Agrégateur de contenus

Un nouvel ami Facebook?

Robert Vachon, psychologue et ex-syndic de l'Ordre des psychologues du Québec


Voici quelques balises pour utiliser ce réseau social de façon éthique et déontologique.

Ce n’est plus à démontrer : les réseaux sociaux sont très populaires, Facebook au premier rang. Au premier trimestre de 2015, ce dernier comptait 1,4 milliard d’abonnés sur la planète. En 2014, 70 % des adultes québécois utilisaient les médias sociaux et, parmi l’ensemble des internautes québécois, 97 % des 18 à 45 ans et 74 % des 45 ans et plus (CÉFRIO, 2014) utilisaient les réseaux sociaux. Dans ce contexte d’omniprésence de ces nouveaux médias, il est tout à fait normal que les psychologues s’y intéressent et les utilisent.

Pour plusieurs, le réseau Facebook représente de nombreuses opportunités, tant personnelles que professionnelles. Quelques chercheurs et associations professionnelles s’y intéressent pour son potentiel à joindre la clientèle à peu de frais, à diffuser des informations auprès de publics captifs et à rehausser l’image de leur profession ou pour y constituer des groupes d’intérêts fermés, etc.

Dans la dernière année, des membres du public ont signalé au bureau du syndic le comportement de certains psychologues sur Facebook. Ces situations nous ont inspiré quelques conseils pour aider les psychologues à utiliser cet outil de façon à éviter de commettre des impairs déontologiques.

Séparez vos profils personnels et professionnels

Facebook offre la possibilité de créer de pages professionnelles qui permettent une plus grande discrétion quant à l’identité de ses adhérents. Les gens peuvent s’abonner à une page professionnelle sans requérir à une demande d’amitié. Si vous souhaitez utiliser Facebook à des fins professionnelles, il est fortement conseillé que vous ne le fassiez pas avec votre page personnelle. Tout comme dans d’autres secteurs de notre existence, comme psychologues, il est sage de séparer notre vie privée de notre vie professionnelle. Il vaut mieux faire la même chose sur les réseaux sociaux.

Innovez avec prudence et modération

Plusieurs professionnels innovent pour mieux desservir leur clientèle, par exemple en utilisant leur page Facebook pour diffuser des contenus crédibles et pertinents à leur profession. Innover comporte des risques, surtout avec un outil comme Facebook, qui peut piéger le professionnel dans son obligation de confidentialité, le plonger dans de réels ou d’apparents conflits de rôles et d’intérêts ou encore le distraire de son obligation de rigueur lors de ses déclarations publiques. Prenez vos décisions d’innovation de façon systématique, avec prudence et modération, en tenant compte du meilleur intérêt de vos clients, des valeurs et obligations de votre profession, et en examinant les conséquences possibles de vos choix (CIQ, 2015).

Connaissez votre outil

À quelques reprises, le bureau du syndic est intervenu auprès de psychologues qui, en toute bonne foi, ont posé des gestes sur Facebook sans bien en mesurer les impacts, ne connaissant pas les paramètres de la plateforme. Il est donc essentiel, avant de commencer à utiliser cet outil, de bien le connaître, notamment ses paramètres de sécurité et de confidentialité. Il faut également s’engager à suivre les évolutions de ces paramètres, car ils changent régulièrement. Pour s’aider à paramétrer son outil, le psychologue peut se poser les questions suivantes :

  • Qui voit spontanément mes publications?
  • Que peut-on voir en faisant des recherches? via Facebook? via Google?
  • Que peuvent voir mes clients? Quel effet cela peut-il avoir sur le suivi avec eux?
  • Que peuvent voir les amis de mes amis? Comment limiter leur accès?
  • Quels paramètres de sécurité puis-je définir pour éviter aux clients d’avoir accès à du contenu personnel?

Accepter ou refuser les demandes d’amitié?

Il peut arriver qu’un de vos clients vous invite à devenir son ami Facebook sur une base personnelle, en toute bonne foi. Il incombe au psychologue de refuser cette demande et d’expliquer au client les raisons de ce refus. Ceci peut être fait au moment où la situation se présente, ou systématiquement en début de suivi, lors des mises en garde d’usage et du consentement initial, par exemple si le psychologue travaille avec une jeune clientèle qui a tendance à utiliser les réseaux sociaux de façon très large. Certains psychologues utilisent un pseudonyme et ne mettent pas de photo d’eux afin d’éviter l’embarras de telles demandes d’amitié et pour éviter que leurs clients aient accès à leur profil personnel. Quoique vous choisissiez, gardez à l’esprit que lorsque vous acceptez un ami Facebook, vous acceptez que cette personne ait accès aux informations qui sont affichées sur votre page personnelle. Également, en l’acceptant comme amie, vous lui envoyez un message équivoque sur la nature de votre relation, ce qui érode la distance professionnelle et le cadre thérapeutique qui sont nécessaires pour l’aider. Ceci peut aussi avoir des conséquences négatives sur elle, sur sa santé mentale et sur l’efficacité du traitement psychologique entrepris. Développer et maintenir des frontières interpersonnelles claires et structurantes avec vos clients est une préoccupation que les réseaux sociaux rendent encore plus essentielle qu’avant leur prolifération. De plus, qu’en est-il de la confidentialité? Votre acceptation de la « demande d’amitié » de votre client est visible par tous vos amis Facebook. Rappelez-vous alors vos obligations déontologiques, notamment les articles 15 et 26 :

