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Les perturbations du sommeil associées aux troubles de santé mentale communs

Dre Geneviève Belleville, psychologue 
Professeure titulaire à l’Université Laval, elle se spécialise dans les interventions cognitivo-comportementales pour le traitement des troubles liés aux événements traumatiques.


 

Samuel Gagné
Titulaire d’un baccalauréat en psychologie, il est étudiant en première année du doctorat en psychologie clinique (D. psy.) à la concentration « Psychologie de la santé » de l’Université Laval.


 

Clara Deudon
Étudiante finissante au baccalauréat en psychologie à la concentration « Recherche et intervention » de l’Université Laval.

 

 


Bien dormir est un aspect essentiel du bien-être et de la santé mentale; il n’est ainsi pas surprenant de retrouver des perturbations du sommeil significatives dans le portrait clinique de plusieurs troubles psychologiques, dont le trouble de stress post-traumatique (TSPT), les troubles anxieux et dépressifs. Les perturbations du sommeil peuvent être particulièrement incommodantes, de telle manière qu’elles représentent souvent le motif premier de consultation, surtout auprès des médecins de famille. 

Les relations entre les perturbations du sommeil et les troubles de santé mentale communs sont nombreuses et complexes. Les perturbations du sommeil peuvent avoir été présentes avant le développement du trouble et ainsi constituer un antécédent. Par exemple, la présence d’insomnie est un facteur de risque important des troubles dépressifs (Khurshid, 2018), et la présence de perturbations du sommeil persistantes après un événement traumatique est un prédicteur du développement d’un TSPT. Ensuite, les perturbations du sommeil peuvent être concomitantes au trouble de santé mentale. Dans ce cas, elles peuvent en représenter un symptôme, comme dans le cas des difficultés de sommeil liées au trouble d’anxiété généralisée (TAG) ou des cauchemars post-traumatiques liés au TSPT, ou encore constituer un trouble du sommeil comorbide à part entière. Que les perturbations du sommeil soient un symptôme du trouble mental initial ou un trouble comorbide du sommeil, elles sont généralement associées à un portrait clinique plus sévère du trouble de santé mentale initial. Enfin, les perturbations du sommeil peuvent également émerger après l’apparition du trouble psychologique et en affecter l’évolution. De plus, même si la plupart des traitements psychologiques efficaces pour un trouble de santé mentale diminuent les perturbations du sommeil associées, ces dernières constituent souvent un symptôme persistant après le traitement et représentent un facteur de risque de rechute du trouble initial. Par exemple, une personne en rémission d’un épisode dépressif est plus susceptible de vivre un nouvel épisode dépressif si l’insomnie demeure après le traitement initial des symptômes dépressifs (Manber et al., 2008). 

Troubles anxieux
Chez l’adulte, plusieurs perturbations du sommeil sont associées aux troubles anxieux : la courte durée du sommeil, la somnolence diurne et des difficultés à s’endormir, à rester endormi ou un sommeil agité (Kurshid, 2018). Selon Brenes et al. (2009), jusqu’à 75 % des individus vivant avec un TAG présentent des symptômes d’insomnie. Les types d’insomnie les plus fréquemment observés chez ces clients sont, dans l’ordre, la difficulté à s’endormir, ou l’insomnie initiale, le réveil matinal (c’est-à-dire un réveil précoce avec des difficultés à se rendormir) et l’insomnie de maintien (c’est-à-dire des réveils fréquents au courant de la nuit) (American Psychiatric Association [APA], 2015). Par ailleurs, le TAG est le seul trouble anxieux répertorié dans le DSM-V à inclure les perturbations du sommeil dans sa liste de critères diagnostiques.

Quant à elles, les personnes atteintes d’un trouble panique sont de sept à huit fois plus à risque de présenter des perturbations du sommeil en comparaison avec la population générale, et les personnes atteintes d’agoraphobie, trois fois plus à risque de développer des symptômes d’insomnie (Cousineau et al., 2016). Par ailleurs, les cauchemars sont aussi fréquents chez les individus avec un trouble anxieux; 16 % parmi eux auraient des cauchemars récurrents (Lemyre et al., 2019). Ainsi, les personnes avec des troubles anxieux sont plus à risque de faire des cauchemars hebdomadairement en comparaison avec la population générale. Le contenu des rêves des personnes atteintes d’un trouble anxieux tend aussi à être plus aversif et négatif. Enfin, la plus grande fréquence des cauchemars chez ces personnes génère d’importantes sautes d’humeur) d’importantes sautes d’humeur durant leur temps d’éveil, en plus d’influencer négativement leur humeur (Rimsh et Pietrowsky, 2022).

