Agrégateur de contenus

Le psychologue et le deuil : empathie et déontologie

Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca


Le psychologue offre des services professionnels qui traitent de l’intimité profonde de son client. Pour ce faire, il doit combiner l’intégration de ses connaissances théoriques (le savoir), l’utilisation de différentes méthodes d’évaluation et d’intervention (le savoir-faire) et sa capacité à établir et à maintenir une relation de confiance, avec toute la modération que cela comporte (le savoir-être)1.

Le deuil personnel du psychologue
Lorsque la mort d’un être cher s’impose dans la vie personnelle du psychologue, plusieurs réactions sont possibles, selon différents facteurs :

  • les causes et les circonstances du décès;
  • la proximité affective, émotive et psychologique avec le défunt;
  • la prévisibilité du décès (longue maladie);
  • l’occurrence subite (accident, suicide).

Ainsi, le deuil dans la vie personnelle du psychologue peut avoir une incidence, faible, modérée ou importante, sur sa concentration et sur sa capacité à gérer ses réactions face au décès. Lorsque les répercussions sont moindres, par exemple si le psychologue est préparé depuis longtemps à ce décès, que tout est réglé, que tout a été dit entre la personne décédée et le psychologue, que le décès est prévisible, attendu, voire souhaité (par exemple lors de grandes souffrances ou d’une lente agonie), une grande partie des étapes du deuil a pu être franchie du vivant de la personne désormais décédée, et la poursuite des activités professionnelles peut se faire sans trop d’écueils. À l’autre bout du spectre, si le psychologue constate que le deuil l’empêche d’accéder à ses ressources à un point tel qu’il se sent inapte à offrir des services professionnels, il a le devoir de cesser d’offrir ses services jusqu’à son rétablissement (art. 37 du Code de déontologie, ci-après nommé le Code).

Il peut arriver que le psychologue vivant un deuil cesse momentanément ou définitivement de rendre certains services à des clients qui déclencheraient chez lui une importante souffrance reliée à son deuil. En effet, certains clients peuvent vivre le même type de deuil ou symboliser ce qui achoppe pour le psychologue dans la résolution de son propre deuil. Les phénomènes de transfert et de sympathie du psychologue pourraient faire obstacle au maintien d’une relation professionnelle. Lorsque le psychologue se situe quelque part à l’intérieur du spectre « deuil simple et réglé / deuil complexe », le travail sur soi (supervision, consultation, psychothérapie, etc.) peut être nécessaire afin de lui permettre d’accéder à nouveau à ses pleines capacités de savoir, de savoir-faire et de savoir-être.

La perte de la relation de confiance mutuelle ou le deuil de l’intervention optimale
Les impasses sont souvent des moments charnières dans la relation professionnelle. Le psychologue augmente les chances de dénouer l’impasse s’il le fait avec :

  • humilité;
  • empathie;
  • compréhension;
  • un désir d’explorer l’impasse elle-même.

Ces conditions génèrent souvent la création d’un nouveau modèle de réparation et de résolution de situations relationnelles conflictuelles dans la vie du client (qu’il soit individuel, conjugal, familial ou organisationnel).

Dans ce cas, le psychologue a le sentiment d’avoir réussi à remplir ses obligations d’établir et surtout de maintenir une relation de confiance mutuelle avec son client (art. 41 du Code). Le psychologue a une obligation liée aux moyens, mais on ne peut pas toujours lui tenir rigueur du résultat si celui-ci n’est pas à la hauteur de ce qui était espéré par le client. Parfois, les conditions mentionnées plus haut, bien que nécessaires, sont insuffisantes pour surmonter l’impasse. Le client peut :

Avoir perdu toute confiance en la relation professionnelle :

  • ne pas souhaiter que le psychologue cherche à rétablir le lien de confiance;
  • refuser les services;
  • chercher à éviter tout contact avec le psychologue;
  • chercher à se plaindre du psychologue si le client est resté en colère à la suite de l’imbroglio ressenti.

Cette rupture unilatérale de la relation professionnelle par le client peut générer toutes sortes de réactions et d’émotions qui, symboliquement, peuvent s’apparenter aux réactions liées au deuil : déni, incrédulité, colère, sentiment d’impuissance, etc.

Ce sont des moments importants, et il est essentiel que le psychologue aille chercher l’aide nécessaire (supervision, consultation formelle ou informelle, consultation personnelle, etc.) pour résoudre l’impasse de la façon la plus constructive possible. Car chaque impasse résolue, avec ou sans le client, devrait se terminer par un apprentissage en matière de savoir, de savoir-faire et de savoir-être.

