance ou précocité intellectuelle et l’un des nombreux éléments permettant de dépister un enfant doué et talentueux… Les théories de Dabrowski nous permettent de comprendre à quel point il peut être éprouvant de vivre avec des enfants doués et talentueux ou de leur enseigner ». Selon Alberta Learning (2002), « la sensibilité affective et l’intensité, parfois évidentes et parfois cachées, sont deux caractéristiques qui permettent de distinguer la plupart des élèves doués, qui sont responsables de leur vulnérabilité à l’enfance et qui leur attirent des ennuis à l’école ».

En matière d’habiletés intellectuelles, l’enfant doué qui possède une intelligence supérieure à 99 % des autres enfants de son âge est autant différent de l’enfant moyen (50e percentile) que ce dernier est différent de l’enfant au 1er percentile souffrant d’un trouble du développement intellectuel léger. Il peut souvent manifester, par exemple, des comportements dérangeants ou impulsifs en salle de classe lorsque le rythme d’enseignement n’est pas adapté à son rythme d’apprentissage. Il arrive assez souvent qu’un enfant doué soit identifié à tort comme souffrant d’une psychopathologie, telle que le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (Webb et coll., 2016).

Bien sûr, il est possible pour un enfant doué de souffrir réellement d’une psychopathologie et une évaluation psychologique complète (comprenant typiquement des entrevues cliniques, des observations, une analyse du dossier scolaire, des questionnaires, ainsi que des tests d’intelligence, de rendement scolaire, d’habiletés cognitives, etc.) devrait pouvoir clarifier les diagnostics appropriés. Les élèves doublement exceptionnels sont des élèves doués (en intelligence, en pensée abstraite, en créativité, etc.) qui satisfont également aux critères pour un trouble neurodéveloppemental, tel que le trouble d’apprentissage spécifique, le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, le trouble du spectre de l’autisme, etc.

Selon Winebrenner (2008), il est estimé que de 10 % à 30 % des élèves doués ont un trouble d’apprentissage. Ces élèves, qui sont plus rarement identifiés par le personnel scolaire en tant qu’élèves doués, sont particulièrement à risque de manifester des problèmes émotionnels et comportementaux. Les interventions pour ces élèves doivent prendre en considération à la fois leurs forces, leurs intérêts et leurs défis.

Les experts s’entendent pour recommander des modifications dans le curriculum scolaire des élèves doués. Les enfants doués nécessitent qu’un sens soit donné à leur apprentissage. Généralement, ils travailleront volontiers sur des exercices qu’ils perçoivent comme étant pertinents vers l’accomplissement d’un but quelconque (par exemple, accomplir un projet qui dure quelques mois et qui englobe plusieurs objectifs d’apprentissage au lieu d’une série d’exercices distincts les uns des autres). De plus, les enfants doués apprennent mieux en répétant moins : la répétition d’exercices et de travaux peut mener à un désintérêt pour le travail scolaire, des erreurs d’inattention, du travail de pauvre qualité et éventuellement un risque de décrochage.

Selon certaines études, l’enseignant moyen enseigne sa matière à un rythme idéal pour l’élève se situant au 25e percentile (Reis et coll., 1993). L’enfant doué étant généralement situé entre le 90e et le 99,9e percentile, il est facile de comprendre (comme mentionné par Gagné, 2003), comment le rythme d’apprentissage trop lent, y compris les nombreuses révisions et répétitions, peut entraîner de l’ennui et des frustrations chez l’élève doué. Selon Tolan (cité dans Terrassier et Gouillou, 2016), « l’esprit d’un surdoué peut gérer des grandes quantités d’informations, et la complexité leur profite. Donner à ces enfants de simples unités d’informations est l’équivalent de nourrir un éléphant brindille d’herbe par brindille d’herbe. Il va mourir de faim avant même de remarquer que quelqu’un essaie de le nourrir. »

Selon Alberta Learning (2002), les élèves doués « nécessitent la mise en place de programmes et de services éducatifs particuliers, qui dépassent ceux offerts par la programmation régulière dans le but de leur permettre de se réaliser et d’apporter leur contribution à la société ». Il existe au sein de la littérature (voir ex. : Winebrenner, 2008) une panoplie de suggestions d’interventions et d’adaptations scolaires pour les élèves doués (ex. : la différenciation scolaire, l’accélération, l’approfondissement, l’enrichissement).

