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En mémoire de Richard Cloutier, le gentleman-psychologue

André Lavoie, journaliste


Son entourage a perdu un homme bienveillant et rassembleur. Le Québec, lui, a perdu une figure importante de la psychologie, un chercheur émérite dont la rigueur et l’éloquence faisaient l’admiration de tous. Voilà pourquoi Richard Cloutier laisse un grand vide derrière lui. Pour mettre en lumière son héritage, Psychologie Québec revisite son parcours exceptionnel, et son engagement indéfectible en faveur du mieux-être des plus négligés.

« C’était une sommité d’une grande simplicité », affirme Lorraine Fillion, médiatrice familiale et complice professionnelle de longue date du psychologue Richard Cloutier, décédé le 20 novembre dernier à Québec.

Pour celle qui a coécrit avec lui Les parents se séparent, dont la deuxième édition a paru en 2018, son départ constitue « une grande perte ». Ses pensées vont bien sûr à sa conjointe, Nicole Mainguy, à leurs deux enfants, Geneviève et Antoine, et à leurs petits-enfants, mais le choc résonne bien au-delà de son entourage. Selon Lorraine Fillion, ce sont les jeunes et les pères du Québec parmi les plus souffrants qui viennent de perdre un allié précieux. Leur épanouissement malgré les écueils, c’était l’une des grandes préoccupations de Richard Cloutier; c’est ce qui a guidé ses études, ses recherches et ses nombreux engagements au sein de la communauté, de la fin des années 1960 jusqu’à la fin de sa vie, à l’âge de 77 ans.

Revêtir le sarrau blanc du médecin faisait partie de ses ambitions d’étudiant. Mais en se dirigeant en psychologie, d’abord au baccalauréat et à la maîtrise à l’Université Laval, puis au doctorat à l’Université McGill, Richard Cloutier allait apprendre à panser les blessures d’une autre façon.

Justice pour tous, peu importe l’âge

Ce chercheur avide ne reculait jamais devant les défis, mais il s’est surtout démarqué par sa soif de justice sociale. Comme les enfants n’ont pas toujours les outils nécessaires pour se défendre par eux-mêmes, particulièrement ceux engagés sur la pente abrupte de la délinquance ou forcés de composer avec les aléas de la séparation de leurs parents, Richard Cloutier n’a jamais cessé de leur venir en aide. Alors que le divorce représentait un véritable tabou dans les années 1970, le psychologue a abordé plus d’une fois la délicate question des répercussions émotionnelles de la séparation parentale chez les enfants. « Leur parole, il la trouvait importante, crédible », insiste Lorraine Fillion, qui est aussi travailleuse sociale.

Cette dévotion a inspiré la médiatrice familiale Lorraine Fillion à se tourner vers lui, au début des années 1990, d’abord pour mettre en place des groupes d’enfants, mais aussi de parents, traversant des conflits importants ou une séparation orageuse. « Richard était aussi d’une grande bienveillance à l’égard des pères. Il comprenait leurs souffrances, leurs difficultés à s’exprimer, à reconnaître leurs faiblesses. Il a donné un nombre important de conférences sur ces sujets, toujours solidement appuyé par des études scientifiques – c’était une autre de ses forces! »

Un humaniste à l’écoute

Cette rigueur, Sylvie Drapeau, professeure titulaire à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, peut également en témoigner. Richard Cloutier a été son professeur en psychologie alors qu’elle n’avait que 20 ans; il allait l’appuyer tout au long de ses années d’études, d’abord en l’engageant comme assistante de recherche. C’était le début d’une collaboration et d’une complicité qui allaient traverser les décennies, avec « une présence comme en toile de fond », précise celle qui est aussi vice-doyenne, et qui regrette déjà « celui qui a toujours été là, au bon moment ».

Soutenir ses étudiants pour qu’ils développent leur plein potentiel constituait une véritable mission pour ce natif de Limoilou, qui a par la suite grandi à Sillery auprès d’un père comptable agréé, d’une mère au foyer et de quatre frères. « Sa capacité d’écoute était exceptionnelle, tient à rappeler Sylvie Drapeau. Il était capable de percevoir non seulement ce que nous étions comme étudiants, mais ce que nous allions devenir. » Au même âge, avait-il une idée de ce qu’il deviendrait lui-même, mis à part cette vague idée de devenir médecin? Dans une entrevue accordée au journal Le Soleil et parue le 20 octobre 2007, il soulignait l’importance d’être attentif aux autres. Quant à son test d’admission en psychologie à l’Université Laval, il l’a fait « sans trop savoir ». Et pourtant, on connaît la suite : un parcours professionnel des plus exceptionnels. Devant de multiples cohortes d’étudiants souvent inquiets face à l’avenir, il était selon Sylvie Drapeau un champion du « renforcement positif ».

