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Réforme sur le droit de la famille : une occasion de revisiter le génogramme

Dre Mélanie Laberge, psychologue
Titulaire d’un doctorat en recherche et intervention en psychologie, elle est propriétaire de la clinique Change en famille. Elle pratique également auprès de familles au Centre intégré du développement de la douance et du talent.

 


On a flexibilisé la définition de la famille au fil des dernières décennies. Le projet de loi 56, Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale, présenté plus tôt cette année, modifierait le Code civil, notamment sur ce que représente le patrimoine familial, voire une famille. Le travail des psychologues s’adapte aux différentes mutations de la cellule familiale. Mais qu’en est-il de nos outils? Le génogramme documente et représente les structures familiales sur plusieurs générations. Les transformations quant aux définitions de la famille ont contribué à son évolution depuis les 40 dernières années. Certains proposeront même que sa transformation, comme celle de la famille, s’inscrit dans un changement épistémologique : le travail d’accompagnement familial s’éloignerait de la pensée systémique pour tendre vers un constructionnisme social (Mosgaard et Sesma-Vazquez, 2017). Ainsi, l’outil demeurerait le même, mais ses fondements théoriques seraient modifiés. Cet article a donc pour but de présenter l’évolution du génogramme et du rôle du psychologue qui l’utilise afin d’amorcer une réflexion sur les enjeux propres à son utilisation.

Définition du génogramme

Le génogramme est une représentation graphique de la composition et de la structure d’une famille. Il fournit une représentation rapide de modèles familiaux complexes sur plus de trois générations (McGoldrick et al., 2008 ; Cuartas Arias, 2017 ; McGoldrick et al., 2020). Le génogramme inclut des informations factuelles sur la famille (par exemple les dates de naissance, de décès, de début et de fin des unions, etc.) ainsi que des informations subjectives rapportées par ses membres (par exemple les dynamiques relationnelles, les moments de difficultés, etc.). Différents principes font consensus dans la manière de le créer. On y voit une représentation temporelle qui s’observe en horizontalité et en verticalité : 1) la plus jeune génération (en bas) vers la plus âgée (en haut) ; 2) l’ordre de la fratrie ou d’une succession de conjoint(e)s de gauche à droite. Il existe aussi des conventions en ce qui a trait aux choix des symboles (par exemple des traits simples, doubles, un carré représentant l’homme, un cercle pour la femme, etc.).

Dans le domaine de la psychologie, le génogramme a différentes fonctions : l’évaluation, la consultation interprofessionnelle ou l’intervention (Turabian, 2017). En psychothérapie, certains l’utilisent comme un outil favorisant une meilleure compréhension de la situation familiale de leur client (Bahr, 1990) alors que d’autres le décrivent comme un véritable véhicule de changement dans le processus thérapeutique (Papadopoulos et al., 1997 ; Taylor et al., 2013 ; Newbury, 2019). Même s’il s’agit du même outil, ses implications seront différentes selon les fondements théoriques dans lesquels son utilisation s’inscrit, notamment en ce qui concerne la conceptualisation familiale. Mosgaard et Sesma-Vazquez (2017) ont documenté les différences entre le génogramme « traditionnel » et le génogramme « postmoderne ». Le premier met l’accent sur les informations et la structure familiale. Le second montre plus de flexibilité dans son utilisation pour mieux s’adapter à la famille (Mosgaard et Sesma-Vazquez, 2017).

Le génogramme traditionnel en psychothérapie

En créant et en utilisant le génogramme dans sa forme traditionnelle, le psychologue en devient l’analyste. Il installe alors une relation hiérarchique avec son client. Parce qu’il cible principalement les symptômes, le génogramme permet au psychologue d’élaborer des hypothèses de travail et de formuler une conceptualisation clinique afin d’orienter les objectifs thérapeutiques (Mosgaard et Sesma-Vazquez, 2017).

Récemment, Joseph et ses collaborateurs (2023) ont publié une revue de littérature sur l’efficacité du génogramme en thérapie familiale. Leurs analyses permettent de conclure aux limites de l’utilisation du génogramme traditionnel. Leur article cible trois limites principales. D’abord sa forme : conçue pour représenter la structure et les membres biologiques de la famille, elle ne s’adapterait pas aux différentes définitions actuelles de la famille. Conséquemment, sa structure et ses symboles représentent difficilement : 1) les personnes ne partageant pas la même génétique et vivant sous un même toit ; 2) les relations conjugales hors mariage ; 3) les personnes non binaires. Ensuite, le génogramme traditionnel s’intéresse essentiellement aux difficultés, il ne propose donc pas de symboles pour présenter des forces, qu’elles soient individuelles ou relationnelles. Ce biais négatif dans la représentation des précédentes générations susciterait peu d’espoir chez les membres de la famille (Milewski-Hertlein, 2001 ; Taylor et al., 2013). Enfin, les différents facteurs sociaux, politiques, culturels ou communautaires qui influencent le système familial n’y sont pas représentés.

Figure 1. Représentation d’un génogramme traditionnel (traduction libre). Tiré de : Newbury, K. (2019). A Picture is Worth a Thou-sand Words : The strengths and limitations of genograms in educational psychology practice. Thèse, University of Essex et Tavis-tock and Portman NHS Trust.

