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L’utilisation des médias sociaux chez les adolescents en contexte d’expériences sociales

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Des parents consultent un psychologue en raison d’enjeux familiaux découlant de l’utilisation démesurée du téléphone intelligent par leur fils de 14 ans.

Le recours aux médias sociaux par les adolescents est un phénomène social en croissance fulgurante depuis une vingtaine d’années. Aux États-Unis, 95 % des adolescents ont accès à un téléphone intelligent et 45 % d’entre eux se connectent « presque constamment » pour entrer en relation avec leurs pairs ou rechercher de nouveaux stimuli. Les chercheurs définissent l’utilisation des médias sociaux par les interactions et communications survenant en ligne sur différentes plateformes (Instagram, Tik Tok, Twitter, Snapchat, Facebook, etc.) et visant à échanger des informations et des idées avec les pairs. L’arrivée en scène des médias sociaux est associée à des questionnements et à des craintes concernant le bien-être social et émotionnel des adolescents puisque leur utilisation encourage la comparaison avec les pairs et suscite des difficultés de régulation émotionnelle. Une étude longitudinale d’Armstrong-Carter et ses collaborateurs (2023) explore le thème des réseaux sociaux et des expériences sociales des adolescents.

D’abord, le sentiment de lien social concerne le sentiment d’être émotionnellement proche des autres (sentiment d’appartenance, d’intimité, de soutien mutuel). Ce sentiment crucial à l’adolescence est associé à un développement positif (consolidation de l’identité, apprentissage social et valeur accordée aux relations interpersonnelles) et à une vie satisfaisante ainsi qu’à une meilleure santé physique et mentale. Une étude menée auprès d’adolescents canadiens relate qu’un temps d’utilisation modéré des médias sociaux (deux heures par jour ou moins) serait associé à un sentiment positif de connexion sociale à l’école tandis qu’une utilisation supérieure nuirait au sentiment de connexion avec le milieu scolaire et les pairs.

Ensuite, l’envie irrésistible d’interactions sociales est définie par le désir d’accéder à davantage de liens sociaux. Cela serait exacerbé par un sentiment de solitude ou d’isolement social et ressortirait particulièrement au moment de l’adolescence, tandis que la motivation envers l’apprentissage social et les interactions sociales est à son paroxysme.Finalement, la recherche de nouvelles sensations désigne la motivation et l’élan envers des expériences nouvelles, intenses et excitantes. À l’adolescence, les changements sur les plans social, neuronal et hormonal exacerbent la motivation à explorer de nouveaux stimuli et à prendre des risques. Les médias sociaux offrent en ce sens la possibilité de s’engager dans des communications excitantes avec les amis et les pairs, ou encore de consulter des images et des vidéos, accompagnées ou pas de texte, nouvelles et intéressantes. Cela peut être associé à la tendance à rechercher de nouvelles sensations et à prendre des risques (par exemple par la consommation de substances ou en adoptant des comportements sexuels à risque).

L’effet des médias sociaux diffère d’un adolescent à l’autre, et les répercussions de leur utilisation varient selon le degré de susceptibilité à l’influence des pairs. Les personnes très influençables accordent beaucoup de valeur et d’importance à la rétroaction sociale des pairs ainsi qu’à leurs actions et à leurs comportements. Elles sont plus facilement inquiètes. Leur sensibilité à d’éventuelles récompenses ou rejets sociaux en ligne pourrait diminuer leur sentiment de connexion sociale, nourrir leur envie irrésistible d’interactions sociales et encourager la recherche de nouvelles sensations. Tout cela est également corrélé à des difficultés d’adaptation pour les jeunes.

L’étude longitudinale d’Armstrong-Carter et ses collaborateurs (2023) vise à mieux comprendre le lien entre, d’une part, l’utilisation des médias sociaux et, d’autre part, le sentiment de connexion sociale, l’envie irrésistible d’interactions sociales et la recherche de nouvelles sensations chez des adolescents plus ou moins influençables. Les 212 participants américains, âgés en moyenne de 15 ans, présentent différentes origines ethniques et un statut socioéconomique en moyenne faible. Il ressort de cette étude que ce sont les adolescents dits influençables qui présentent un moindre sentiment de connexion aux autres et une plus grande envie irrésistible d’interactions sociales lorsqu’ils utilisent davantage les médias sociaux qu’à leur habitude. Ils ont aussi davantage tendance à rechercher de nouvelles sensations. Le fait de se comparer aux autres pourrait exacerber leur anxiété et contribuer au sentiment d’être différent ou plus isolé, ce qui pourrait accentuer la distance relationnelle et l’envie irrésistible d’interactions sociales positives et de nouvelles sensations. Ces résultats ne ressortent pas en contexte d’interactions en personne.

Les variables d’envie irrésistible d’interactions sociales et de recherche de nouvelles sensations sont à prendre en considération sur le plan clinique puisqu’elles peuvent être associées à la recherche de comportements de récompense tels que des prises de risque pouvant compromettre la santé des jeunes. Il s’agit d’une des premières études démontrant que les médias sociaux peuvent avoir un effet différent sur les adolescents, suivant leur personnalité ou leur réponse à l’environnement social. On démontre également une plus grande incidence du recours aux médias sociaux lorsque les adolescents se sentent moins liés socialement ou recherchent davantage les interactions sociales et les sensations nouvelles, ce qui ouvre la porte à des réflexions intéressantes. Par exemple, des occasions de s’engager dans des interactions pleines de sens et nourrissantes sur les réseaux sociaux pourraient être organisées à des moments définis. Ces environnements structurés de façon positive en ligne pourraient être axés sur l’entraide et le soutien mutuel afin de répondre aux besoins réels des adolescents.

Bibliographie