Introduction au dossier
Dre Johanne Dubreuil, psychologue | Experte invitée
Professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi et pratiquant la psychothérapie de groupe depuis près de 30 ans, elle supervise des psychologues en exercice dans cette modalité et l’enseigne aux doctorants en psychologie.
Dès la petite enfance et tout au long de notre vie, pour le meilleur et pour le pire, les différents groupes de notre vie jalonnent notre parcours et colorent notre perception de nous-mêmes et des autres. La psychothérapie de groupe, c’est l’occasion de se revisiter en contexte interpersonnel. Que le psychologue soit d’orientation psychodynamique, cognitivo-comportementale, systémique ou humaniste existentielle, sa capacité à créer un espace privilégié, où les membres se sentent en confiance, permet au groupe de fonctionner de façon optimale. Les appuis empiriques solides, dans différentes orientations, contextes, diagnostics ou cultures (Burlingame, Strauss et Joyce, 2013), ainsi que les innovations en neurosciences (Schore, 2020) et en théorie de l’attachement (Leszcz, 2017) viennent enrichir les connaissances et permettent d’en optimiser le potentiel (Kaklauskas et Greene, 2020)1.
Rôle du psychologue de groupe2
Le psychologue de groupe est comme un chef d’orchestre. Pour être harmonieuse et toute en nuances, son orchestration doit prendre en considération différents niveaux d’analyse en même temps, qu’il intègre en un processus cohérent et fluide : les caractéristiques de chacun des membres du groupe, les échanges interpersonnels entre les membres, la constitution de sous-groupes, le contexte groupal (par exemple les thèmes prioritaires, le climat du groupe, les blocages ou les résistances qui nuisent au travail, le stade de développement du groupe) (Bernard et al., 2008). En plus d’élaborer le cadre et de s’assurer que le groupe progresse selon les objectifs établis, l’implication affective et cognitive du psychologue, empreinte d’empathie et de bienveillance, et sa connaissance des facteurs thérapeutiques, facilitent l’établissement de l’alliance et de la cohésion de groupe (Leszcz, 2018 ; Billow, 2019). Le fait de faciliter les échanges entre les membres, ici et maintenant3, vise à mettre en place des conditions favorables au processus thérapeutique, puisque le fait d’être en relation, activé émotivement, et de réfléchir ensemble à ce qui se passe dans le groupe crée des conditions d’efficacité optimales (Brabender, 2002 ; Yalom et Leszcz, 2020). La connaissance et la maîtrise du psychologue des principes éthiques et des lois en vigueur, une attention constante portée sur les risques potentiels liés à l’éthique, une bonne connaissance de soi et la capacité de se remettre en question sont essentielles. Le fait de se doter d’un processus décisionnel systématique face aux situations qui posent un risque éthique lui permet de réagir rapidement, en considérant les éléments dans un contexte général (Brabender, 2006, 2007). Par exemple, les microagressions raciales sont parfois si subtiles que le psychologue pourrait être tenté de les ignorer. Une vision intégrée lui permet de saisir le message sous-jacent qui pourrait être véhiculé (par exemple « tu n’as qu’à t’adapter à la culture dominante, ce n’est pas à nous de le faire ») et l’aspect souvent cumulatif de microagressions en apparence anodines. Grâce à son intervention, le groupe peut faire une réflexion plus en profondeur à ce sujet (Brabender, 2006, 2007 ; Schmidt, 2018).
Formation du groupe
Les objectifs psychothérapeutiques (la diminution des symptômes, l’acquisition d’habiletés, l’apprentissage interpersonnel et le changement intrapsychique) orientent le choix de certains paramètres de la structure du groupe: le dosage requis (soit la durée et la fréquence des rencontres), le type de groupe (est-il fermé à de nouveaux membres, mi-ouvert, ouvert – par exemple en hôpital de jour ?), sa composition et sa structure (il y a plus d’homogénéité dans un groupe structuré pour faciliter le travail sur des difficultés spécifiques, et plus d’hétérogénéité dans un groupe de processus expérientiel ou psychodynamique, pour permettre des identifications et différenciations plus riches et complexes). Un contrat thérapeutique préalablement signé, précisant le rôle de chacun, les règles du groupe et l’importance de la confidentialité, permet aux membres de savoir à quoi s’attendre et ce qu’on attend d’eux. L’établissement de ce cadre et le souci que met le psychologue à le faire respecter dès le départ favorisent la création d’un climat de confiance qui permettra aux membres de se dévoiler (Leszcz, 2018). Avant d’entreprendre ou d’accepter un membre dans le groupe, l’évaluation préalable de chaque membre potentiel permet de s’assurer que le groupe convient aux besoins de cette personne et qu’il n’y a pas de contre-indications (par exemple un état de crise ou une hostilité destructrice). Cette rencontre favorise l’amorce d’une alliance thérapeutique, augmentant les probabilités que la personne persiste dans son engagement et en retire des bienfaits thérapeutiques (Bernard et al., 2008 ; Kaklauskas et Greene, 2020).
