Introduction au dossier

Les substances psychoactives comme l’alcool et le cannabis agissent notamment sur le système nerveux central et peuvent avoir comme effet de modifier les perceptions, les sensations, l’humeur, la conscience et d’autres fonctions psychologiques et comportementales (Ben Amar, 2004). Leur usage est répandu dans la société, les personnes pouvant y recourir pour divers motifs comme le plaisir et la socialisation ou encore, par moments, pour gérer de l’anxiété ou de la détresse. Cette consommation peut se concevoir le long d’un continuum d’usage, allant de la consommation à faible risque, en passant par une consommation à risque, problématique, jusqu’au trouble de l’usage (Chauvet et al., 2015; Tremblay et al., 2009). Les psychologues sont dans un rôle privilégié pour accompagner les personnes qui souffrent d’un trouble de l’usage de substances, qui se caractérise par un usage persistant en dépit des conséquences associées et de la souffrance significative ou encore des difficultés de fonctionnement vécues dans plusieurs dimensions de leur vie (Bertrand et Saint-Jacques, 2018).

De fait, la concomitance entre troubles de santé mentale et troubles de l’usage de substances est élevée et la prise en compte de l’interrelation entre ces troubles est nécessaire pour bien accompagner ces personnes qui tendent à avoir des difficultés qui persistent dans le temps. Considérant la stigmatisation entourant les dépendances, les personnes qui consultent pour recevoir de l’aide psychologique n’aborderont pas nécessairement d’emblée leurs difficultés entourant leur usage de substances. Par ailleurs, il faut souligner que la moitié des personnes aux prises avec un trouble d’usage de substances se sont initiées à la consommation de ces psychotropes avant l’âge de 15 ans (Mokdad et al., 2016). Une fois la consommation de substances initiée, celle-ci pourra progresser jusqu’à atteindre des niveaux de sévérité plus ou moins élevés pour ensuite varier sur une longue période selon un cycle répété d’épisodes d’arrêt de consommation et de rechutes (Chauvet et al., 2015). Les trajectoires de consommation de substances ne sont pas linéaires et il importe d’intervenir tôt dans la vie des personnes, dès le moment où un usage à risque est établi, et tout au long de leur trajectoire. Pour ce faire, les psychologues ont aussi le rôle important de devoir repérer les enjeux entourant la consommation de substances chez les personnes qui les consultent tout en considérant les enjeux de stigmatisation qui les entourent. En particulier, les jeunes (Wagner et al., 2017) et les femmes (Pederson et al., 2014) tendront à consulter pour d’autres motifs que la consommation, notamment par peur du jugement des professionnels. En outre, plus généralement, c’est une infime partie des personnes qui sont confrontées à des conséquences de leur consommation de substances ou à un trouble lié à leur usage qui bénéficient d’intervention précoce (Tremblay et al., 2019) ou de traitement (SAMHSA, 2019), malgré l’efficacité démontrée de telles pratiques (Bertrand et al., 2021).

Les cinq articles proposés dans ce dossier sur les dépendances aux substances et sur les troubles liés à leur usage permettent de soutenir les réflexions des psychologues quant à leurs pratiques en ce domaine et à leur rôle tout au long des trajectoires de consommation des personnes qui les consultent, et ce, en tenant compte de la complexité des besoins des patients. L’article du Dr Pelletier, psychologue, invite les professionnels à réfléchir à leur pratique à l’égard des personnes qui consomment des substances psychoactives en considérant les enjeux de stigmatisation vécus par celles-ci. L’auteur adopte une posture réflexive en tant qu’intervenant et nous invite à examiner nos propres a priori. Cet article encourage aussi les psychologues à devenir des agents de changement pouvant favoriser l’inclusion des personnes aux prises avec des dépendances dans la société et la diminution des barrières à la demande d’aide, dont la stigmatisation. Ensuite, je me joins à la Dre Morvannou, psychologue, pour aborder la question de l’intervention précoce chez les jeunes qui consomment des substances et qui commencent à éprouver certaines conséquences de leur usage. Cet article présente quelques pratiques efficaces en ce domaine et encourage la prise en compte du genre dans l’intervention, notamment en sensibilisant les lecteurs au sujet des enjeux de stigmatisation vécus spécifiquement par les adolescentes et les jeunes femmes. L’article du Dr Desbaumes Jodoin, psychologue, et de sa collègue Mme Dugas, ergothérapeute, permet d’appréhender la complexité du traitement du trouble d’usage de l’alcool en éclairant les déficits cognitifs qui peuvent en découler et en suggérant des pistes pour les évaluer. De fait, bien souvent, les troubles d’usage aux substances s’accompagnent de troubles associés qui sont nécessaires à prendre en compte pour bien accompagner les personnes. En ce sens, la Dre Savard, psychologue, ainsi que ses collègues (St-Hilaire, Ferland, Blanchette-Martin et Mitchel) abordent les troubles de santé mentale concomitants, qui accompagnent, dans bien des cas, les troubles dus à l’usage de substances, et exposent les manières dont le traitement intégré de cette double problématique, par l’entremise de diverses pratiques probantes, peut permettre de soutenir le rétablissement des personnes. Ensuite, l’article coécrit par la Dre Béatrice Filion, psychologue, et par le Dr Brunet, psychologue et psychanalyste didacticien, offre un regard complémentaire en proposant une compréhension psychodynamique des dépendances aux substances et en soulignant diverses pistes d’intervention qui en découlent. Saisir la place que prennent les substances psychoactives dans la vie des individus et les bénéfices qu’ils en retirent est, de fait, essentiel pour être en mesure de bien les guider dans leurs efforts de rétablissement.

