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Être parent à l’ère de la parentalité de performance

Dre Lory Zephyr, psychologue 

Auteure et conférencière, elle a cofondé la plateforme Ça va maman?, qui vulgarise la psychologie périnatale, la santé mentale parentale et l’attachement parent-enfant. 

 


Les parents défilent dans nos cabinets au gré de l’évolution de leurs trimestres de grossesse, des réveils nocturnes de leurs bébés et des poussées dentaires. Pour certains, la culpabilité et la pression qu’ils peuvent ressentir dans leur rôle parental semblent à l’avant-plan : « Et si je n’en faisais pas assez? Je veux tellement m’assurer que mon enfant se développe bien et qu’il a le meilleur! »

La majorité des parents ont à cœur d’offrir ce qu’il y a de mieux à leur enfant. Dans une trajectoire normative, ils sont impliqués dans la vie de leur enfant, l’aident à faire face aux défis du quotidien et lui fournissent des limites appropriées (Darling et al., 2006).

D’un côté de ce continuum se trouvent les parents dont l’absence d’implication, de soutien et d’encouragement affecte négativement le développement des enfants (Patock-Peckham et Morgan-Lopez, 2006; Wisherth et al., 2016). À l’opposé, l’hyperparentalité réfère aux parents qui ont de bonnes intentions, mais qui expriment des comportements envers leur enfant de façon surinvestie (Gagnon, 2019; Segrin et al., 2012). Les « hyper » parents cherchent à offrir une attention et une stimulation constantes à leur enfant afin de créer un environnement centré sur ce dernier. Ils souhaitent, à divers degrés de conscience, obtenir des résultats optimaux dans les sphères intellectuelles, sociales et émotionnelles de leur enfant (Schiffrin et al., 2015).

Tout comme les comportements d’absence d’investissement, ceux d’implication excessive ont des effets négatifs, soutient la recherche, sur le développement de l’enfant (LeMoyne et Buchanan, 2011; Schiffrin et al., 2014; Wong et al., 2018). En effet, l’enfant qui grandit avec un hyperparent éprouve souvent des difficultés sur le plan de l’autonomie, de la confiance en soi et des habiletés sociales (Hong et al., 2015).

Considérant ces résultats, comment comprendre cette posture qu’adoptent certains parents? Il arrive que l’hyperparentalité s’inscrive dans un contexte où les enfants vivent avec des difficultés développementales importantes (Gagnon, 2019). Selon Gagnon, dans ce contexte, le surinvestissement du parent peut s’avérer normal et même utile pour pallier les défis de l’enfant.
Toutefois, pour plusieurs hyperparents de la population normative, ces comportements reposent davantage sur la perception que leur enfant est trop vulnérable face à l’environnement dans lequel il se trouve (Schiffrin et al., 2015). Ils conçoivent alors que leur implication excessive est essentielle pour favoriser le développement optimal de leur enfant (Schiffrin et al., 2015).

Un lien avec l’anxiété de performance?

L’American Psychological Association rapporte que l’anxiété de performance se définit comme la peur ou l’appréhension des conséquences d’être incapable d’accomplir une tâche ou encore de réaliser une tâche à un degré qui aura l’effet d’augmenter les attentes visant à l’accomplir encore mieux par la suite (APA, 2020). 

Les études sur l’anxiété de performance se sont surtout penchées sur les domaines musical (Spahn, 2015; Altenmüller et Ioannou, 2016), sportif (Smith et al., 2006; Patel et al., 2010) et scolaire (Wigfield et al., 2015; Olness, 2009). Par exemple, pour Spahn (2015), les cognitions ou les inquiétudes typiques ressenties en réponse à une demande de performer incluent :

• L’inquiétude de ne pas être en mesure de performer de façon parfaite;
• La peur de faire une erreur;
• L’appréhension d’être négativement évalué par les autres;
• La surestimation de la probabilité des conséquences d’une évaluation négative de la performance;
• L’auto-évaluation négative, par rapport à ses propres normes élevées, de la performance.

