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La pleine conscience au service des familles d’aujourd’hui

Dre Fabienne Lagueux, psychologue
Psychologue clinicienne auprès des jeunes et professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke; sa recherche porte sur la pleine conscience, le modèle ACT et la notion d’engagement.

 

 

Véronique Parent, psychologue 
Neuropsychologue auprès des jeunes et professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke; sa recherche porte sur la pleine conscience, le TDAH et les difficultés d’apprentissage.


Devant la pandémie qui perdure, les capacités d’adaptation des enfants et des parents sont fortement sollicitées, plaçant chacun devant des défis de taille pour maintenir des relations harmonieuses au sein de la famille (Dunning et al., 2018; Korevaar, 2018; Lupien, 2019; Parent, 2019). Dans un tel contexte, le développement de la pleine conscience (PC)pourrait être une ressource intéressante afin de favoriser l’autorégulation émotionnelle. Bien que la définition de la PC ne fasse pas consensus (Grossman, 2019; Khoury, Grégoire et Dionne, 2020), on s’entend généralement pour dire qu’il s’agit d’un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention de manière intentionnelle et sans jugement sur l’expérience qui se déploie dans le moment présent (Kabat-Zinn, 2003). On assiste, depuis près de vingt ans, à un réel engouement en regard de la PC, et ce, tant auprès des adultes que des jeunes, de même qu’au sein de divers milieux (en contexte clinique ou non clinique, à l’école, en milieu de travail, etc.).

La PC est à l’origine de plusieurs types d’interventions, parmi lesquelles l’intervention de réduction du stress basée sur la PC2 (Kabat-Zinn, 1982) et la thérapie cognitive basée sur la PC(Segal, Williams et Teasdale, 2002). Ces interventions, généralement offertes en groupe, ont connu différentes adaptations en fonction de problématiques spécifiques (par exemple des troubles alimentaires, des troubles de consommation, des maladies physiques graves, etc.). On dénombre aujourd’hui de multiples recensions des écrits et méta-analyses qui témoignent non seulement de la popularité de ces interventions et des travaux de recherche qui en découlent, mais également d’une compréhension grandissante des impacts de la PC et des mécanismes impliqués. Parmi les effets fréquemment rapportés, on souligne l’amélioration générale de la santé physique et du bien-être (Lestage et Xu, 2016; Semple, Lee et Rosa, 2010), la diminution du stress et de l’anxiété (Bouvet, Grignon, Zachariou et Lascar, 2015; Kallapiran, Koo, Kirubakaran et Hancock, 2015; Lee, Semple, Rosa et Miller, 2008; Zoogman, Goldberg, Hoyt et Miller, 2014) et une meilleure régulation émotionnelle (Bögels et Restifo, 2014; Deplus et Lahaye, 2015).

Si l’on reconnaît que la pratique de la PC influence notre manière d’être en relation avec nous-même (en étant dans le moment présent, sans jugement), on peut admettre qu’elle serait susceptible également de teinter notre manière d’être en relation avec les autres (Bögels et Emerson, 2019). Khoury et ses collaborateurs soulèvent en ce sens que la PC « […] implique nécessairement une prise en compte des aspects interpersonnels et sociaux, souvent négligés dans la théorie, la pratique et la recherche » (2020, p. 239). Alors qu’effectivement les premiers travaux de recherche dans le domaine de la PC en soulignaient davantage les bénéfices sur le plan intrapersonnel, force est de constater qu’on assiste au déploiement d’études tentant de mieux comprendre l’impact de la PC sur le plan interpersonnel (dans le cadre, par exemple, des relations parent-enfant ou adolescent, des relations conjugales, des relations entre pairs, de l’alliance thérapeutique, etc.). L’exploration accrue de l’effet de la PC sur des variables telles que l’empathie, la compassion et la gratitude en est aussi une illustration (Bögels et Emerson, 2019; Khoury et al., 2020; Moreira, Potharst et Canavarro, 2019). 

Des interventions spécifiques offertes aux parents, dites de mindful parenting ou de « parentalité attentive » (traduction libre), représentent une mise en application récente de la PC (Bögels, Lehtomen et Restifo, 2010; Bögels, Hellemans, Van Deursn, Römer et Van der Meulen, 2013). La parentalité attentive désigne la capacité à être dans l’instant présent à l’intérieur même de son rôle de parent. La PC vise alors à améliorer chez les parents la conscience face au stress associé à la vie familiale et à diminuer leur niveau de réactivité dans le cadre de la relation parent-enfant (Bögels et al., 2010; Bögels et al., 2013). Nous avons repéré sixrecensions systématiques des écrits ou méta-analyses publiées au cours des six dernières années permettant de faire une synthèse des effets des interventions liées à la parentalité attentive (Anand, Sadowski, Per et Khoury, 2018; Burgdorf, Szabo et Abbott, 2019; Friedmutter, 2015; Haigh, 2018; Townsend, Jordan, Stephenson et Tsey, 2016; Tumthammarong et Pornnoppadol, 2020). Ces travaux de synthèse regroupent chacun de 6 à 25 études évaluatives dont les résultats mettent en évidence des effets positifs en regard de différentes dimensions mesurées (le niveau de PC chez le parent, la régulation émotionnelle, les comportements internalisés et externalisés des enfants, etc.).

