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Exclusif Web | Repères essentiels pour soutenir les familles qui vivent une séparation conflictuelle en contexte de petite enfance

Dre Cybelle Abate, psychologue
Clinicienne œuvrant auprès des enfants et des adolescents et chargée de cours. Elle se spécialise dans les enjeux familiaux complexes, les traumatismes et les expertises psycholégale

 

Dre Amylie Paquin-Boudreau, psychologue
Clinicienne et stagiaire postdoctorale. Ses intérêts s’articulent autour du conflit sévère de séparation, de la violence familiale et de l’expertise psychologique en matière familiale.

 


La séparation est une transition familiale qui touche une proportion importante d’enfants et qui engendre de multiples défis d’adaptation pour tous les membres de la famille (Amato, 2000). Il est désormais bien reconnu que ce n’est pas la séparation en soi qui affecte les enfants, mais plutôt le contexte socio-économique et la qualité des relations familiales subséquentes (Carobene et Cyr, 2006). Le conflit interparental représente d’ailleurs un des plus importants facteurs de risque pour le développement de difficultés d’adaptation chez les enfants (Van Eldik et al., 2020).

Les nourrissons et les très jeunes enfants sont particulièrement vulnérables aux conflits interparentaux à cause des changements rapides sur tous les plans de leur développement. Notamment, les nourrissons ne sont pas à même de mettre en mots leurs sentiments et peuvent avoir de la difficulté à se représenter les transitions de garde avec les parents (Zeanah et al., 2011). L’hostilité, la colère et la tension vécues par les parents dans le cadre des conflits post-séparation imprègnent négativement les interactions parents-enfants (Ramos et al., 2022). De plus, le stress des conflits amène généralement une diminution de la sensibilité parentale et de la disponibilité émotionnelle des parents face au vécu de l’enfant (Pires et Martins, 2021). Ces mécanismes viennent de ce fait mettre en jeu la sécurité affective de l’enfant et contribuent au développement de problèmes intériorisés et extériorisés chez ce dernier (Kelly et Emery, 2003).

La coparentalité : une réponse qui n’est pas toujours ajustée aux ressources des familles conflictuelles

Au-delà des conflits interparentaux, l’ajustement psychologique de l’enfant après la séparation est aussi prédit par la qualité de la relation coparentale (Lamela et al., 2016). Pour cette raison, une majorité d’interventions psychosociales et juridiques insiste de nos jours sur l’importance d’établir une coparentalité coopérative. Or, cet objectif fréquemment établi comme prioritaire par les professionnels n’est pas toujours adapté pour les familles qui vivent d’importants conflits post-séparation. D’une part, le réaménagement des frontières relationnelles entre les parents après la séparation demande de bonnes ressources personnelles, notamment des capacités d’inhibition émotionnelle et comportementale importantes, de même qu’une régulation des émotions adéquate (Tremblay et al., 2013).

Le fait de vivre un haut niveau de conflit avec l’ex-conjoint(e) sous-entend que le parent a parfois moins accès à ces ressources, compte tenu des nombreux stresseurs se rapportant à la séparation, ou que des enjeux de santé mentale et de personnalité les limitent. Il apparaît donc peu cohérent ou réaliste à ce moment d’encourager la coopération. D’autre part, le conflit post-séparation représente couramment une incapacité à faire le deuil de l’union conjugale ou du projet familial. Le compromis et la négociation, nécessaires à la coopération, peuvent ainsi être vécus par le parent comme un échec ou une capitulation. De ce fait, l’insistance des professionnels à vouloir que les parents s’entendent à tout prix peut engendrer chez ces derniers des résistances importantes qui justifient de repenser les interventions traditionnelles.

Un objectif qui devient alors moins menaçant pour les parents en conflit consiste à les accompagner à améliorer leur parentalité et leur relation individuelle avec l’enfant (Pedro-Carroll, 2011). Toutefois, il est fréquent que les parents se sentent démunis sur le plan de la parentalité après une séparation et qu’ils s’interrogent sur la façon de composer avec les réactions de leur enfant. De plus, les parents peuvent vivre des préoccupations concernant la réorganisation de la vie familiale et la prise de décisions relatives au partage du temps parental. Ces enjeux méritent une attention particulière et se doivent d’être réfléchis en fonction du meilleur intérêt de l’enfant.