Si l’anxiété de performance n’est pas étudiée spécifiquement sous l’angle de la parentalité, d’autres concepts traduisent bien cette pression que portent les parents de réussir. « Parentalité (ou maternité) intensive » (Hays, 1996), « parent hélicoptère » (Segrin et al., 2020) et « parents tigres » (Tam et al., 2018) sont des termes qui gravitent autour de la parentalité de performance. En clinique, les parents qui penchent vers l’hyperparentalité peuvent aussi utiliser de façon extrême l’interprétation de la parentalité positive (Sanders, 2012) ou du maternage de proximité (Sears, 2001). Si certaines caractéristiques personnelles du parent sont associées à la présence d’hyperparentalité, comme l’anxiété et les regrets de vie (Segrin et al., 2012), le rôle des médias sociaux et la désinformation qui y circule pourraient-ils y contribuer? C’est ce que suggère l’étude de Chae (2015), qui observe que la parentalité de performance, plus précisément celle des mamans, est corrélée à l’exposition de contenu de mères célèbres.

Un retour au parent suffisamment bon?

Pour un clinicien, cette sensibilisation à ces courants dans la parentalité est importante, car, comme l’a rapporté Hays (1996), ils prédominent dans notre société actuelle. La forte présence de contenus, provenant d’experts ou non, sur les médias sociaux pourrait-elle contribuer à la confusion, au doute et à la pression parentale, et ce, dès la grossesse?

Winnicott (2006) sensibilise les parents sur le fait qu’un bébé se développe bien lorsqu’il grandit dans un environnement social, biologique et psychique satisfaisant. Ainsi, lorsque ces qualités sont réunies, les carences partielles de l’environnement, volontaires ou non, deviennent des facteurs d’autonomie (Winnicott, 2006). C’est dans cette optique qu’il valorise la mère suffisamment bonne et non la mère trop bonne.

Quelques pistes d’intervention peuvent être intéressantes pour accompagner les parents qui correspondent à divers degrés d’hyperparentalité. Une psychothérapie individuelle ou un coaching parental en couple peut offrir un espace sécurisant pour réfléchir aux angoisses sous-jacentes à cette parentalité de performance. Encourager le parent vers le « suffisamment bon », et ainsi comprendre la richesse des apprentissages à travers les carences de l’environnement de l’enfant, peut contribuer à une meilleure santé psychologique pour soutenir la relation parent-enfant. Finalement, l’espace thérapeutique peut aider les parents à investir les différents rôles de leurs vies de façon équilibrée.

Les programmes d’intervention relationnelle de type Watch, Wait & Wonder (Jonhson et al., 1980) sont également intéressants à considérer puisqu’ils ont pour objectif d’augmenter la sensibilité parentale et d’aider à diminuer l’anxiété parentale. Ces éléments sont bénéfiques pour les hyperparents (Spada et al., 2012; Gagnon, 2019). Le parent peut ainsi apprendre à mieux observer, à reconnaître l’état de son enfant et à répondre de façon adéquate à ses besoins lorsqu’ils sont exprimés.

À l’ère des médias sociaux, les psychologues peuvent également intervenir auprès des hyperparents pour les aider à mieux prendre conscience des liens entre leur santé numérique et leur santé psychologique.
 

Références

Altenmüller, E. et Ioannou, C. (2016). Music performance. Performance Psychology, 103-119.10.1016/B978-0-12-803377-7.00007-7.

APA. (2020). Anxiety performance. Dictionary of Psychology. https://dictionary.apa.org/performance-anxiety

Chae, J. (2015). "Am I a better mother than you?": Media and 21st-century motherhood in the context of the social comparison theory. Communication Research, 42(4), 503-525. https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.1177/0093650214534969

Darling, N., Cumsille, P., Caldwell, L. L. et Dowdy, B. (2006). Predictors of adolescents’ disclosure to parents and perceived parental knowledge: Between- and within-person differences. Journal of Youth and Adolescence, 35(4), 667-678. https://doi.org/10.1007/s10964-006-9058-1

Gagnon, R. J. (2019). Examining overparenting, socioeconomic status, and parental out-of-school time experience: Does socioeconomic status and out-of-school-time experience matter? Children and Youth Services Review. https://doi.org/10.1016/j.childyouth.2019.04.003

Hays, S. (1996) The Cultural Contradictions of Motherhood. New Haven and London : Yale University Press.

Hong, J. C., Hwang, M. Y., Kuo, Y. C. et Hsu, W. Y. (2015). Parental monitoring and helicopter parenting relevant to vocational student’s procrastination and self-regulated learning. Learning and Individual Differences, 42, 139-146. https://doi.org/10.1016/j.lindif.2015.08.003

Jonhson, F. K., Dowling, J. et Wesner, D. (1980). Notes in infant psychotherapy. Infant Mental Health Journal, 1, 19-33.

