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Introduction au dossier

Dre Patricia Conrod, psychologue | Experte invitée
Professeure au Département de psychiatrie et d’addictologie à l’Université de Montréal, elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale préventive et toxicomanie, et chercheure au CHU mère-enfant Sainte-Justine de Montréal. Elle est également directrice de la Stratégie en neurosciences et santé mentale de l’Université de Montréal (SENSUM), et codirectrice du Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés (RQSHA). 


Les progrès technologiques et la disponibilité croissante des technologies mobiles numériques ont, en très peu de temps, modifié la façon dont les humains apprennent, interagissent et travaillent au quotidien. Si ces avancées présentent plusieurs avantages manifestes pour l’individu et nombre de communautés, ces technologies – dont les médias sociaux –, commencent à révéler leurs impacts délétères sur la santé mentale de nos populations.

Les médias sociaux jouent à présent un rôle politique et sociétal indéniable. Alors que le contenu diffusé sur les ces plateformes est particulièrement engageant, le contenu publicitaire qu'on y trouve est pour sa part extrêmement difficile à éviter. Ces plateformes rendent également possible le partage de données des utilisateurs, qu'elles soient privées ou non. Le fonctionnement de ces plateformes repose par ailleurs sur des algorithmes jalousement gardés par les géants du Web auxquels ni la population, ni les chercheurs, ne peuvent accéder.

De plus, il existe à ce jour encore trop peu de données à propos de la gestion clinique des problématiques psychologiques liées à l’utilisation problématique de ces plateformes. Il est en effet important de reconnaître que les médias sociaux se sont développés à un rythme sans précédent, de sorte qu’il est encore plus difficile pour les chercheurs et les cliniciens d’étudier l’ensemble de leurs conséquences sur la santé mentale et de proposer des solutions fondées sur des données probantes. Notre profession a besoin d’outils encore mieux adaptés pour étudier, surveiller et comprendre ces nouvelles technologies et leurs conséquences sur le développement du cerveau et sur la santé mentale. Pour découvrir comment les algorithmes façonnent les comportements et les pensées des utilisateurs, nous aurons aussi besoin d’accéder aux données et aux pratiques industrielles des médias sociaux, en plus de formations de pointe permettant d’améliorer encore davantage les connaissances et l’expertise des chercheurs œuvrant dans ce domaine.

Cela est d'autant plus vrai considérant l’impact particulièrement préoccupant de ces plateformes sur les enfants et les adolescents qui sont immergés dans ces technologies. En outre, plusieurs études ont mis en évidence des associations entre une utilisation intensive des médias numériques et leurs impacts sur les processus cognitifs chez les enfants (Beuckels et al., 2021) et les jeunes adolescents (Baumgartner et al., 2018; Soldatova et al., 2019).

La disponibilité accrue du réseau, la capacité de mémoire et la mobilité des appareils numériques ont de plus augmenté la difficulté, pour les individus, jeunes et moins jeunes, de contrôler leur consommation de contenu numérique, en particulier sur les plateformes conçues pour capter leur attention et renforcer leur engagement comportemental. 

La littérature suggère également que les impacts négatifs des médias numériques sur la santé mentale pourraient en outre dépendre des informations partagées sur ces plateformes. Les médias sociaux semblent avoir des répercussions plus importantes sur la santé mentale en façonnant le développement de l’estime de soi et les croyances fondamentales sur le monde, exposant leurs utilisateurs à du contenu mis de l’avant par des algorithmes suggérant du contenu pouvant être biaisé, voire ne reposant sur aucune base factuelle. De plus, le contenu diffusé sur ces plateformes peut sembler encore plus réaliste ou fondé pour certains individus que lorsqu’il provient d’autres formes de médias, notamment parce que sur les médias sociaux, il peut être partagé par des pairs influents.

Dans le cadre de ce dossier thématique, les articles proposés offrent au lecteur une perspective sur les impacts et enjeux psychologiques liés à l’utilisation des médias sociaux et tentent de présenter un état des lieux et des recommandations pratiques sur la gestion clinique de ces problématiques. Les auteures Magali Dufour et Christine Lavoie proposent d’abord un tour d'horizon quant aux problématiques de l’anxiété et de l’utilisation problématique des réseaux sociaux par les jeunes. L'article de l'auteure Jessica Ménard et de ses collègues porte pour sa part sur la surexposition aux images idéalisées dans les médias sociaux et l’émergence d'attitudes et de comportements alimentaires dysfonctionnels. L'auteure Marie-Anne Sergerie met quant à elle en lumière dans son article des études récentes qui suggèrent que nous observons désormais des dépendances technologiques ou une utilisation problématique des médias numériques, présentant de nombreux parallèles avec les troubles liés à l’usage de substances. Enfin, le texte des auteures Caroline Temcheff et Audrey Mariamo dresse un portrait des pratiques de sextage chez les adolescents, et notamment sur les plateformes des médias sociaux. 

Les défis et enjeux de taille engendrés par ces médias numériques s’accompagnent de la nécessité, pour les professionnels de la santé, d’adapter et de valider leurs stratégies d’intervention dans de nouveaux contextes. Il est grand temps pour les décideurs de donner la priorité à la recherche et à la formation dans ce domaine afin de répondre à une préoccupation sociale en évolution rapide, et trop longtemps restée sous-étudiée et non réglementée.