Facteurs thérapeutiques
Yalom et Leszcz (2005) ont identifié 11 facteurs thérapeutiques qui représentent les conditions qui sous-tendent ou facilitent le changement thérapeutique. Certains sont plus spécifiques au groupe et à l’interaction entre les membres (universalité, réactivation des schémas relationnels ou possibilité de transferts multiples, cohésion, apprentissage interpersonnel, altruisme, identification). D’autres sont également présents en modalité individuelle (espoir, orientation par le psychologue, compréhension de soi, catharsis, dévoilement de soi). Soulignons le rôle central de la cohésion de groupe comme plateforme sur laquelle s’insèrent les diverses alliances thérapeutiques présentes dans le groupe (entre membres, entre un membre et le groupe, entre un membre et le psychologue) (Bernard et al., 2008). Le développement d’une cohésion de groupe unit en effet les membres entre eux, tout en permettant à chacun d’être soi-même. Il prévient l’émergence de processus dommageables (comme la coercition, la présence d’un bouc émissaire ou d’un blocage majeur), qui peuvent nuire au bon fonctionnement du groupe et au changement thérapeutique et entraîner une attrition dans le groupe.
Les plus récents travaux suggèrent que les facteurs thérapeutiques varient selon le type de groupe : les membres de groupes sur le trauma soulignent que l’universalité (ne pas être seul à vivre ces difficultés), le sentiment d’appartenance et l’espoir accru sont plus importants. Dans un groupe psychodynamique, la capacité d’être en lien avec les autres, d’exprimer ses émotions, d’en faire l’apprentissage interpersonnel4 et de développer une meilleure compréhension de soi (insights) sont plus importants pour les membres. Par ailleurs, Bieling, McCabe et Anthony (2006) soulignent que les groupes structurés (TCC) peuvent également en bénéficier. Plutôt que d’utiliser le format de groupe en offrant un moment individuel à chaque membre (par exemple, la division du temps en périodes de 10 minutes), les auteurs proposent de construire sur les processus de groupe pour enrichir les mécanismes de la TCC. Dans son livre, Sochting (2014) présente le travail du clinicien de groupe TCC et illustre les facteurs thérapeutiques de Yalom, à la lumière de l’approche TCC.
Processus et développement du groupe
Peu importe l’orientation, le groupe a la capacité de se développer et de gagner en complexité, grâce à un double processus de différenciation et d’intégration. Le processus de groupe réfère au développement et à l’évolution des relations, à la fois dans le groupe et entre les membres. Brabender et Fallon (2009) soulignent l’importance de considérer l’aspect développemental du groupe pour en maximiser l’efficacité, non seulement pour les groupes d’exploration à long terme, mais aussi pour les groupes structurés et plus limités dans le temps, tel qu’un groupe TCC pour une problématique spécifique. Elles proposent un modèle en cinq stades :
- Formation et engagement ;
- Conflit et rébellion ;
- Unité qui nie les éléments négatifs ;
- Intégration des éléments positifs et négatifs et véritable travail de groupe ;
- Terminaison et travail de deuil.
Yalom et Leszcz (2020) sont également d’avis que les facteurs thérapeutiques s’inscrivent dans une perspective développementale. Au début du groupe, l’universalité, le sentiment d’appartenance, l’orientation par le psychologue et l’espoir donnent confiance aux membres, leur permettant de se dévoiler. Un haut niveau d’émotions et de conflits peut être nuisible à ce stade. Une fois la cohésion de groupe établie, l’expression d’émotions intenses (catharsis) et l’interaction entre les membres, incluant des périodes plus conflictuelles, permettent aux membres une meilleure compréhension de soi et un apprentissage interpersonnel, ce qui favorise les changements thérapeutiques correspondants (Bernard et al., 2008).