15. Le psychologue, aux fins de préserver le secret professionnel: 1° ne divulgue aucun renseignement sur son client à l’exception de ce qui a été autorisé formellement par le client par écrit, ou verbalement s’il y a urgence, ou encore si la loi l’ordonne; […] 3° ne révèle pas qu’un client fait ou a fait appel à ses services professionnels ou qu’il a l’intention d’y recourir; 4° ne mentionne aucun renseignement factuel susceptible de permettre d’identifier le client ou encore modifie, au besoin, certains renseignements pouvant permettre d’identifier le client lorsqu’il utilise des renseignements obtenus de celui-ci à des fins didactiques, pédagogiques ou scientifiques; […]

26. Pendant la durée de la relation professionnelle, le psychologue n’établit pas de liens d’amitié susceptibles de compromettre la qualité de ses services professionnels, ni de liens amoureux ou sexuels avec un client, ne tient pas de propos abusifs à caractère sexuel et ne pose pas de gestes abusifs à caractère sexuel à l’égard d’un client.

Les amis de mes amis sont mes amis

Dans l’utilisation des réseaux sociaux, le professionnel doit garder en tête qu’il s’agit d’un espace public, et ce, même lorsqu’il s’agit d’une page personnelle. Ce qui est publié sur le réseau social peut rapidement être vu et partagé par un très grand nombre de personnes, notamment les amis de vos amis, selon les paramètres de diffusion. Il y a toujours une possibilité que, parmi ce grand nombre de personnes, se trouve un client, un employeur, un partenaire de travail ou un de leurs proches. Cet espace public présente donc des risques comparables à ceux que rencontrent les psychologues qui pratiquent dans de petites communautés (APA, 2014) et qui doivent constamment gérer les frontières entre leur vie personnelle et professionnelle. Soyez conscients de la possibilité exponentielle de diffusion de vos publications et restreignez-le selon vos besoins en configurant adéquatement les paramètres de sécurité.

Attention aux publicités cachées

Au-delà du réseautage, Facebook, est devenu une plateforme prisée pour publiciser des produits et des services et y associer des membres de votre groupe d’amis. En cliquant « j’aime » sur une publication évoquant un produit ou un service ou faisant référence à un site quelconque, vous devenez « associé » à cette publicité nouveau genre qui sera rapidement disséminée parmi vos relations et vous pouvez être ainsi perçu comme endossant un produit ou un service n’ayant peut-être rien à voir avec la psychologie. À l’instar de toute publicité à laquelle il peut être associé, le psychologue doit s’assurer qu’il respecte son code de déontologie, notamment :

75. Le psychologue s’abstient de participer en tant que psychologue à toute forme de publicité recommandant au public l’achat ou l’utilisation d’un produit ou d’un service qui n’est pas relié au domaine de la psychologie.

Commentez et partagez avec prudence

Les « statuts » Facebook sont distribués dès que vous appuyez sur « publier ». Même si vous décidez de supprimer un message par la suite, vos amis l’auront déjà vu sur leur fil d’actualité. Lorsqu’il publie ou commente une information sur les réseaux sociaux, le psychologue doit se questionner au préalable et éviter les commentaires spontanés et impulsifs, faits sous le coup de l’enthousiasme, de la colère ou de toute autre émotion qui pousse à agir sans réfléchir. Il faut garder en tête que lorsque l’on commente un contenu publié par un ami Facebook, notre commentaire sera visible pour nos amis, mais également pour les siens et, selon ses paramètres, possiblement au grand public.