Selon Silverman (1990), les besoins en différentiation scolaire augmentent à mesure qu’un élève s’éloigne de la norme. Elle offre à titre d’exemple le fait qu’un enfant ayant des capacités intellectuelles de trois écarts-types sous la moyenne ne peut pas bénéficier d’une participation dans un groupe d’enseignement coopératif au sein d’une salle de classe hétérogène. Elle ajoute que ceci est également vrai pour l’enfant ayant des capacités intellectuelles de trois écarts-types au-dessus de la moyenne.

La plupart des experts (y compris Rogers, 2002, dans sa revue complète des études empiriques sur l’efficacité des diverses méthodes d’intervention auprès des élèves doués) soulignent l’importance d’individualiser les interventions selon les besoins de l’élève et les ressources de l’école. Une intervention qui serait efficace dans un contexte pourrait ne pas l’être dans un autre contexte.

La mise en place d’un plan d’intervention pour chaque élève doué permet :

  • a) d’assurer la communication entre professionnels impliqués dans le dossier d’une année à l’autre;
  • b) d’ajuster le programme de l’élève en fonction de ce qui marche et ce qui ne marche pas;
  • c) d’assurer que les services continuent d’être offerts à mesure que le dossier change de mains;
  • d) d’éviter la répétition des apprentissages.

Évidemment, l’équipe scolaire responsable de la gestion du plan d’intervention aurait la liberté d’y inclure une combinaison d’interventions et d’adaptations scolaires. L’efficacité et la pertinence de celles-ci devraient être évaluées de façon périodique et le plan d’intervention mis à jour sur une base régulière.

Bibliographie

  • Alberta Learning. (2002). Enseigner aux élèves surdoués et talentueux. Columbus Group. (1991). Unpublished transcript. Columbus, Ohio.
  • Davidson, J.E. (2000). Giftedness. Dans A.E. Kazdin (dir.), Encyclopedia of psychology (p. 494-498). Washington, D.C.: American Psychological Association and Oxford University Press.
  • Gagné, F. (2003). Transforming gifts into talents: The DMGT as a developmental theory. Dans N. Colangelo et G. A. Davis (dir.), Handbook of Gifted Education, (3e éd., p. 60-74). Boston : Allyn & Bacon.
  • Marland, S. P. (1972). Education of the Gifted and Talented, Volume I — Report to the Congress of the United States. Washington, DC: Government Printing Office.
  • Neihart, M., Pfeiffer, S., et Cross, T. (dir.) (2016). The Social and Emotional Development of Gifted Children: What Do We Know? (2e éd.), Waco, TX: Prufrock Press.
  • Piechowski, M. (2006). “Mellow out”, they say. If only I could: Intensities and sensitivities of the young and bright. Madison, WC: Yunasa Books.
  • Reis, S. ,Westberg, K., Kulilowich, J., Caillard, F., Hébert, T., Plucker, J., et coll. (1993). Why Not Let High Ability Students Start School In January? The Curriculum Compacting Study. Storrs, CT: The National Research Center of the Gifted and Talented.
  • Renzulli, J. S. (1986). The three-ring conception of giftedness: A developmental model for creative productivity. Dans R. J. Sternberg et J. E. Davidson (dir.), Conceptions of Giftedness (p. 53-92). New York: Cambridge University Press.
  • Rogers, K. (2002). Reforming Gifted Education. Scottsdale, AR: Great Potential Press.
  • Silverman, L. K. (1990). Scapegoating The Gifted: The New National Sport. Unpublished manuscript.
  • Sternberg, R. (2000). Handbook of intelligence. New York: Cambridge University Press.
  • Terman, L. M. (1925). Genetic Studies Of Genius: Vol. 1. Mental And Physical Traits Of A Thousand Gifted Children. Stanford, CA: Stanford University Press.
  • Terrassier, J.-C., et Gouillou, P. (2016). Guide pratique de l’enfant surdoué. (11e éd.), Issy-les-Moulineaux : ESF Éditeur.
  • Webb, J., Amend, E., Beljan, P., Webb, N., Kuzujanakis, M., Olenchak, R., et Goerss, J. (2016). Misdiagnosis and Dual Diagnoses of Gifted Children and Adults: ADHD, Bipolar, OCD, Asperger’s, Depression, and Other Disorders(2e éd.), Scottsdale, Az: Great Potential Press.
  • WHO (2000). Obesity: preventing and managing the global epidemic. Report on a WHO Consultation on Obesity, Geneva, 3–5 June, 1997. WHO/NUT/NCD/98.1. Technical Report Series Number 894, World Health Organization, Geneva.
  • Winebrenner, S. (2008). Enseigner aux enfants doués en classe régulière. Montréal : Chenelière Éducation.