LeMoyne, T. et Buchanan, T. (2011). Does “hovering” matter? Helicopter parenting and its effect on well-being. Sociological Spectrum, 31(4), 399-418. https://doi.org/10.1080/02732173.2011.574038

Olness, Karen. (2009). Self-control and self-regulation: Normal development to clinical conditions. Developmental-Behavioral Pediatrics, 453-459, 10.1016/B978-1-4160-3370-7.00046-8.

Patel, D. R., Omar, H. et Terry, M. (2010). Sport-related performance anxiety in young female athletes. Journal of Pediatric and Adolescent Gynecology, 23(6), 325-335. https://doi.org/10.1016/j.jpag.2010.04.004

Patock-Peckham, J. A. et Morgan-Lopez, A. A. (2006). College drinking behaviors: Mediational links between parenting styles, impulse control, and alcohol-related outcomes. Psychology of Addictive Behaviors, 20(2), 117-125. https://doi.org/10.1037/0893-164X.20.2.117

Sanders, M. R. (2012). Development, evaluation, and multinational dissemination of the Triple P-Positive Parenting Program. Annual Review of Clinical Psychology, 8, 345-379.

Schiffrin, H. H., Godfrey, H., Liss, M. et Erchull, M. J. (2015). Intensive parenting: Does it have the desired impact on child outcomes? Journal of Child and Family Studies, 24(8), 2322-2331. https://doi.org/10.1007/s10826-014-0035-0

Schiffrin, H. H., Liss, M., Miles-McLean, H., Gear, K. A., Erchull, M. J. et Tashner, T. (2014). Helping or hovering? The effects of helicopter parenting on college students’ well-being. Journal of Child and Family Studies, 23, 548-557. https://doi.org/10.1007/s10826-013-9716-3

Sears, W. (2001). The Attachment Parenting Book: A commonsense guide to understanding and nurturing your baby. Word Alive.

Segrin, C., Burke, T. J. et Kauer, T. (2020). Overparenting is associated with perfectionism in parents of young adults. Couple and Family Psychology: Research and Practice, 9(3), 181-190. https://doi.org/10.1037/cfp0000143

Segrin, C., Woszidlo, A., Givertz, M., Bauer, A. et Taylor-Murphy, M. (2012). The association between overparenting, parent‐child communication, and entitlement and adaptive traits in adult children. Family Relations, 61(2), 237-252. https://doi.org/10.1111/j.1741-3729.2011.00689.x

Spada, M., Caselli, G., Manfredi, C., Rebecchi, D., Rovetto, F., Ruggiero, G., ...Sassaroli, S. (2012). Parental overprotection and metacognitions as predictors of worry and anxiety. Behavioral and Cognitive Psychotherapy, 40, 287-296.

Spahn, C. (2015). Treatment and prevention of music performance anxiety. Progress in Brain Research, 129-140. https://doi.org/10.1016/bs.pbr.2014.11.024

Smith, R., Smoll, F., Cumming, S. et Grossbard, J. (2006). Measurement of multidimensional sport performance anxiety in children and adults: The sport anxiety scale-2. Journal of Sport & Exercise Psychology, 28, 479-501. https://doi.org/10.1123/jsep.28.4.479

Tam, H.-l., Kwok, S. Y. C. L., Ling, C. C. Y. et Li, C. I.-K. (2018). The moderating effects of positive psychological strengths on the relationship between tiger parenting and child anxiety. Children and Youth Services Review, 94, 207-215. https://doi.org/10.1016/j.childyouth.2018.10.012

Wigfield, A., Eccles, J., Fredricks, J., Simpkins, S., Roeser, R. et Schiefele, U. (2015). Development of achievement motivation and engagement. Dans M. E. Lamb et R. M. Lerner (dir.), Handbook of Child Psychology and Developmental Science: Socioemotional processes (p. 657-700). John Wiley & Sons inc. https://doi.org/10.1002/9781118963418.childpsy316

Winnicott, D. W. (2006). La mère suffisamment bonne. Payot.

Wisherth, G. A., Mulvaney, M. K., Brackett, M. A. et Perkins, D. (2016). The adverse influence of permissive parenting on personal growth and the mediating role of emotional intelligence. The Journal of Genetic Psychology, 177(5), 185-189. https://doi.org/10.1080/00221325.2016.1224223

Wong, R., Ho, F., Wong, W., Tung, K., Chow, C., Rao, N., Chan, K., & Ip, P. (2018). Parental involvement in primary school education: Its relationship with children’s academic performance and psychosocial competence through engaging children with school. Journal of Child and Family Studies, 27, 1544-1555. https://doi.org/10.1007/s10826-017-1011-2