Repenser le soutien offert aux familles conflictuelles autour des besoins du jeune enfant

Afin de favoriser le bien-être du nourrisson et du très jeune enfant, il est primordial de tenir compte de l’étape où il se situe dans son développement. Les premières années de vie sont critiques en ce qui concerne la formation de l’attachement sélectif de l’enfant, c’est-à-dire envers des figures d’attachement spécifiques. Cela signifie notamment que l’enfant a besoin de continuité dans le lien avec ses deux parents pour s’inscrire dans des relations sécurisantes (Forslund et al., 2021). Dans un contexte de séparation conflictuelle, il importe donc que l’enfant ait des interactions régulières avec ses deux parents et que ces derniers soient impliqués dans les soins quotidiens le concernant. De plus, l’enfant a besoin de former et de maintenir des relations significatives avec un réseau de soutien élargi comme ses grands-parents et sa fratrie. Pour ce faire, il est nécessaire que chacun des deux parents parvienne à accepter et à encourager l’implication de son ex et de la famille élargie, des deux côtés, dans la vie de leur enfant. Outre l’attachement, l’adoption de pratiques parentales suffisamment bonnes comme la sensibilité et l’encadrement est déterminante pour la saine croissance du jeune enfant (Kleinsorge et Covitz, 2012). Conséquemment, les parents doivent être mobilisés à prendre soin de leur propre vécu en ce qui concerne la séparation conflictuelle afin de se montrer disponibles pour soutenir l’expérience émotionnelle de l’enfant et répondre à ses besoins en priorité.

Les relations de l’enfant avec ses deux parents seront nécessairement influencées par les décisions relatives au partage du temps parental. À ce sujet, la gestion des nuitées entre les parents s’avère être un enjeu particulièrement délicat avec les très jeunes enfants, compte tenu de leurs besoins développementaux. Les nuitées doivent en effet permettre la participation active de chacun dans les soins quotidiens et la réponse aux besoins affectifs de l’enfant, et ce, tout en tenant compte de son incapacité à se représenter la séparation avec ses figures d’attachement. Des études suggèrent que le fait de passer des nuitées chez les deux parents pour l’enfant de moins de 3 ans est associé à un attachement insécurisant et à des difficultés de régulation émotionnelle (McIntosh et al., 2013; Tornello et al., 2013). Or, aucune étude ne confirme de lien causal entre ces variables, ce qui signifie que d’autres facteurs sont susceptibles d’expliquer ces associations. À l’inverse, une étude rétrospective rapporte que le partage des nuitées chez le très jeune enfant est associé à des relations parents-enfants positives à l’adolescence, et ce, peu importe le niveau de conflit entre les parents (Fabricius et Suh, 2017). À court terme, les conséquences semblent difficiles à définir clairement, tandis qu’à long terme il semble y avoir des avantages à ce que le jeune enfant partage les nuitées entre ses deux parents. Pour soutenir le développement du jeune enfant, il importe surtout de maximiser le temps de qualité avec chaque parent, de limiter son exposition directe aux conflits interparentaux et d’encourager des transitions de garde neutres.

En somme, pour favoriser le développement du jeune enfant en contexte de conflit post-séparation, chaque parent devrait miser sur des pratiques parentales sensibles et  se montrer disponible pour l’enfant et travailler à décoder, à interpréter et à répondre aux signaux de l’enfant. Une revue de la littérature suggère à cet effet que les enfants qui s’en sortent le mieux après une séparation sont ceux qui maintiennent des liens affectifs chaleureux, étroits et fréquents avec leurs deux parents (Polak et Saini, 2015). Les interventions à préconiser auprès des familles vivant une séparation conflictuelle devraient ainsi être établies sur un continuum. Il apparaît essentiel d’accompagner le parent afin de l’aider à diminuer sa charge affective, d’aborder ses enjeux de santé mentale et de travailler sur ses capacités parentales. Le travail individuel avec chaque parent constitue ainsi une étape préalable au travail sur la coparentalité, étant donné qu’il pourra éventuellement rayonner sur la relation avec l’enfant et sur l’amélioration de la dynamique familiale générale.