Il est à noter que cohésion n’est pas synonyme d’absence de conflits ou de tensions. Au contraire, ceux-ci sont essentiels au travail thérapeutique. Comme dans toute relation, les ruptures sont inévitables, qu’elles surviennent dans la cohésion entre les membres, avec le groupe ou avec le thérapeute. La capacité du psychologue à les mettre en évidence, à reconnaître son rôle avec humilité lorsqu’il en est responsable, à favoriser un processus réflexif et à viser leur réparation est un élément facilitant la cohésion et le changement thérapeutique (Bateman, Campbell et Fonagy, 2021 ; Rutter, 2021 ; Marmarosh, 2021).
Conclusion
La psychothérapie de groupe implique des éléments affectifs, cognitifs et relationnels fort complexes. Chow et al. (2015) soulignent que la bonne volonté ne suffit pas, l’expérience du psychologue en psychothérapie individuelle non plus. La formation théorique et pratique, ainsi que l’accompagnement supervisé, permettent au psychologue de groupe de se développer de façon optimale, d’apprendre à activer les facteurs thérapeutiques et de trouver le paradigme qui intègre ses forces, ses compétences personnelles et ses intérêts aux besoins de la clientèle (Kaklauskas et Greene, 2020).
Ce numéro nous donne un aperçu de la variété des psychothérapies de groupe. André Renaud et Monique Brillon nous font bénéficier de leur longue expérience clinique en présentant le psychodrame analytique, qui lie le geste et la parole pour faire émerger le matériel inconscient dans le discours groupal et permettre la mise en scène des fantaisies inconscientes dans un cadre sécuritaire. Dans un cadre à long terme, Pierre Joly, Guylaine Morin, Vincent Mathieu, Charles Crépeau et Geneviève Morency nous présentent le cheminement des intervenants de la Maison St-Jacques et mettent en lumière la psychothérapie psychanalytique et les interventions des psychologues qui favorisent une prise de conscience des conflits psychiques inconscients. Maryse Benoit et Louise Rondeau nous présentent un sujet particulièrement d'actualité, celui des réfugiés. Avec beaucoup de finesse et d'humanité, elles nous permettent de saisir un peu mieux les enjeux des personnes qui ont dû fuir leur pays et proposent une intervention de groupe comme espace interculturel. Lise Gagnon et Émilie Tassé mettent à jour les défis auxquels doivent faire face les proches aidants de personnes atteintes d'un trouble neurocognitif et proposent une intervention à court terme combinant principalement de l'éducation psychologique et une approche TCC.
En terminant, je voudrais remercier mes superviseures d’internat, qui m’ont permis de dépasser mes craintes de novice devant la complexité de la psychothérapie de groupe et qui ont su m’en faire découvrir les richesses. Je souhaite de tout cœur que ce dossier vous donne envie de l’intégrer davantage comme modalité d’intervention. Bonne lecture !
Notes
1. Le présent texte se base sur la pratique fondée sur les données probantes en psychologie, qui intègre les meilleurs résultats de recherche disponibles et l’expertise clinique en tenant compte des caractéristiques des patients, de leur culture et de leurs préférences (OPQ, 2008) et sur le guide de l’American Group Psychotherapy Association (AGPA), formulé spécifiquement pour la modalité de groupe ; voir http://www.agpa.org/home/practice-resources/evidence-based-practice-in-group-psychotherapy.
2. L’auteure considère que la présence de copsychothérapeutes est souhaitable. Dans ce contexte, l’emploi du mot au singulier ne vise qu’à alléger le texte.
3. Le travail dans l’ici et maintenant (here and now) implique de mettre l’accent sur les interactions entre les personnes présentes dans le groupe et les affects correspondants. L’attention de tout le groupe sur ces échanges permet un travail réflexif auquel participe tout le groupe et qui profite à la fois aux protagonistes et aux observateurs, souvent plus en mesure de mentaliser sur ce qu’ils voient.
4. Processus par lequel les affects étant activés, l’exploration des phénomènes relationnels dans l’ici et maintenant permet une organisation cognitive subséquente des expériences affectives (Brabender, 2002).
Bibliographie
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