Le deuil d’un client décédé
La relation entre le psychologue et son client implique une certaine intimité émotive, et il est compréhensible que, si ce dernier décède, le psychologue en soit affecté. Tout comme pour le deuil personnel, la nature du décès (longue maladie prévisible, accident ou suicide) peut générer des réactions diverses, que nous ne répéterons pas ici. En de telles circonstances, il se peut que le psychologue ait besoin d’aller chercher de l’aide professionnelle (consultation ou supervision : art. 40 du Code) ou de l’aide personnelle (soutien de collègues ou consultation pour le deuil). Comme pour le deuil personnel, si la signification de la perte est telle que le psychologue perd ses moyens, ne serait-ce que momentanément, il a l’obligation de cesser de rendre des services professionnels jusqu’à son rétablissement (art. 37 du Code).

L’intérêt supérieur du client décédé
Lorsqu’un client décède, il arrive fréquemment qu’un proche de la famille du client (incluant un notaire) contacte le psychologue pour :

  • l’informer du décès (parce que le nom du psychologue faisait partie du répertoire de communication de la personne);
  • le remercier, car ce proche connaissait la relation de confiance entre la personne décédée et son psychologue;
  • inviter le psychologue aux funérailles;
  • obtenir des services du psychologue pour avoir accès au même service de qualité que le défunt;
  • l’informer que le défunt a désigné le psychologue comme exécuteur testamentaire, voire liquidateur ou héritier;
  • lui apprendre qu’il est le seul héritier du client;
  • lui demander des reçus aux fins de l’impôt;
  • etc.

Le psychologue doit, par politesse, réagir à toutes ces demandes. Ne pas y répondre pourrait être perçu comme indélicat et non professionnel. Le psychologue peut donc :

  • recueillir des renseignements du proche endeuillé. Il le fera avec considération et avec toute l’empathie qu’on lui connaît (art. 20.5 du Code); 
  • suggérer des ressources en fonction des besoins énoncés par le proche endeuillé;
  • expédier à l’adresse du client décédé les reçus, au nom du client. La succession saura faire le nécessaire par la suite.

Cependant, le psychologue ne devrait pas :

  • offrir une prestation de services professionnels (art. 31 et 32 du Code) au proche du client;
  • accepter un rôle impliquant des proches du client décédé (art. 25 du Code).

Le coroner
Il arrive que le coroner demande une copie du dossier du client décédé. Selon la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, le coroner est un officier public ayant le pouvoir d’enquêter sur toute circonstance de décès qui lui est soumise. Cette loi fait partie des lois exigeant la levée du secret professionnel dans l’intérêt public. Le psychologue doit donc collaborer avec le Bureau du coroner. Le psychologue peut vérifier l’authenticité de l’adresse du courriel. L’adresse du coroner se termine toujours ainsi : @coroner.gouv.qc.ca.

Le deuil de l’identité professionnelle
Un petit mot à propos du deuil de l’identité professionnelle. Chacun le fait à sa façon, parfois à son rythme, parfois en empruntant le rythme que la vie lui impose, soit à cause de son état de santé physique, soit à cause de son état de santé mentale, soit en raison d’événements extérieurs à sa volonté. Il est frappant de constater à quel point l’identité professionnelle et l’identité personnelle sont profondément liées. Chacun quitte sa profession avec sa couleur, avec son style. Cette étape de la vie professionnelle mérite toute notre attention et requiert de ne rien escamoter. Ce thème nécessiterait une chronique en soi, tellement sont nombreuses les questions déontologiques, les questions d’administration de la fin de la carrière et les questions de legs. C’est un rendez-vous.

En conclusion
Le deuil nécessite un grand respect de la déontologie, des meilleures pratiques et de l’éthique, qu’il s’agisse du deuil porté par le psychologue lors du décès d’un proche, du deuil de la relation avec un client, du deuil d’un client décédé, ou du deuil de la vie professionnelle. Agir avec professionnalisme, c’est bien faire les choses jusqu’à la fin, avec empathie et compréhension, deux qualités qui sont au coeur de la profession. Il est donc essentiel que le psychologue prenne soin de lui-même pour maintenir ces standards : charité bien ordonnée commence par soi-même.

Note et bibliographie

Note

  1. Principe énoncé en page 5 du Référentiel d’activité professionnelle lié à l’exercice de la profession de psychologue au Québec.

Bibliographie

  • Code de déontologie des psychologues. C-26, r. 148.1.001. Ordre des psychologues du Québec. Éditeur officiel du Québec.
  • Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès. L.R.Q., R-0.2. Éditeur officiel du Québec.
  • Ordre des psychologues du Québec. (2011). Référentiel d’activité professionnelle lié à l’exercice de la profession de psychologue au Québec.