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Affectivité négative de l'enfant et sensibilité maternelle

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


De nombreuses études ont évalué comment le tempérament de l’enfant – surtout l’affectivité négative – peut influencer la parentalité, dans le présent et à long terme. Or, la parentalité peut elle aussi influencer le tempérament de l’enfant, par exemple apaiser l’affectivité négative au fil du temps en procurant des soins répondant aux besoins de l’enfant. Cette chaîne d’effets entre l’enfant et l’environnement, puis entre l’environnement et les caractéristiques de l’enfant, répond au modèle dit « transactionnel ». Une étude de Bailes et Leerkes (2023) vise à tester le modèle transactionnel selon lequel l’affectivité négative de l’enfant et la sensibilité maternelle ont des effets à long terme l'une sur l’autre.

L’affectivité négative de l’enfant est une dimension de base du tempérament qui est fréquemment étudiée en tant que prédicteur du développement. Elle a été associée, dans différentes études, à des difficultés d’adaptation (problèmes de comportement et difficultés de socialisation).

À propos du lien entre parentalité et tempérament, on remarque que les jeunes enfants apprennent à ajuster l’expression de leur détresse en fonction de la réponse parentale habituelle. Par exemple, lorsque la figure maternelle répond sans constance, l’enfant peut exagérer l’expression de sa détresse pour maximiser les chances d’obtenir une réponse, et lorsque la figure maternelle rejette les indices de détresse, l’enfant peut minimiser l’expression de détresse pour prévenir le rejet maternel. Ensuite, la parentalité influence l’affectivité négative de l’enfant, qui développe une réactivité ou une régulation physiologique adaptée ou non en fonction d’expériences vécues tôt dans la petite enfance. Ainsi, un parent sensible et répondant par des soins adéquats aux besoins de l’enfant lui procurera une protection sociale contre la réactivité au stress que l’on peut mesurer par les taux de cortisol décelés en situation de stress. Le tempérament de l’enfant influence lui aussi la parentalité, d’abord parce que les enfants présentant une affectivité négative marquée apparaissent plus fréquemment en posture de demande auprès du parent, se trouvent à être plus souvent en détresse, de façon plus intense, et s’avèrent plus difficiles à apaiser. Ceci contribue à la fatigue parentale et à un moindre sentiment d’efficacité parentale. Les pleurs plus fréquents d’un enfant constituent un stresseur supplémentaire pour le parent et peuvent affecter les processus cognitif et émotionnel qui soutiennent une parentalité adaptée.

Mais qu’en est-il des caractéristiques maternelles ou de l’environnement qui pourraient influencer les soins portés à l’enfant présentant plus facilement une détresse? L’étude de Bailes et Leerkes (2023) explore les difficultés de régulation émotionnelle maternelle en tant que variable modératrice de la corrélation entre l’affectivité négative de l’enfant et la sensibilité maternelle.

Les participantes sont mères d’un premier enfant âgé de 6, 14 puis 26 mois, elles-mêmes âgées de 18 à 44 ans, et leur état civil de même que leur niveau d’éducation et leur profil socioéconomique sont variés. La procédure consiste en des questionnaires à remplir puis des séances de quatre minutes en laboratoire suscitant un stress. Les tâches changent selon l’âge de l’enfant et concernent le paradigme du visage non réactif ; il y a la tâche de rangement, l’approche face à un nouveau jouet, stressant ou inaccessible, et l’exposition à une araignée. L’étude permet de se pencher sur le lien entre sensibilité maternelle et affectivité négative de l’enfant alors qu’il a trois âges différents, et explore le degré auquel les difficultés de régulation émotionnelle agissent comme modérateur de la corrélation entre ces deux variables. Les résultats soutiennent les associations transactionnelles entre l’affectivité négative de l’enfant et la sensibilité maternelle, mais uniquement lorsque la figure maternelle présente des difficultés de régulation émotionnelle, et ce, à trois moments clés au cours de la petite enfance.

Les résultats indiquent aussi que le facteur de sensibilité maternelle se stabilise au fil du temps, à savoir plus tard au cours de la petite enfance. Une corrélation négative ressort entre la sensibilité maternelle moyenne et l’affectivité négative moyenne de l’enfant, et cette dernière s’avère significative à 14 et à 26 mois. Il apparaît ainsi que plus le donneur de soins principal et l’enfant passent du temps ensemble et développent une histoire relationnelle, plus le comportement négatif d’un des membres de la dyade a le potentiel d’influencer le comportement de l’autre.

Les effets découlant du comportement des enfants apparaissent nuls en l’absence de modérateurs, ce qui explique que des études précédentes aient échoué à repérer ces effets, en raison de modérateurs non testés. Ainsi, chez les mères présentant des défis de régulation émotionnelle, l’effet de l’affectivité négative de l’enfant de 6 mois sur la sensibilité maternelle des mères a pu être démontré plus tard, lorsque les enfants ont eu 14 mois. Ceci appuie d’autres études selon lesquelles l’affectivité négative de l’enfant n’affecte pas toutes les mères de la même façon. La détresse exprimée par un jeune enfant s’avère généralement stimulante et répulsive, suscitant des comportements insensibles de la part des mères qui peinent à réguler leurs propres émotions lorsque les jeunes enfants dont l’affectivité négative est prononcée expriment de la détresse, mais aussi lorsqu’ils n’en expriment pas, car les mères peuvent alors être épuisées par leurs réponses aux indices de détresse fréquents et intenses. Elles manquent ainsi des occasions de s’engager positivement dans une interaction avec leur jeune enfant, même lorsque ce dernier est dans un état émotionnel positif. En l’absence de difficulté de régulation émotionnelle, cette situation peut apparaître problématique chez l’enfant de six mois, mais semble se stabiliser lorsque la figure maternelle et le bébé parviennent à mieux dormir, que les hormones de périnatalité se sont stabilisées et que le couple de parents a gagné de la confiance quant à ses aptitudes parentales.

Bibliographie