Le génogramme postmoderne

Plus flexible dans sa structure, dans son élaboration et dans sa manière de conceptualiser la famille, le génogramme postmoderne va au-delà de la représentation des générations précédentes. Il serait un véritable véhicule du processus thérapeutique (Goodman, 2013, McGoldrick et al., 2008 ; Walsh, 2006 ; Mackay, 2015 ; Majhi et al., 2017 ; McGoldrick et Gerson, 2016 ; Papadopoulos et al., 1997). Ce génogramme représente le point de départ de conversations sur les relations et il aurait comme objectif, entre autres, de déconstruire et de reconstruire de manière créative la signification complexe attribuée aux relations intra et extrafamiliales (Mosgaard et Sesma-Vazquez, 2017). Puisque son utilisation est centrée sur la réalité du client (qui peut être un individu ou une famille) ainsi que sur le processus thérapeutique, le génogramme offre une flexibilité dans le choix des thèmes illustrés (par exemple les forces familiales) et des symboles utilisés (Joseph et al., 2023 ; Milewski-Hertlein, 2001 ; Connolly, 2005).

En prenant une posture plus horizontale et empreinte de curiosité, le psychologue et son client collaborent pour cocréer le génogramme familial. Les informations représentées font sens avec le dialogue et la perspective du client (Mosgaard et Sesma-Vazquez, 2017).

Figure 2. Représentation de l’utilisation des approches postmodernes de l’utilisation du génogramme (traduction libre). Image tirée de Mosgaard, J. et Sesma-Vazquez, M. (2017). Postmodern approaches in the use of genograms. Dans J. Lebow, A. Chambers et D. Breunlin (dir.), Encyclopedia of Couple and Family Therapy. Springer, Cham.

La revue de Joseph et ses collaborateurs (2023) montre la pertinence de l’utilisation, chez certaines familles, de thèmes comme la culture, les forces, la spiritualité, les valeurs familiales et l’identité. Leur utilisation contribuerait notamment à une meilleure compréhension familiale, à une meilleure perspective et à plus de résilience. L’inclusion d’informations culturelles, chez les familles migrantes ou multiculturelles, permet d’établir l’héritage des générations passées. De plus, dans les contextes présentant des sensibilités culturelles, ces ajouts favorisent l’alliance thérapeutique (Isik et al., 2012 ; Lim et Nakamoto, 2008). Pour les familles vivant de la marginalisation, une situation de précarité ou des traumas familiaux, réfléchir et imager les signes de résilience familiale favorise l’identification des mécanismes d’adaptation qui auraient été présents au fil des générations. Ce processus créerait plus de distance face aux traumas passés et favoriserait la résilience (Goodman, 2013 ; Danieli, 2007 ; Chavis, 2004). Enfin, aborder des notions identitaires favoriserait : 1) une meilleure compréhension des effets de l’intersectionnalité, particulièrement chez les personnes LGBTQ+ (Oswald, 2002) ; 2) une meilleure différenciation de soi, particulièrement chez les personnes LGBTQ+ vivant dans un environnement intolérant (Magnuson et Norem, 1995) ; 3) la possibilité de suivre les traces du développement du talent d’une génération à l’autre au sein des familles comptant des individus doués (May, 2000).

Redéfinitions et réflexions

Le sociologue Gérard Neyrand (2011) met en évidence que les configurations familiales, particulièrement les rôles parentaux, sont souvent imbriquées dans les rouages sociaux, politiques et historiques d’une société (Thévenot, 2016). Le travail du psychologue et le génogramme postmoderne font eux aussi partie de ces engrenages en mouvement. Les études analysées dans la revue de littérature de Joseph et ses collaborateurs (2023) montrent les avantages à adapter le génogramme postmoderne et à l’utiliser de manière flexible, entre autres pour mieux illustrer les différentes configurations familiales.

À l’aube de l’adoption du projet de loi 56 par le gouvernement du Québec, nous souhaitons amorcer une réflexion sur ces points qui s’enchevêtrent : le construit social de la famille, l’utilisation du génogramme et le rôle du psychologue qui l’utilise. Actuellement, le peu de formation disponible pour apprendre à utiliser le génogramme mine la motivation des psychologues à l’intégrer à leurs outils de travail (Alexander et al., 2018 ; Rempel et al., 2007 ; Pellegrini, 2009 ; Newbury, 2019). Comme l’a montré Newbury (2019), l’efficacité de l’outil est liée à l’expérience du psychologue. De plus, des considérations éthiques importantes doivent être soulevées particulièrement avec l’inclusion de plusieurs membres de la famille, qu’ils soient, ou non, clients du psychologue, qu’ils partagent ou non le même bagage génétique et qu’ils vivent ou non sous le même toit. Comment collaborer à une construction flexible d’un génogramme familial tout en préservant l’anonymat des individus qui y sont identifiés?

Malgré ces nombreux défis, nous croyons qu’il est important de revenir sur les effets thérapeutiques de l’outil. On sait qu’il favorise l’alliance thérapeutique et l’engagement du client, et qu’il diminue probablement la tendance à cibler une personne problématique. En outre, sa capacité d’adaptabilité permet d’aider une variété de familles dans leur processus de changement, qu’elles soient séparées, recomposées, homoparentales, migrantes ou encore marginalisées. Les avantages du génogramme postmoderne ne peuvent être ignorés et méritent notre attention. La réflexion est donc lancée.

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