Troubles dépressifs
Dans le cadre d’une étude de Sunderajan et ses collaborateurs (2010), 70 % des patients ambulatoires en psychiatrie avec un diagnostic de dépression majeure ont rapporté de l’insomnie, particulièrement le réveil matinal et l’insomnie initiale. L’hypersomnie (c’est-à-dire le sommeil anormalement prolongé) apparaît également dans le tableau clinique des personnes atteintes d’un trouble dépressif; 27 % parmi elles en rapportent la présence symptomatique (Murphy et Peterson, 2015). Ces perturbations sont importantes à considérer dans le portrait clinique des personnes atteintes d’un trouble dépressif, puisqu’elles influencent la sévérité des symptômes. En effet, l’insomnie comorbide est associée à une humeur plus triste ainsi qu’à une plus grande intensité des idées suicidaires (Kurshid, 2018). Les cauchemars se retrouvent aussi parmi les difficultés du sommeil fréquemment mentionnées par les personnes atteintes d’un trouble dépressif; 37 % parmi elles rapportent des cauchemars récurrents (Lemyre et al., 2019). Cette prévalence est plus élevée que celle retrouvée dans la population générale. De plus, la présence de cauchemars est associée à une symptomatologie dépressive plus sévère, à la présence d’anxiété, à une qualité de sommeil amoindrie et à un plus grand risque d’idéation suicidaire et de passage à l’acte. Notons aussi que de 50 à 90 % des personnes atteintes d’un trouble bipolaire ont des perturbations du sommeil (43 % de l’insomnie; 29 % de l’hypersomnie) lors d’un épisode dépressif. Des perturbations du sommeil apparaissent également lors d’un épisode maniaque ainsi que dans la phase prodromique (Steinan et al., 2016).

Trouble de stress post-traumatique
Les perturbations du sommeil figurent parmi les nombreux critères diagnostiques du TSPT tels que listés dans le DSM-V (APA, 2015). Deux des symptômes diagnostiques du TSPT sont liés à des perturbations du sommeil : les rêves répétitifs provoquant un sentiment de détresse ayant pour thèmes des éléments de l’événement traumatique (critère B : symptômes envahissants), et le réveil matinal ainsi que l’insomnie initiale (critère E : altérations marquées de l’éveil et de la réactivité). La prévalence de l’insomnie est de 40 à 90 %, selon la population et le type d’événement traumatique (Belleville et Levrier, 2019). Elle est un facteur de risque d’un moins bon pronostic; sa présence est liée à des symptômes post-traumatiques plus sévères et à une efficacité thérapeutique amoindrie du traitement visant spécifiquement le stress post-traumatique. Après le traitement initial du stress post-traumatique, la présence de symptômes résiduels d’insomnie entraîne une plus grande probabilité de rechute des symptômes de stress post-traumatique. Les deux tiers des personnes atteintes d’un TSPT (67 %) rapportent faire des cauchemars récurrents (Lemyre et al., 2019). Le contenu des cauchemars post-traumatiques consiste souvent en une réplique directe ou indirecte de l’événement traumatique ou d’une partie de celui-ci. La détresse engendrée par les cauchemars peut mener à une plus grande sévérité des symptômes de TSPT, à des problèmes de santé physique (par exemple des troubles cardiovasculaires) et à un plus grand risque d’idéation suicidaire (Belleville et Levrier, 2019).

Conclusion
La présence de perturbations du sommeil influence négativement le tableau clinique des troubles de santé mentale communs, tels les troubles anxieux, les troubles dépressifs et le trouble de stress post-traumatique. À l’inverse, en offrant un traitement pour les perturbations du sommeil chez ces individus, on diminue souvent la sévérité des symptômes, tant reliés au sommeil qu’à la condition initiale, et on améliore le bien-être général de ces individus (McCall et al., 2010, Manber et al., 2008). En assurant une vigilance aux cauchemars et à l’insomnie ainsi qu’à leur spécificité dans chaque trouble, les psychologues favorisent un meilleur pronostic de la problématique initiale ainsi qu’une meilleure promotion de la santé du sommeil. 
 

Bibliographie

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Belleville, G. et Levrier, K. (2019). Meilleures pratiques en traitement des cauchemars et difficultés de sommeil associées au TSPT. Dans S. Bond, G. Belleville et S. Guay (dir.), Les troubles liés aux événements traumatiques. Guide des meilleures pratiques pour une clientèle complexe (1re éd., vol. 1, p. 210-243). Les Presses de l’Université Laval.
Brenes, G. A., Miller, M. E., Stanley, M. A., Williamson, J. D., Knudson, M. et McCall, W. V. (2009). Insomnia in older adults with generalized anxiety disorder. The American Journal of Geriatric Psychiatry, 17(6), 465-472. https://doi.org/10.1097/JGP.0b013e3181987747
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Manber, R., Edinger, J. D., Gress, J. L., San Pedro-Salcedo, M. G., Kuo, T. F. et Kalista, T. (2008). Cognitive behavioral therapy for insomnia enhances depression outcome in patients with comorbid major depressive disorder and insomnia. Sleep, 31(4), 489-495. DOI: 10.1093/sleep/31.4.489
Manzar, M. D., Salahuddin, M., Pandi-Perumal, S. R. et Bahammam, S. (2021). Insomnia may mediate the relationship between stress and anxiety: A cross-sectional study in university students. Nature and Science of Sleep, 13, 31-38. DOI: 10.2147/NSS.S278988
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