Agrégateur de contenus

Dr Jacques Forest, psychologue : cultiver l’être humain

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine


Professeur en comportement organisationnel à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM) et auteur de nombreux articles portant entre autres sur les motivations au travail, Jacques Forest s’intéresse aux façons de concilier la performance et le bien-être au travail de façon durable.

Son boulot consiste, en outre, à trouver des moyens d’accroître l’espace d’autonomie des individus dans des organisations modernes pour leur permettre de s’épanouir aisément. À l’évidence, le Dr Forest aime les gens. « Comme psychologue, je me vois un peu comme un jardinier d’êtres humains. »

L’an dernier, il a participé à la rédaction de l’ouvrage collectif Libérer la motivation avec la théorie de l’autodétermination. Cette publication a aussitôt été encensée. « Ce que j’aime de la théorie de l’autodétermination, explique-t-il, c’est qu’elle offre une analyse englobante de la motivation humaine. On ne force personne à être motivé. Mais on suggère des avenues pour devenir efficace qui sont liées aux besoins psychologiques innés des êtres humains. »

De l’univers du sport à celui du travail

Avant de devenir une référence en psychologie organisationnelle, le Dr Forest a amorcé sa carrière dans le domaine de la psychologie sportive. D’ailleurs, souligne-t-il, la psychologie du travail et la psychologie sportive ont des objectifs connexes, « soit de prendre un individu ou une équipe, et de mettre en place les conditions permettant de favoriser leur développement ».

Le Dr Forest a lui-même disputé des compétitions de snowboard durant sa jeunesse. Pour lui, le sport est un laboratoire idéal pour tester les effets de l’émotion positive dans l’exécution de nos performances. À preuve, la pratique de la planche à neige lui a appris l’importance du flow, qui peut nous permettre d’oublier tout ou presque, hormis l’intense joie et le bonheur auxquels le planchiste peut accéder en dévalant les versants d’une montagne. Le Dr Forest a d’ailleurs voulu en faire le sujet de ses recherches : il a ainsi entrepris des études supérieures en sciences de l’activité physique, option psychologie du sport, à l’Université de Montréal avec le professeur Claude Sarrazin, psychologue émérite et lauréat du Prix professionnel de l’Ordre, qu’il qualifie de « figure marquante de [s]on existence ». Dans ses expériences en psychologie sportive, le Dr Forest a notamment été impliqué avec l’équipe féminine de ski acrobatique aux Jeux olympiques et a contribué au succès du Canada sur la scène internationale sportive.

Un virage inattendu

Grâce au Dr Sarrazin et à « sa vision globale de l’être humain », les intérêts de Jacques Forest ont progressivement basculé vers la psychologie des organisations, et ce, malgré son profond intérêt pour la psychologie sportive. Pour son doctorat, il a choisi Estelle Morin, psychologue et professeure à HEC Montréal, comme codirectrice, afin d’avoir un duo de superviseurs. Par ailleurs, un test auquel il s’est soumis en 2004 l’a interpellé de façon toute particulière et a participé également au rêve d’une nouvelle carrière : celui de devenir professeur et chercheur en psychologie organisationnelle.

Le Dr Forest explique en quoi consistait le fameux test qui allait contribuer à ce changement de trajectoire. « Des questionnaires avaient été développés pour identifier les aptitudes ou forces naturelles les plus importantes, soit les forces signatures que nous avons avantage à utiliser dans la sphère professionnelle ou privée. » Différentes des talents, ces forces renvoient aux dimensions positives propres à chaque individu, par exemple l’intelligence sociale, le discernement, l’humour, la curiosité, le courage ou l’honnêteté.

L’approche par les forces, par opposition à celle par les faiblesses ou les déficits, est une façon novatrice et efficace de stimuler les personnes travaillant au sein des organisations. Pour Jacques Forest, cette façon de concevoir la psychologie des travailleurs était non seulement riche, mais porteuse de sens. C’est alors qu’il a décidé d’entreprendre un postdoctorat en psychologie du travail, supervisé par la Dre Marylène Gagné.

Le Dr Forest, qui est également conseiller en ressources humaines agréé, multiplie depuis les réalisations professionnelles. Il a été invité plusieurs fois à titre de conférencier, notamment à Paris pour l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, à Toronto pour le Conference Board of Canada, à une conférence TED à Montréal, en plus d’être fréquemment sollicité pour des entrevues dans les médias québécois.

Partisan du revenu universel

Durant notre entretien, le Dr Forest me fait part de ses réflexions quant à notre rapport à l’argent et aux récompenses, indissociable de l’univers du travail comme du sport de haut niveau. L’individu cherche bien souvent à performer, à valoriser son égo, notamment par l’argent, résume le Dr Forest. « Dans le discours capitaliste agressif, résume-t-il, on relie notre estime de soi à la quantité d’argent qu’on possède, on veut plus de cash que notre voisin. Or, ces motivations finissent, tôt ou tard, par être dommageables, autant pour soi que pour les autres. » Dans ce contexte, le Dr Forest rappelle qu’au-delà d’un certain seuil, une augmentation de salaire ne rend pas plus heureux. Il est également du côté de ceux qui souhaiteraient voir s’établir un revenu universel inconditionnel.

Épris d’équité et de justice, il s’indigne doucement : « Est-ce qu’il faut être idéaliste pour se préoccuper du sort d’une société où un concierge fait dix mille fois moins que son patron? »

La motivation, d’abord et avant tout

Comme aucun milieu de travail n’est parfait, j’ai voulu demander au Dr Forest quels étaient les éléments qui pouvaient le contrarier dans son environnement de travail. Spontanément, il nomme quelques irritants : « Les comités qui n’ont aucun sens, les réunions qui ne débouchent sur rien, les subventions pour lesquelles il faut se battre, la concurrence de nos pairs un peu partout sur la planète… »

Mais le Dr Forest persiste et signe, et rappelle qu’en matière de satisfaction et de bien-être dans la sphère professionnelle, la qualité de la motivation prévaut, et insiste sur son aspect fondamental. « Dans notre milieu de travail, la motivation est la clé de nos vies. Tout part de là. Il faut seulement se sentir compétent, à la bonne place et bien entouré », résume l’utopiste intellectuel.