 

Bibliographie

  • Amato, P. R. (2000). The consequences of divorce for adults and children. Journal of Marriage and Family, 62(4), 1269-1287.
     
  • Carobene, G. et Cyr, F. (2006). L’adaptation de l’enfant à la séparation de ses parents : sept hypothèses pour une compréhension approfondie. Canadian Psychology / Psychologie canadienne, 47(4), 300.
     
  • Fabricius, W. V. et Suh, G. W. (2017). Should infants and toddlers have frequent overnight parenting time with fathers? The policy debate and new data. Psychology, Public Policy, and Law, 23(1), 68.
     
  • Forslund, T., Granqvist, P., van IJzendoorn, M., Sagi-Schwartz, A., Glaser, D., Steele, M. Hammarlund, M., Schuengel, C., Bakermans-Kranenburg, M, Steele, H., Shaver, P., Lux, U., Simmonds, J., Jacobvitz, D., Groh, A., Bernard, K., Cyr, C., Hazen, N., Foster, S., Duschinsky, Robbie. (2021). Attachment goes to court: Child protection and custody issues. Attachment & Human Development. 24. 10.1080/14616734.2020.1840762.
     
  • Kelly, J. B. et Emery, R. E. (2003). Children’s adjustment following divorce: Risk and resilience perspectives. Family Relations, 52(4), 352-362.
     
  • Kleinsorge C. et Covitz L. M. (2012, avril). Impact of divorce on children: Developmental considerations. Pediatrics in Review, 33(4), 147-154.

  • Lamela, D., Figueiredo, B., Bastos, A. et Feinberg, M. (2016). Typologies of post-divorce coparenting and parental well-being, parenting quality and children’s psychological adjustment. Child Psychiatry & Human Development, 47, 716-728.
     
  • McIntosh, J. E., Smyth, B. M. et Kelaher, M. (2013). Overnight care patterns following parental separation: Associations with emotion regulation in infants and young children. Journal of Family Studies, 19(3), 224-239.

    Pedro-Carroll, J. L. (2011). How parents can help children cope with separation / divorce. Encyclopedia on Early Childhood Development, 17-23.
     
  • Pires, M. et Martins, M. (2021). Parenting styles, coparenting, and early child adjustment in separated families with child physical custody processes ongoing in family court. Children, 8(8), 629.
     
  • Polak, S. et Saini, M. (2015). Children resisting contact with a parent postseparation: Assessing this phenomenon using an ecological systems framework. Journal of Divorce & Remarriage, 56(3), 220-247.
     
  • Ramos, A. M., Shewark, E. A., Fosco, G. M., Shaw, D. S., Reiss, D., Natsuaki, M. N., Leve, L. D. et Neiderhiser, J. M. (2022). Reexamining the association between the interparental relationship and parent-child interactions: Incorporating heritable influences. Developmental Psychology, 58(1), 43-54.

  • Tornello, S. L., Emery, R., Rowen, J., Potter, D., Ocker, B. et Xu, Y. (2013). Overnight custody arrangements, attachment, and adjustment among very young children. Journal of Marriage and Family, 75(4), 871-885.
     
  • Tremblay, J., Drapeau, S., Robitaille, C., Piché, É., Gagné, M.-H. et Saint-Jacques, M.-C. (2013). Trajectoires de coparentalité post-rupture conjugale. Une étude exploratoire qualitative. Revue internationale de l’éducation familiale, 1(33), 37-58.
     
  • Van Eldik, W. M., de Haan, A. D., Parry, L. Q., Davies, P. T., Luijk, M. P., Arends, L. R. et Prinzie, P. (2020). The interparental relationship: Meta-analytic associations with children’s maladjustment and responses to interparental conflict. Psychological Bulletin, 146(7), 553.
     
  • Zeanah, C. H., Berlin, L. J. et Boris, N.W. (2011). Practitioner review: Clinical applications of attachment theory and research for infants and young children. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 52(8), 819-833.