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Identité, discrimination et bien-être des femmes musulmanes arabes et américaines

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un psychologue souhaite mieux comprendre l’identité de femmes musulmanes à la fois arabes et occidentales afin d’adapter ses interventions dans une optique transculturelle.

De nombreuses études en psychologie multiculturelle documentent les répercussions négatives de la discrimination sur l’identité et le sentiment de bien-être des minorités ethniques et raciales, plus spécifiquement des femmes musulmanes arabes et américaines (FMAA). Ce groupe constitue une minorité invisible en raison d’une classification erronée qui les inclut dans le groupe des Caucasiens, ou « Blancs », ce qui empêche ces femmes d’être reconnues comme une minorité distincte aux États-Unis.

Il existe des modèles de traumas raciaux-ethniques cumulatifs découlant de l’augmentation de la discrimination des FMAA et de l’absence de reconnaissance légale de leur statut minoritaire. Ceci peut faire en sorte que ces personnes voient leur expérience minimisée ou leur réalité niée en tant que membres d’un groupe marginalisé. Ce phénomène peut mener à l’internalisation de stéréotypes ou affecter l’estime de soi et le fonctionnement psychologique.

Une étude de Alsaidi et ses collaborateurs (2023) vise à étoffer la documentation portant sur les FMAA en explorant les différents aspects de leur identité ; les types de discrimination dont elles sont victimes ; les effets de la discrimination sur leur fonctionnement psychosocial et identitaire ; et finalement la manière dont elles répondent à ces expériences, à partir d’entrevues semi-structurées menant à une analyse qualitative consensuelle.

Lors de ces entrevues, les participantes s’identifiant comme FMAA expriment d’abord le détail de leur conceptualisation de l’identité raciale, illustrant leur impression de ne pas être perçues ni traitées comme des personnes blanches et, en ce sens, d’être victimes de discrimination en plus de vivre un sentiment de confusion quant à la manière dont elles devraient s’identifier. Leur conceptualisation de l’identité ethnique, d’après laquelle elles déterminent qui fait partie du groupe, est également relevée lors de ces entrevues.

Les participantes abordent également leur conceptualisation de l’identité religieuse. Elles nomment leur frustration associée à la conception monolithique de l’islam dans les médias, car il existe dans les faits bien des façons différentes de pratiquer la religion, ainsi que différentes populations. Les participantes indiquent que l’identité religieuse constitue une catégorie centrale définissant leur identité, car elles l’ont choisie, la considèrent comme un guide et un atout. De plus, il s’agit de l’aspect identitaire le plus visible chez elles, par le port du hidjab ou de certains bijoux. On recense aussi dans le cadre de ces entretiens le thème des expériences de discrimination et de stéréotypes, plus spécifiquement en ce qui a trait à la « micro-invalidation », selon laquelle il serait préjudiciable de ne pas jouir d’une catégorie propre parce que cela invaliderait l’expérience des FMAA faisant face à des préjudices.

Les effets de la marginalisation sont aussi traités par les participantes dans le cadre de cette recherche, dont les problèmes de santé mentale découlant de l’internalisation des stéréotypes, ce qui amène certaines participantes à nommer leur difficulté à cultiver leur sentiment d’appartenance nationale et religieuse et d’autres à indiquer qu’elles se remettent en question. On rapporte des éléments de trauma racial, associés à des affects anxio-dépressifs, des attaques de panique, des crises de rage et de colère et une impression de toujours devoir plaire en public pour contrecarrer les biais. Enfin, les participantes nomment des stratégies visant à atténuer les effets de la discrimination telles que l’acceptation de soi pour faire face aux commentaires et aux traitements discriminatoires, le fait de décliner leur identité de manière proactive afin d’éviter toute confusion à propos de leur identité religieuse et ethnique, et l’éducation afin de participer à éradiquer les stéréotypes.

Les auteurs de cette étude mettent en lumière la perception des FMAA à propos de leurs identités raciale, ethnique et religieuse, tout en explorant leur expérience de la discrimination et la manière dont ceci influence leur identité. Il ressort des entrevues menées que le déni du statut minoritaire de ces femmes, de même que la tendance à les considérer comme des femmes blanches, groupe auquel elles ne s’identifient pas, constituent des « micro-invalidations ». Le fait d’exposer des indices de leur religion apparaît pour les FMAA comme un facteur de risque face à la possibilité d’être discriminées. En effet, à l’intersection de multiples identités se trouve le risque de cultiver l’idée que les FMAA sont impuissantes et opprimées, ou encore complices des hommes anti-américains, par exemple. Ceci peut soulever chez les participantes des doutes identitaires, une fragilité du sentiment d’appartenance et des élans de dévalorisation. Finalement, des difficultés sont nommées dans un contexte intragroupe étant donné le défi de développer une identité biculturelle dans un contexte d’expériences de rejet et de conflits internes lorsqu’une identité à la fois américaine et arabe est affichée. La résilience et la force des FMAA sont illustrées par leur capacité à prendre conscience des conséquences des idéologies influençant les standards de beauté et du désir de passer pour une personne blanche. L’estime de soi ressort alors comme étant liée à la fierté culturelle, au fait de s’exprimer et à l’acceptation de soi.

Bibliographie