Ce souci de l’autre, ce ne sont pas seulement eux qui en ont bénéficié au fil des décennies. Engagé dans de multiples projets, adhérant à plusieurs causes sociales qui lui tenaient à coeur, et très sollicité dans les médias, particulièrement ceux de la Capitale-Nationale, Richard Cloutier n’affichait jamais un air hautain. « C’était un intellectuel, d’une intelligence rare, souligne Sylvie Drapeau, mais il savait écouter les autres jusqu’au bout. Pour lui, dans un groupe, la parole de chacun était précieuse. »

Ces qualités ont tout de suite étonné et ravi Marc De Koninck, président du comité de développement social de Centraide Québec Chaudières-Appalaches. Il avait rencontré Richard Cloutier à quelques reprises, mais c’est en 2015 qu’il l’a invité à se joindre à ce comité pour élaborer un rapport sur les inégalités sociales. « De tous les savoirs, le plus important demeure le savoir-être, car c’est celui qui crée des liens de confiance permettant d’accompagner les gens plus vulnérables. Tous vous le diront : Richard possédait cette qualité depuis toujours », soutient le géographe de formation, qui a été organisateur communautaire pendant plus de 40 ans.

Marc De Koninck l’a vu souvent interagir avec des gens issus de tous les milieux, de tous les horizons, et s’est toujours émerveillé de son aisance naturelle. « Peu importe où il était, peu importe le statut ou le niveau d’éducation des personnes qui l’entouraient, Richard savait qu’il pouvait apprendre de tous les gens qu’il rencontrait, et leur faire comprendre qu’ils ont beaucoup plus de valeur qu’ils ne l’imaginent. » Le souvenir de Richard Cloutier rappelle sans cesse à Marc De Koninck une réflexion de l’écrivain Antoine de Saint-Exupéry, résumant parfaitement la grandeur du psychologue : « Celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. »

Selon Sylvie Drapeau, cette posture respectueuse et attentive ajoutait à sa légendaire « soif d’apprendre », liée à un autre talent, pas si fréquent, « celui de bien communiquer ». Elle souligne à quel point son éloquence était grande au moment de défendre le travail des intervenants ou des familles d’accueil, l’importance des centres jeunesse ou le rôle essentiel des parents. Un constat que partage Lorraine Fillion, qui l’avait invité à participer à la fondation de l’Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées. « Chaque fois qu’il prenait la parole dans un grand colloque, que ce soit en Belgique ou au Luxembourg, ses propos et ses recherches donnaient une grande crédibilité à notre organisation. »

La plume et le marteau

Richard Cloutier serait sans doute bien mal à l’aise de lire tous ces témoignages élogieux, lui qui était reconnu également pour sa grande discrétion et son refus obstiné de pavoiser au sujet de ses réussites.

Cette posture n’a jamais cessé d’étonner un de ses plus vieux amis, Joseph De Koninck, professeur émérite à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa (et par ailleurs l’oncle de Marc De Koninck). Les deux hommes se sont connus en 1966, alors qu’ils amorçaient leur baccalauréat en psychologie à l’Université Laval; malgré le temps, la distance et les obligations familiales, leur amitié profonde a persisté. Il se souvient qu’à cette époque, Richard Cloutier avait pris l’initiative de louer une vieille maison (« pour 20 dollars par mois et sans eau courante! ») à Saint-Nicolas, au sud de Québec, qui est devenue un véritable repaire pour tous leurs camarades de classe. « Nous y avons vécu des soirées mémorables, et même la police est venue faire son tour », dit-il en rigolant.

Même si son ami a notamment obtenu le prix Noël-Mailloux en 2000, Joseph De Koninck déplore qu’il n’ait pas été davantage célébré pour ses réalisations, car ses recherches, entre autres sur la masculinité, sont d’une importance primordiale. « Il n’a jamais cherché la notoriété, préférant se concentrer sur son travail… mais pas sur les façons de le vendre », précise ce spécialiste du sommeil et des rêves. Après quelque 60 ans d’amitié, Joseph De Koninck continue d’admirer la constance de cet homme remarquable « avec qui j’ai eu la chance d’échanger jusqu’à la toute fin ».

Ce triste départ a tout de même ravivé en lui des souvenirs heureux, dont plusieurs voyages. Joseph De Koninck souligne aussi que non seulement l’auteur des Vulnérabilités masculines ne ménageait pas ses efforts pour réparer les blessures de l’âme, mais ses talents de bricoleur suscitaient l’admiration, qu’il s’agisse de réparer un moteur de voiture ou de rénover une vieille maison. « Il travaillait vite, et de façon méthodique », affirme-t-il. « Il était aussi à l’aise avec une souffleuse à neige que devant un vaste auditoire venu l’entendre en conférence », renchérit Lorraine Fillion.

Psychologue, chercheur, auteur, conférencier, Richard Cloutier a brillé de bien des façons parmi les siens et auprès de tous les groupes qui réclamaient son aide ou ses connaissances. En grand gentleman, il usait de sa lumière pour illuminer le parcours des autres.