C’est donc avec enthousiasme que je me joins au comité éditorial pour vous présenter ce dossier thématique qui, nous l’espérons, saura susciter votre intérêt envers le continuum d’intervention en dépendance. De même, nous souhaitons que ce dossier thématique puisse soutenir votre réflexion sur le rôle du psychologue pour favoriser l’accès à des services adaptés et non stigmatisants pour les personnes qui consomment des substances psychoactives.

Bibliographie

Ben Amar, M. La polyconsommation de psychotropes et les principales interactions pharmacologiques associées. Québec, 2004.

Bertrand, K. et Saint-Jacques, M. (2018). Traitement de l’usage du cannabis : bilan critique et perspectives. Dans S. Brochu, J.-S. Fallu et M. Pelletier, Cannabis. Montréal, Canada : Presses de l’Université de Montréal.

Bertrand, K., Tremblay, J., Nadeau, L., Brochu, S. et un collectif de chercheurs et de partenaires du domaine des dépendances. (2021). Mémoire collectif. Les visages de la dépendance : pour une société inclusive, diversifiée et innovante. Sherbrooke, Canada : Université de Sherbrooke. https://iud.quebec/fr/actualite/les-visages-de-la-dependance-pour-une-societe-inclusive-diversifiee-et-innovante

Chauvet, M., Kamgang, E., Ngui, N. A., Fleury, M.-J. et Simoneau, H. (2015). Les troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives, prévalence, utilisation des services et bonnes pratiques. Montréal, Canada : Centre de réadaptation en dépendance de Montréal, Institut universitaire.

Mokdad, A. H., Forouzanfar, M. H., Daoud, F., Mokdad, A. A., El Bcheraoui, C., Moradi-Lakeh, M., Kyu, H. H., Barber, R. M., Wagner, J., Cercy, K., Kravitz, H., Coggeshall, M., Chew, A., O’Rourke, K. F., Steiner, C., Tuffaha, M., Charara, R., Al-Ghamdi, E. A., Adi, Y., Afifi, R. A., Alahmadi, H., AlBuhairan, F., Allen, N., AlMazroa, M., Al-Nehmi, A. A., AlRayess, Z., Arora, M., Azzopardi, P., Barroso, C., Basulaiman, M., Bhutta, Z. A., Bonell, C., Breinbauer, C., Degenhardt, L., Denno, D., Fang, J., Fatusi, A., Feigl, A. B., Kakuma, R., Karam, N., Kennedy, E., Khoja, T. A. M., Maalouf, F., Makhlouf Obermeyer, F., Mattoo, A., McGovern, T., Memish, Z. A., Mensah, G. A., Patel, V., Petroni, S., Reavley, N., Rios Zertuche, D., Saeedi, M., Santelli, J., Sawyer, S. M., Ssewamala, F., Taiwo, K., Tantawy, M., Viner, R. M., Waldfogel, J., Zuñiga, M. P., Naghavi, M., Wang, H., Vos, T., Lopez, A. D., Al Rabeeah, A. A., Patton, G. C., Murray, C. J. L. (2016). Global burden of diseases, injuries, and risk factors for young people’s health during 1990-2013: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. The Lancet, 387(10036), 2383-2401.

Pederson, A., Greaves, L., Poole, N. (2014). Gender-transformative health promotion for women: A framework for action. Health Promotion International, 30(1), 140-150.

Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). (2019). Key Substance Use and Mental Health Indicators in the United States: Results from the 2018 National Survey on Drug Use and Health. https://www.samhsa.gov/data/sites/default/files/cbhsqreports/NSDUHNationalFindingsReport2018/NSDUHNationalFindingsReport2018.pdf

Tremblay, J., Bertrand, K., Blanchette-Martin, N., Rush, B., Savard, A.-C., L’espérance, N., Demers-Lessard, G. et Genois, R. (2019). Estimation of needs for addiction services: A youth model. Journal of Studies on Alcohol and Drugs / supplement (s18),64-75.

Tremblay, J. et Blanchette-Martin, N. (2009). Manuel d’utilisation du DEBA Alcool/Drogues/Jeu. Version adaptée pour la formation de la première ligne en dépendance (version 1.08). Québec, Service de recherche CRUV/CRAT-CA en collaboration avec le Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances.

Wagner, V. Bertrand, K., Flores-Aranda, J., Acier, D., Brunelle, N., Brochu, S. et Landry, M. (2017). Initiation of addiction treatment and access to care: Young adults’ accounts of their help-seeking experiences. Qualitative Health Research, 11, 1614-1627. DOI: 10.1177/1049732316679372