Faites honneur à votre profession

Vous étiez présent à une fête, quelques photos ont été prises, dont certaines de vous que vous préférez ne pas exposer sur le Web! Mais votre ami Facebook lui, était aussi de la fête et il a publié ces photos sur sa page personnelle. Tous ses amis Facebook (dont vous faites partie, mais il y en a plusieurs que vous ne connaissez pas) les ont donc vues, et probablement aussi les amis de ses amis. Il faut savoir que toutes ces personnes peuvent enregistrer les photos et les partager, et vous identifier sur la photo. Cette identification « cliquable » permet à n’importe qui de visiter votre page Facebook et de voir les contenus selon ce que vous allouez dans vos paramètres d’identification et de journal. L’un d’eux est peut-être votre client. Demeurez conscient que ce qui est sur Facebook est public et peut se retrouver sous le regard de quelqu’un à qui vous ne souhaitez pas le montrer. Donc, assurez-vous de faire honneur à votre profession dans vos commentaires, dans les photos que vous partagez, dans le choix des sites « aimés », comme le rappelle le Code des professions, article 59.2 :

59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.

Vérifiez vos sources

Lorsque vous choisissez de partager une information, sur votre page professionnelle par exemple, assurez-vous qu’elle soit de source sûre. Par exemple, si vous partagez un article médiatique ou un communiqué de presse, assurez-vous que le diffuseur est reconnu, crédible et que les sources sont identifiées. Évitez de partager des informations ou articles qui proviennent de sources douteuses ou qui ont des titres sensationnels et qui ne citent pas leurs sources, ou encore qui ne présentent sans nuance qu’un seul aspect du sujet concerné. Les articles suivants de notre code de déontologie sont particulièrement éclairants :

58. Dans ses déclarations publiques traitant de psychologie, le psychologue évite le recours à l’exagération ainsi que toute affirmation revêtant un caractère purement sensationnel.

61. Dans toute activité de consultation professionnelle s’adressant au public, le psychologue prend soin de souligner la valeur relative des renseignements ou conseils donnés à cette occasion.

Tenez-vous loin des controverses

Un jour, le bureau du syndic a reçu un signalement concernant un psychologue qui avait relayé une publication sur son profil Facebook. Ce dernier reprenait un article de journal racontant l’histoire de personnes qui étaient en litige avec des pourvoyeurs de services. Bien que ledit psychologue n’avait que partagé cet article sans même le commenter, le pourvoyeur en question était très mécontent et nous a demandé d’enquêter, ce que nous avons fait. Nous avons alors appris que ce psychologue avait offert des services professionnels à ces personnes en litige et avait, par sympathie pour eux, pris parti pour leur cause en publiant un lien avec l’article de journal qui racontait leur mésaventure. Nous avons échafaudé un plan correctif avec ce psychologue, car il avait manqué à son devoir, notamment :

25. Le psychologue ne s’immisce pas dans les affaires personnelles de son client.

30. Le psychologue ne se sert pas de sa relation professionnelle établie avec un client à des fins personnelles, politiques ou commerciales.

Demandez à Socrate de vous aider

Bien avant les réseaux sociaux, Socrate, le philosophe de la Grèce antique, avait une méthode simple pour sélectionner ce qui devait ou ne devait pas être dit. Il demandait à ses disciples de soumettre ce qu’ils avaient envie de dire au test des trois tamis. Le même test peut servir pour filtrer ce qu’on a envie de publier sur Facebook. Voici les trois tamis :

  1. Ce que vous avez à dire est-il vrai? (qualité des sources)
  2. Ce que vous avez à dire est-il bon? (controverse, publicité, honneur)
  3. Ce que vous avez à dire est-il utile? (impact sur vos clients et le public)

Si ce que vous avez à dire, partager ou publier ne rencontre aucun de ces critères, Socrate vous recommanderait de ne pas le faire. Il vous suggérerait même de l’oublier! Votre syndic vous recommande la même chose!

Références

American Psychological Association (février 2014). Best practices for an online world, [www.apa.org/monitor/2014/02/ce-corner.aspx].

Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC) (CÉFRIO) (2014). « Les médias sociaux, au coeur du quotidien des Québécois », [www.cefrio.qc.ca/netendances/medias-sociaux-coeur-quebecois/utilisation-medias-sociaux/#l-age-un-facteur-qui-influence-fortement-l-utilisation-des-medias-sociaux].

Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) (2015). « L’utilisation des médias sociaux : entre l’éthique et la déontologie » [www.adma.qc.ca/Publications/Info-ADMA/~/media/6C802704EF764C6F8F69D2D689847CC2.ashx].

New Zealand Psychologists Board (NZPB) (août 2013). « Maintaining professionalism when using social media networking », [www.psychologistsboard.org.nz/cms_show_download.php?id=278].

Ontario Psychological Association (mars 2015). Guidelines for Best Practices in the Use of Social Media, OPA Communications and Member Services Committee.

Vincent, Johanne (5 juin 2015). L’utilisation des médias sociaux par les professionnels de la santé : entre l’éthique et la déontologie, présentation des points saillants d’une maîtrise en philosophie à l’Ordre des psychologues du Québec