C’est en réponse aux besoins manifestés par les parents que nous avons développé, depuis près de dix ans, des groupes de soutien variés basés sur la PC. En effet, déjà avant la pandémie actuelle, les parents rapportaient fréquemment en clinique se sentir dépassés par différents facteurs de stress parmi lesquels des difficultés dans la gestion des routines et des conflits familiaux. Dans la foulée des travaux récents liés à la parentalité attentive, nous avons ainsi pris le pari d’aborder les difficultés vécues au sein de la famille par le biais du développement de la PC chez le parent. Nous avons mis sur pied une intervention de groupe nommée « Parents attentifs » en adaptant un programme créé par Susan M. Bögels et Kathleen Restifo (2014).

Dans le groupe, les parents participants sont invités à expérimenter divers exercices expérientiels et à échanger sur différents sujets touchant la PC et leur rôle de parent. Au cours des trois premières séances, des thèmes liés à la dimension intrapersonnelle de la PC sont présentés. Il s’agit alors de sensibiliser le parent : (1) aux notions de l’automatisme des réactions émotionnelles; (2) à l’importance de l’autocompassion; et (3) à la redécouverte des cinq sens. Ces thèmes représentent en quelque sorte une assise sur laquelle s’appuyer pour cultiver une attitude d’ouverture et d’acceptation pour progressivement développer les capacités liées à la PC. Les parents sont ensuite exposés davantage à la dimension interpersonnelle de la PC, cette fois par les thèmes : (4) choisir de répondre au stress, plutôt que d’y réagir automatiquement et (5) explorer de nouvelles perspectives lors d’un conflit; finalement, le dernier thème est axé sur l’avenir : (6) vivre la fin du groupe et favoriser le maintien de la PC à la suite du groupe.

Il nous a paru important de réserver une place importante au thème de l’autocompassion, et ce, dès les premières séances du groupe (ce qui diffère de la séquence proposée par les auteures du programme original). De surcroît, une attention toute particulière est portée en filigrane lors des séances aux propos des parents, ces derniers étant souvent enclins à porter des jugements plutôt sévères à leur endroit de même que face à leurs capacités de PC. 

Nous procéderons prochainement à l’évaluation des effets de notre intervention. Par ailleurs, les données préliminaires recueillies auprès des parents de façon anonyme semblent jusqu’à maintenant plutôt favorables, tel qu’en témoignent ces quelques propos : « […] mon état d’esprit est complètement différent, j’arrive maintenant à voir autrement, à dédramatiser les situations »; « […] j’arrive à ne plus “dégainer” tout de suite et à écouter »; « […] tout est plus facile quand on arrive à moins se juger » (Parent et Lagueux, 2019). 

Dans le contexte actuel de pandémie, où les parents sont à bout de souffle, nous pensons que de favoriser chez eux le développement d’un regard davantage bienveillant et compatissant ne peut que les soutenir. Ainsi, par la pleine conscience, permettons davantage à chaque parent de devenir à ses propres yeux ce parent… « suffisamment bon ». 


Notes

1 L’expression « pleine conscience », abrégée en « PC », sera utilisée dans ce texte à titre de traduction du terme anglais mindfulness, et ce, bien que certains auteurs préfèrent, en français, utiliser les mots présence attentive.
2 En anglais, cette intervention est appelée mindfulness-based stress reduction, nom qui a donné l’abréviation MBSR.
3 En anglais, cette thérapie est appelée mindfulness-based cognitive therapy, nom qui a donné l’abréviation MBCT.
4 Nous avons exclu de ce nombre les travaux de synthèse qui portaient spécifiquement sur des interventions menées auprès de femmes en cours de grossesse.
5 Il s’agit de services offerts à la Clinique universitaire d’évaluation et d’intervention en enfance et en adolescence (CEIEA) de l’Université de Sherbrooke, située à Longueuil. Pour connaître la tenue d’autres groupes de ce type dans votre région, renseignez-vous auprès du CISSS désigné.
6 Il est à noter que ce groupe n’est toutefois pas recommandé aux parents traversant une crise situationnelle aiguë ou présentant un trouble de santé mentale sévère et non traité.

Bibliographie

Anand, L., Sadowski, I., Per, M. et Khoury, B. (2018, juin). Mindful Parenting: A meta-analysis reviewing outcomes from developmental perspective. Affiche présentée à l’International Congress of Applied Psychology, Montréal, Qc : McGill Mindfulness Research Lab (MMRL).
Bouvet, C., Grignon, C., Zachariou, Z. et Lascar, P. (2015). Liens entre le développement de la pleine conscience et l’amélioration de la dépression et de l’anxiété. Annales médicopsychologiques, revue psychiatrique, 173, 54-59. 
Burgdorf, V., Szabo, M. et Abbott, M. J. (2019, juin). The effect of mindfulness interventions for parents on parenting stress and youth psychological outcomes: A systematic review and meta-analysis. Frontiers in Psychology, 10, 1-26.
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